NETTALI.COM - A entendre El Malick Ndiaye, disserter sur la justice du Sénégal, face aux deux journalistes de Seneweb et de la Rts, il est difficile de ne pas marquer son étonnement ; voire même d’être choqué. « Il y’a beaucoup d’actions que nous avons intentées, mais la justice nous a bloqués, ils (les juges) sont dans leur droit parce qu’ils utilisent des textes pour nous bloquer, et nous, nous pensons que nous devons réécrire ces textes pour dérouler ce que nous devons dérouler dans le cadre du projet, pour l’intérêt du Sénégal », a dit le président de l’Assemblée nationale qui ne manque pas de relancer ce vieux débat sur l’indépendance de la Justice.
« Si les revers deviennent importants, est-ce que c’est bon pour vous ? », lui demande le journaliste Diallo de Seneweb. Réponse d’El Malick Ndiaye : « ce n’est pas une question de "est-ce que les revers sont bons ou pas pour nous", mais cela veut tout juste dire que nous n’instrumentalisons pas la justice ».
La journaliste Mariama Dramé de la RTS, de lui demander à son tour, s’ils pourront dans ces conditions, « dérouler » ? Le ministre de rétorquer : « on pourra bien dérouler, car si vous tracez une fois et qu’ils effacent, vous tracez une seconde fois, ils effacent ; la fois suivante, il faut effacer avant de tracer. C’est vers là qu’on va s'orienter ».
« Qu’est-ce cela suggère ? », lui demande alors le journaliste. « Je m’en arrête là », se limite à dire El Malick Ndiaye, avant d’être à nouveau relancé par le journaliste : « c’est la Cour constitutionnelle que vous voulez mettre à la place du conseil constitutionnel ? » « Je ne vais pas anticiper », conclut le président de l’assemblée nationale qui préfère laisser l’exécutif faire ce qu’il a à faire.
El Malick Ndiaye et ses contorsions
Des réponses qui en disent en tout cas long sur l’état d’esprit du président de l’Assemblée nationale. De deux choses l’une : soit il feint d’ignorer le mode de fonctionnement de la justice ; soit, il ignore tout du mode de fonctionnement de la justice. Et même si d’aventure, l’exécutif venait à changer des textes de loi par la voie législative ou que l'Assemblée prenait l'initiative, El Malick Ndiaye devrait juste savoir, s'il l'ignore, que le juge du siège qui est chargé de trancher les litiges, interprète les textes dans un sens ou dans un autre, en fonction des faits qui lui sont présentés. Les textes de loi disent d’ailleurs que le juge ne peut fonder sa conviction et rendre sa décision que sur la base des preuves rapportées et discutées devant lui.
Le fait donc pour le président de l'Assemblée nationale de soutenir que la justice les « bloque » en utilisant des textes, ajoutant qu’elle est dans son droit, est un argument totalement gratuit, car les juges n’ont jamais utilisé pour l’essentiel, que des textes - la jurisprudence (source de droit) dans certains cas -, soumis qu’ils sont à l’autorité de la loi et non à leur bon vouloir ou subjectivité.
De même, faire croire que des revers essuyés, sont le signe d’une non instrumentalisation de la justice, est une affirmation pas tout à fait exacte. Pourquoi se placer dans une posture qui consisterait à refuser de voir par exemple le rejet du rabat d'arrêt d'Ousmane Sonko dans l'affaire de diffamation l'opposant à Mame Mbaye Niang, comme le résultat d'une bonne application des textes par la Cour Suprême en ses chambres réunies ? Ou que le rejet des alinéa 2 de l’article 56, alinéa 6 de l’article 60, alinéa 6 de l’article 111 ainsi que l’article 134 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, jugés inconstitutionnels au mois de juillet dernier, par le Conseil constitutionnel par exemple avec ses chambres réunies, pourrait être le résultat d’une mauvaise préparation des textes ?
Comment par exemple apprécier la sortie du député Tafsir Thioye contre le député Amadou Ba du Pastef qui semblait, si on en croit le premier, les tenir (Aïssata Tall Sall et lui) comme responsables de l’échec dans la censure de la loi portant règlement intérieur. C'était lors de la session extraordinaire du vote de la loi consacré à l’examen du projet de loi n°12/2025 portant création de l’Office national de lutte contre la corruption (OFNAC), au cours de laquelle, Tafsir Thioye avait sermonné le député de Pastef, en ces termes : “Amadou Ba, il faut arrêter de faire cavalier seul. Ce n’est pas bien. Quand on a fait le règlement intérieur, vous avez été le premier à sortir pour dire que cette loi a été faite avec Tafsir Thioye et Aissata Tall Sall. Mais vous, quelle est votre responsabilité dans ce qui a été rejeté ? Pourtant, tout ce qui nous est arrivé, c’est à cause de vous. Et on vous avait averti. On vous avait dit que ce n’est pas bon, mais vous vous êtes entêté. Il faut arrêter de faire cavalier seul”.
En d’autres termes, si on en croit ce dernier, les dispositions qui ont le plus suscité la polémique, relevaient de l’initiative d’Amadou Ba de Pastef.
Rappelons dans la foulée que le Pastef et son leader, ont été déboutés par la justice sur un certain nombre de saisines, notamment le rabat d’arrêt dans l’affaire de diffamation l’opposant à Mame Mbaye Niang ; l’alinéa 2 de l’article 56, l’alinéa 6 de l’article 60, l’alinéa 6 de l’article 111 et l’article 134 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, jugés inconstitutionnels au mois de juillet dernier ; et la loi interprétative déposée par Amadou Ba de Pastef.
L’on doit, à la vérité, de se rappeler qu’en avril 2024, le Conseil constitutionnel avait validé la candidature de Bassirou Diomaye Faye, malgré les pressions d’un régime finissant. Ce geste, salué alors comme un acte de courage, avait ouvert la voie à une alternance démocratique et pacifique. Les mêmes qui applaudissaient alors une institution « digne, indépendante, patriotique » dénoncent aujourd’hui un supposé complot institutionnel, au motif que 4 articles sur 136 ont été jugés non conformes à la Constitution.
Ce qui est à la fois incohérent et inquiétant, c'est le fait de refuser la règle du jeu, lorsqu’elle ne sert pas ses intérêts immédiats. Il est juste nécessaire de comprendre que le Conseil constitutionnel ne gouverne pas. Il garantit l’équilibre des pouvoirs. Et si ses décisions peuvent être contestées sur le fond, sa cohérence et son courage institutionnel dans la période récente, sont incontestables.
Tout se passe comme si le président de l’Assemblée cherchait à avoir gain de cause dans tous les dossiers judiciaires les coups qui concerneraient le régime auquel il appartient. L’esprit fair-play, c’est en effet d'apprendre à prendre acte des décisions de justice. Et ne serait-ce qu’au nom de la séparation des pouvoirs, il devrait être le premier à donner l’exemple.
Ce qui est surtout choquant à entendre dans son argumentaire, c’est cette volonté d’utiliser le mot « effacer » qui est inapproprié. En tant que deuxième institution de l’Etat, il ne devrait pas parler de cette manière-là, surtout qu’on le connaît meilleur orateur en wolof que cela, il sait bien manier la langue de Kocc Barma en plus d’une capacité d’être cordial quand il le veut.
Bref, une sortie qu’El Malick Ndiaye aurait pu éviter de faire, surtout pour un membre éminent d’un parti au pouvoir qui a promis la rupture.
Le nouveau régime est plutôt attendu sur des réformes
Ce sur quoi le nouveau gouvernement est attendu, c’est plutôt dans l’application de la réforme de la justice en rapport avec les recommandations issues des Assises organisées à cet effet. En particulier sur la restitution aux magistrats, du pouvoir disciplinaire et de nomination sur leurs pairs ; la révision des textes (code pénal, code de procédure pénale, statut des magistrats, loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, loi sur la Cour suprême, loi sur le Conseil constitutionnel, code de la famille…) ; sur cette bien vieille doléance qu’est l’introduction d’un juge des libertés et de la détention ; de même que sur les dispositions liberticides (article 56 à 100 du Code pénal) avec l’article 139 du Code de procédure pénale qui lie le juge d’instruction lorsqu’un des articles précités ou l’article 255 du Code pénal est visé, sans oublier l’article 254 (offense au chef de l’Etat), qui semble d’ailleurs, dans la pratique, avoir connu une extension avec ces délits d’offense à " des personnes délégataires de pouvoirs du président de la république " prévus à l’alinéa 2 du même l’article 254 du Code pénal. L’on peut d’ailleurs se poser des questions sur l’opportunité de telles poursuites, cette dernière disposition devant être subordonnée à l’existence d’un décret présidentiel confiant tout ou partie des prérogatives du chef de l’Etat au Premier ministre ou à certains ministres. Décret que personne n’a jusqu'ici vu ! C’est la raison pour laquelle d’ailleurs la justice relaxe depuis lors toutes les personnes poursuivies pour ce chef d’inculpation.
Lorsque Guy Marius Sagna s'emmêle les pinceaux
Comment ne pas se rappeler des propos du député-activiste Guy Marius Sagna. En critiquant les dignitaires du régime sortant, il avait fait un post polémique sur sa page facebook. « Vous allez devoir souffrir. Vous avez volé les sénégalais et vous voulez critiquer le plan des patriotes pour nous sortir de vos crimes économiques. Vous avez empêché illégalement au Président de Pastef Ousmane Sonko d'être candidat. Nous contournons vos plans pour empêcher à Pastef d'avoir un candidat et on se retrouve par votre faute - pour cela vous avez assassiné plus de 80 sénégalais - dans une situation inédite où nous avons un président légal et un président légitime. Walay vous êtes condamnés à souffrir des conséquences de cette situation dont vous êtes responsables », avait écrit Guy Marius Sagna
Une sortie de route qui montre à quel point le manque de respect à l’endroit du peuple qui a élu le président Diomaye Faye, est à son comble. Tout comme cette même inélégance peut être tout aussi considérée comme un manque de respect pour l’institution qu’est le Président de la République ! Le député Guy Marius, si enclin à dénoncer tout et n’importe quoi, ignore sans doute que c’est la légalité qui fonde la légitimité, et en l’occurrence Diomaye, en tant que président élu, est bien légitime. Vouloir opposer la légalité qui lui octroie son pouvoir à celle d’Ousmane Sonko, c’est ne rien comprendre aux règles de la république que ce cher Guy prétend défendre au quotidien. Ousmane Sonko est évidemment légitime dans les rangs du Pastef qui est une association privée, mais en aucun cas au sein de l’Etat du Sénégal. A la limite, sa légitimité en tant que premier ministre, il le tient d’un décret présidentiel, donc à la fois de la légalité et de la légitimité de Bassirou Diomaye Faye, président de la république, élu par le peuple à un peu plus de 54%.
Bref, on n’est vraiment pas sortis de l’auberge. Du moins, pas encore. Il reste certainement beaucoup de chemins à parcourir avant de pouvoir asseoir chez certains de nos gouvernants, un vrai esprit républicain.