NETTALI.COM - Qu’est-ce qu’il a été long l’accouchement du gouvernement ! Un gouvernement d'une alternance 1 , il est vrai, pas si évident à composer au regard des nombreuses attentes qui pèsent sur lui. Il s’agit surtout de ne pas se louper. En effet entre la peur de se tromper, les arbitrages sur les profils pas simples à opérer, entre Pastéfiens, alliés, reconnaissance vis-à-vis de certains cadres et technocrates, dans le but de mettre en place une machine qui ne doit pas se gripper dès l’allumage, il y avait quand même beaucoup de paramètres à prendre en compte.

Et à l’arrivée, l’on a eu droit à un gouvernement de 25 ministres et 5 secrétaires d’État fortement marqué par la présence de technocrates. 25 ministres et 1 premier ministre, soit exactement le même nombre de ministres que sous Abdoulaye Wade et Macky Sall, à leur début avec des gouvernements marqués du sceau de la rupture. Rien donc de nouveau sous le soleil, si ce n'est que Macky Sall et Wade avaient été vite rattrapés par la réalité de la politique avec peu de technocrates maintenus par la suite.

Une constante toutefois dans ce gouvernement, le parti Pastef n’a pas du tout été oublié. Il s’est même, à dire vrai, taillé la part du lion avec une forte présence de militants du parti nommés à des postes clés. Tel Birame Soulèye Diop, inspecteur des impôts et domaines qui vient clôturer le trio de tête des dirigeants de Pastef qu’il compose avec Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye. L’administrateur du parti Pastef a en effet hérité du très stratégique poste de ministre de l’Energie, du Pétrole et des Mines. Une manière de le mettre un peu plus au niveau de ses deux compagnons, mais aussi de surveiller comme du lait sur le feu, nos ressources minières et énergétiques.

D’autres membres de Pastef ont aussi intégré le nouvel attelage :  Maimouna Dièye, Alioune Sall, Yacine Fall, Khady Diène Gaye, Amadou Moustapha Ndieck Sarré, Balla Moussa Fofana, El Malick Ndiaye, Yankhoba Diémé, Ibrahima Sy, entre autres.

Mais une chose à toutefois préciser, c’est que dans ce premier gouvernement, 12 membres, considérés comme des technocrates, ne sont pas issus de Pastef. L’on peut citer Cheikh Diba, inspecteur des impôts et des domaines qui était jusque-là le patron de la Direction de la Programmation budgétaire au ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, qui hérite du très stratégique poste de ministre des finances et du budget. De même que Moustapha Guirassy à l'éducation nationale, Abdourakhmane Diouf à l'enseignement supérieur, etc

L’on peut également souligner dans le lot, la présence du général de Brigade Birame Diop aux Forces armées et le général Jean Baptiste Tine à l’Intérieur qui sonne le retour de deux bannis de la république. Sans oublier le magistrat Ousmane Diagne qui atterrit à la justice et qui a toujours été en rupture avec la ligne du ministre de la justice, sa hiérarchie, dans la gestion du dossier Sonko. Bref des nominations qui sonnent comme des réhabilitations. Elles ne sont pas sans rappeler l’époque Wade durant laquelle le Général Mamadou Niang était à l’intérieur, Mame Madior Boye, la magistrate à la justice (avant d’être PM), remplacée par la suite par un autre magistrat Basile Senghor.

La communication s’est en tout cas mise en branle pour tenter de démontrer que les ministres aux CV bien lourds qui ont été nommés, sont les hommes et les femmes qu’il faut aux places qu’il faut. Comme dans le cas de Mabouba Diagne jusqu’ici vice-président chargé des finances et des services institutionnels au niveau de la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC). Pour la première fois, un banquier va diriger le département stratégique de l’Agriculture, le nouveau gouvernement étant focus, selon les premières indications du président Bassirou Diomaye Faye, sur la souveraineté alimentaire, un dossier intimement lié aux investissements directs dans l’agriculture. C’est pour cette raison aussi que son département est vaste : Agriculture, Souveraineté alimentaire et Elevage. Lui-même est l’initiateur d’un complexe agricole digitalisé, fonctionnant, selon les dernières innovations, dans la culture intensive. Son entreprise est présentée comme le deuxième producteur de poulets auSénégal. Donc, ce n’est pas que le banquier qui arrive, d'après ce qu'on peut déduire des messages qui circulent, aux commandes de ce ministère. C’est en tout cas dans ce secteur que les nouvelles autorités entendent en partie développer des niches d’emplois pour les jeunes. C’est aussi l’un des départements ministériels gérant les plus importantes subventions étatiques.

Les images de son business dans l’agriculture moderne et l’aviculture sont ainsi partagées dans les réseaux sociaux. Une manière de prouver qu’il a atterri dans un ministère de l’agriculture où il sera en terrain conquis. Un success story qu’il faudra toutefois manier avec précaution, car il est question pour lui de manager une agriculture tributaire des trois mois d’hivernage et des subventions et qui est en faible partie concernée par l’agro-business. On est dans le domaine du macro et donc tout le contraire. Ce sont plutôt des problèmes d’eau, de semences et d'engrais à gérer, en s'attaquant aux circuits de détournement des semences et d'engrais subventionnés, mais également de terres et de commercialisation des produits issus de la récolte qu’il faudra gérer au profit de nos paysans, tout en faisant évoluer cette agriculture. Beaucoup commencent déjà évoquer des risques de conflits d'intérêts possible surtout qu'il oeuvre dans le privé et en même temps gère notre agriculture.

Au-delà, il s’agit surtout de ne pas se laisser impressionner par de ces CV bien remplis que l’on brandit comme gages de compétence dans un pays où les diplômes théoriques et les titres pompeux de docteur sont les choses les mieux partagées. Il ne s’agit pas non plus de tomber dans le piège des théoriciens bardés de diplômes et à la langue mielleuse qui usent de formules chocs et qui amènent à confondre le talent oratoire, la compétence et l’efficacité.

Les orientations du président Bassirou Diomaye Faye

Mais avant la nomination de ce gouvernement, il s’agit de relever, que la veille du 4 avril, le président de la république Bassirou Diomaye Faye, avait annoncé la couleur de ce qui allait être les grandes lignes de sa gouvernance, conformément à la rupture annoncée. S’attaquer au coût de la vie, réconcilier les Sénégalais, réformer la justice, rationnaliser les partis politiques, instaurer une Commission électorale nationale indépendante à la place du  de la Commission électorale nationale autonome. Autant de chantiers auxquels, il a promis de s’attaquer.

On peut aussi et surtout souligner l’instauration d’une « gouvernance vertueuse, fondée sur l’éthique de responsabilité et l’obligation de rendre compte » dans un premier message à la nation à la veille de la fête du 4 avril. Ce qui signifie à ses yeux, une politique qui va se traduire par "la lutte sans répit contre la corruption ; la répression pénale de la fraude fiscale et des flux financiers illicites ; la protection des lanceurs d’alertes ; la lutte contre le détournement de deniers publics et le blanchiment d’argent ; l’amnistie des prête-noms et leur intéressement sous condition d’auto dénonciation; la publication des rapports de l’IGE, de la Cour des comptes et de l’OFNAC".

Le président Faye a aussi assuré que l’exploitation des ressources naturelles, qui, selon la constitution, appartiennent au peuple, retiendra particulièrement l’attention de son gouvernement, déclarant toutefois que tous les partenaires privés sont les bienvenus au Sénégal.

Les bonnes relations avec les pays voisins, il y tient aussi, assurant qu’il veillera "sans cesse, à maintenir et raffermir les relations de bon voisinage et de solidarité agissante au sein de nos organisations communautaires, notamment la CEDEAO et l’UEMOA". Le président guinéen a marqué de sa présence à Dakar, là où le Mali a envoyé son président de l’assemblée nationale et son ministre des Affaires étrangères, faisant savoir qu’il allait voir comment la situation allait évoluer au Sénégal. De même le président du Burkina Ibrahima Traoré a envoyé le président de l’Assemblée législative de transition et le ministre des Affaires étrangères qui ont transmis ses félicitations et ses vœux de plein succès, tout en exprimant sa proximité du président vis-à-vis du peuple sénégalais.

Le président Diomaye Faye a aussi tenu à rassurer quant à  sa relation avec les partenaires étrangers de tous horizons qu’il a dit d’égale dignité pour le gouvernement, concluant par une phrase choc : "à tous, nous devons respect et considération. Et de tous nous demandons respect et considération. Nous resterons engagés pour une gouvernance mondiale plus juste et plus inclusive, dans le respect de l’égale dignité des valeurs de cultures et de civilisations".

Des orientations et des réserves

L’on a en tout cas bien compris que ce nouveau gouvernement entend fonctionner sous le sceau de la rupture. Mais le hic est que dans ces grandes lignes, certaines suscitent des réserves. Comme cette protection des lanceurs d’alerte. En attendant d’en connaître les modalités, une certaine partie de l’opinion craint qu’elle ne conduise à des dérives qui ont pour nom dénonciations fantaisistes, cabales, diffamation et dénigrement. Il s’agirait sans doute de cibler des niveaux d’intervention et des secteurs pour lesquels, il faudrait plutôt chercher couper le mal à la racine et non pas vouloir tout embrasser d'un coup, si tant est que le gouvernement veut que l'entreprise de lutte contre la corruption porte ses fruits. La question est dès lors d’arriver à concilier cet objectif et le respect de la loi. L'article 363 du code pénal interdit la divulgation du secret professionnel. Ce qui veut dire que nul ne doit divulguer des informations dont il a connaissance dans le milieu professionnel, sauf en cas de d’infraction (délit ou crime), même si par ailleurs l’article 159 du code pénal prévoit dans le même temps, des exonérations pour les dénonciations de faits de corruption.

De même sur la question de la commission électorale indépendante que l’on veut substituer à commission électorale autonome, des questions se posent quant à l’opportunité. Un débat qui a certes le mérite d’être posé, mais en attendant les réformes, il semble que le président de la république cherche à aller beaucoup plus loin dans l’indépendance des membres et l'objectif de faire du vote un acte automatique et sans entrave.

Au-delà, un domaine qui semble oublié dans cette rupture tant déclamée, eh bien c’est le service public de la presse qui gagnerait à être réformé dans sa manière de fonctionner. Le constat est qu’avec ce changement de régime, la RTS a vite changé de cap en accompagnant sans scrupule, le mouvement des nouveaux maîtres du pays. Une situation qui ne surprend à la vérité personne, si prompte qu’elle est à user de sa nature de caméléon.

C’est surtout ce changement de traitement éditorial, dès lors qu’un nouveau gouvernement arrive au pouvoir, qui est bien choquant. Si au moins elle opérait sa mue avec un peu plus de tact et observait une période de transition en douceur, on aurait pu dire ! Mais elle le fait de manière si brutale, sans précaution, ni subtilité, qu’on peut se demander si la RTS arrivera un jour à changer ?

A voir ces reportages sur la terre natale du nouveau président, Ndiaganiao ou ces portraits ô combien dithyrambiques d’Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye, ou encore cette interview de Birame Soulèye Diop, invité surprise d’Oumar Gning, qui s’est littéralement posé en donneur de leçons face au journaliste bien passif, l’on se demande s’il s’agissait de la même RTS d’il y’a quelque temps avant la campagne. Des contenus en somme qui tombent comme un cheveu sur la soupe dans ce programme de la RTS resté hermétique 12 ans durant à l’opposition, il y a vraiment à se poser des questions sur la vocation qu’elle se donne finalement. Ce sont en effet 12 années de gouvernance Macky Sall durant lesquelles les Sénégalais n’auront eu d’autre choix que d’admirer les réalisations du chef de l’Etat Macky Sall et de mémoriser ses fiches d’audience. Il en a été ainsi sous Me Abdoulaye Wade et Abdou Diouf. Donc rien de nouveau sous le soleil.

L’inféodation de la RTS aux pouvoirs en place dans le temps est telle que certains visages même de la RTS étaient assimilés au palais. Avec la gouvernance passée, la fin d’année portait la marque d’Arame Ndao, qui, telle une MC, animait les interviews d’après discours de fin d’année du président de la république. Elle introduisait et distribuait la parole. Tout comme Ibrahima Diédhiou sous le même registre qui est finalement dans un rôle de communicant pour le palais que de journaliste en couvrant plus que les cérémonies officielles locales comme internationales. Récemment, Mariama Dramé a rejoint la cohorte. Il y a aussi cette équipe dédiée au palais : Oumar Gning, Ibrahima Kane et Birame Bigué Ndiaye et le caméraman Billy Sy affectés au palais. Sous Wade, c’était Samba Mangane, Mouhamed Gassama et Khaly Seck.

Mais ce n’est pas que la presse publique qui suscite des interrogations. En effet durant la période trouble couvrant 2021 à 2023, marquée par des clivages sans précédent, l’on a eu droit à une presse avec ses dérives, mais aussi envahie par des intrus. Si des journalistes sont restés professionnels, l'on a noté des groupes ou des supports ouvertement pro régime ou pro opposition, avec toutefois l’apparition d’individualités sur les chaînes de télé et radios et se faisant tantôt appeler chroniqueurs, tantôt analystes. Ces derniers sont dans certains cas, prêcheurs, comédiens, tradipraticiens, rappeurs, politiciens encagoulés, repris de justice, ne connaissant rien de la politique  du droit voire de l'économie,, champs dans lesquels ils intervenaient sans une quelconque maîtrise des faits et des sujets. Nichés dans les sites web surfant sur le buzz et recrutés par des chaînes de télévisions et radios locales, ils ont passé le plus clair de leur temps à ne dire bien souvent que des âneries à un public friand de ragots, ou à pondre des évidences et approximations, faisant ainsi preuve de beaucoup de carences dans leurs développements à deux sous. Et dans leurs délires quotidiens ou hebdomadaires, difficile de les retenir.

Ceux-là, à l'heure où l’on parle, avec ce changement de régime, risquent de ne plus avoir de fonds de commerce, tant ils étaient dévoués à la défense de l’opposition ou du pouvoir. C’est selon son Camp. A moins de continuer sur leur ancienne lancée en réajustant leur posture, ou encore en diluant le discours et les prises de position pour retourner à l’orthodoxie du métier.

Et c’est le Cored (Conseil pour l'Observation des Règles d'Éthique et de Déontologie dans les médias) ou plus exactement le tribunal des pairs qui devrait davantage pointer du doigt ces médias, chroniqueurs et analystes tendancieux voire ouvertement partisans. L’on a remarqué que dans le même temps, il se fendait de communiqués pour déplorer le travail de certains quotidiens qui reprennent des titres similaires voire en masquant de la publicité qu’elle fait passer pour de l’info. Ce qu’il a fait récemment est toutefois à saluer. Comme par exemple cette mise en garde contre les sorties de Tahirou Sarr qui stigmatisent des étrangers.

C’est bien évidemment son rôle que de pointer du doigts de telles dérives, mais il doit aller jusqu’au bout de sa logique.  Beaucoup de ceux-là qui sont appelés chroniqueurs ou analystes de nos jours, n’ont ni la qualité, ni l’expertise et encore moins le background pour cela. De même qu’il doit relever ces vendeurs de médicaments miracles sur les chaînes de télé avec le concours du Cnra (Conseil National de Régulation de l'Audiovisuel) qui doit d’ailleurs opérer sa mue pour devenir la Harca (Haute autorité de régulation de la communication audiovisuelle). Ce sont les médias, en tant qu’instruments d’approfondissement de la démocratie et dans son rôle d’éveil et d’éducation du citoyen, qui doivent être débarrassés de ses intrus qui n’ont rien à y faire sinon d’induire le pubic en erreur.

Le Cored gagnerait davantage à s’appesantir sur le travail journalistique de manière à apparaître comme un organe de régulation avec une action beaucoup plus efficace dans ses mises en garde, qu’un procès intenté en justice contre un organe.

Mais espérons juste que cette nouvelle gouvernance qui a su appeler de ses vœux la rupture tant annoncée, ne prendra pas goût à cet accompagnement quasi complaisant de la Rts qui, à force de tresser des lauriers au pouvoir, risquera purement et simplement de desservir son action et la rendre moins attractive. Elle gagnerait elle-même à sortir de ce jeu de complaisance et de zèle mal placé et ouvrir ses écrans à des débats pluriels et à l’opposition si elle veut gagner en audience et un capital sympathie, au lieu de continuer à se faire caricaturer et se faire nommer « Rien Tous les soirs ». Elle est financée grâce aux deniers du contribuable et à ce titre son rôle est d’aider à l’approfondissement de la démocratie et non à servir les pouvoirs qui se succèdent.

Bassirou Diomaye Faye, lors de la campagne électorale avait fait part de son opposition à l’effacement de la TVA pour les médias annoncé dans les médias. Un argument que l’on peut comprendre certes. Mais son action doit aller au-delà, en aidant à renforcer un modèle économique de la presse bien difficile. Par exemple démocratiser davantage l’accès de la publicité aux médias privés, les supports publics tels que la rts, le soleil et l’Aps recevant déjà une subvention. Mais aussi et surtout aider à rehausser le niveau de la presse en relevant les niveaux de diplômes lors des concours d’accès aux écoles de formation, dans le but d’avoir davantage de journalistes spécialisés ainsi que de meilleurs journalistes. Le président Faye a la loi avec lui et les dernières réformes du code de presse qui ont pris 10 ans à être entreprises, sont certes bonnes mais pas suffisantes. Elles gagneraient même à être approfondies et poursuivies.