NETTALI.COM - Ce fut un feuilleton à plusieurs rebondissements, avec un scénario digne d’un film d’intrigue. Cette 12e élection présidentielle du Sénégal indépendant présente plusieurs particularités. Premier scrutin présidentiel auquel le président sortant n’est pas candidat à sa propre succession, c’est aussi la première présidentielle dont la date a été reportée. 

Les Sénégalais iront aux urnes ce dimanche 24 mars 2024 pour élire leur 5e président de la République, après plusieurs péripéties. Un scrutin des inédits, dont la tenue aura été incertaine jusqu’à la dernière minute. Inédit est en effet le terme qui pourrait qualifier le mieux cette présidentielle. Rien ne s’est déroulé comme d’habitude. De la décision du président sortant, Macky Sall, de ne pas se représenter, au report de la date initialement prévue (25 février), le Sénégal s’apprête à vivre une élection présidentielle exceptionnelle à bien des égards. 70 prétendants à la magistrature suprême avaient déposé leurs dossiers de candidature auprès du Conseil constitutionnel. Seuls 20 franchiront l’étape de contrôle des 7 Sages, mais on se retrouve en fin de compte, avec 19 candidats. Rose Wardini, dont la bi-nationalité a été dévoilée par la suite, a retiré sa candidature. Cheikh Tidiane Dièye et Habib Sy avaient également voulu se retirer en appelant à voter Bassirou Diomaye Faye, mais le Conseil constitutionnel leur a opposé une fin de non-recevoir, pour non-respect des délais.

Aux origines du report

Après la publication de la liste des candidats retenus, le 20 janvier, l’irrecevabilité de la candidature de Karim Wade, pour cause de double nationalité, sera l’élément déclencheur d’une grande crise préélectorale. Son parti, le Parti démocratique sénégalais (Pds), accuse deux juges du Cc, Cheikh Tidiane Coulibaly et Cheikh Ndiaye, de corruption et de collusion, et initie la mise en place d’une Commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur cette affaire, dans laquelle Amadou Ba, jusqu’à alors Premier ministre et candidat de la mouvance présidentielle, est cité. Les choses s’emballent très vite. En procédure d’urgence, l’Assemblée nationale se réunit, la Commission d’enquête est installée le 31 janvier. Le Pds ne s’arrête pas en si bon chemin. Le 2 février, le groupe parlementaire Liberté, démocratie et changement dépose une proposition de loi portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution, en vue de faire reporter l’élection présidentielle. Dès le lendemain, le 3 février, à quelques heures du début de la campagne électorale, le chef de l’Etat fait une déclaration à la Nation, et annonce l’abrogation du décret convoquant le corps électoral. Pour justifier l’acte, il évoque un différend entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel. Entre-temps, la bi-nationalité de la candidate Rose Wardini, qui devra par la suite répondre à la justice, est dévoilée. Macky Sall estime que «ces conditions troubles pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin, en installant les germes d’un contentieux pré et post électoral». C’est la douche froide, l’annonce laisse le pays groggy. Comme pour enfoncer le clou, la plénière de l’Assemblée nationale, convoquée le 5 février, adopte la proposition de loi du Pds et fixe la présidentielle au 15 décembre, à l’issue d’une séance mouvementée qui a nécessité l’évacuation de plusieurs députés et la supervision des forces de l’ordre. Auparavant, l’un des accusés, le juge Cheikh Ndiaye avait déposé, le 29 janvier, une plainte au parquet de Dakar, pour outrage à magistrat, diffamation, discrédit sur une décision de justice, entre autres infractions. L’ouverture de l’information judiciaire enterrera la commission d’enquête parlementaire. Le report de la présidentielle est donc acté, au forceps. Une première dans l’histoire du pays. Les réactions de désapprobation s'enchaînent, la communauté internationale condamne. Des manifestations ne tardent pas à éclater, causant neuf morts.

Saisine du Conseil constitutionnel, dialogue

Le Conseil constitutionnel est saisi, des candidats introduisent des recours pour faire respecter le calendrier électoral. Dans leur décision rendue le 15 février, les 7 Sages annulent les deux textes ayant entériné le report de la présidentielle, et engagent les autorités compétentes à organiser l’élection dans les meilleurs délais. Le lendemain, le chef de l’Etat dit avoir pris acte de la décision du Conseil, et qu’il va s’y conformer. L’opposition et la société civile exigent la tenue du scrutin avant le 2 avril, date de la fin du mandat du président. Tout en réaffirmant son intention de rendre le pouvoir à cette date, Macky Sall convoque néanmoins un dialogue pour trouver un consensus. Un dialogue qui s’ouvre le 27 février au Centre de conférence Abdou Diouf de Diamniadio (Cicad), et qui est boycotté par 17 des 19 candidats et par une bonne partie de la société civile. A l’issue de deux jours de discussions, le rapport est remis au Président le lundi 04 mars. L’organisation de l’élection le 02 juin, le maintien des 19 candidats validés avec la réserve d’un nouvel examen des candidatures, et l’application de l’alinéa 2 de l’article 36 de la Constitution (le président de la République en exercice reste en fonction jusqu’à l’installation de son successeur), sont les principales conclusions. Le même jour, comme promis, le Président Macky Sall saisit le Conseil constitutionnel pour avis. Entre-temps, certains candidats et organisations de la société civile avaient également saisi le Conseil constitutionnel, d’une requête aux fins de constater et de remédier à la carence du président de la République d’organiser la présidentielle, tout en exigeant la tenue de l’élection avant le 02 avril et le départ de Macky Sall à cette date.

Délibération du Conseil constitutionnel, dissolution du gouvernement, nouvelle date

Après délibération, le 6 mars, les sept sages rejettent toutes les conclusions issues du dialogue, et en réponse à la saisine de constatation de la carence, fixent la présidentielle au 31 mars. Le même jour, le président Macky Sall annonce en Conseil des ministres la dissolution du gouvernement, le remplacement d’Amadou Ba par Me Sidiki Kaba à la Primature, et la fixation de la présidentielle au 24 mars. Le Conseil constitutionnel s’aligne. Conséquence du chamboulement du calendrier électoral, la durée de la campagne électorale est réduite, elle passe de 21 à 13 jours (du samedi 09 mars à 00 heures au vendredi 22 mars à 00 heures). Clap de fin. C’est l’épilogue du rocambolesque feuilleton qui aura tenu en haleine le peuple sénégalais durant plusieurs semaines.