NETTALI.COM - C’est une bien tumultueuse fin de mandat que celle de Macky Sall ! Et même s’il a décidé de ne pas se lancer dans une 3ème candidature, il semble toujours vouloir rester dans le jeu, comme le prouve si bien ce remaniement ministériel qui a été un jeu d’équilibristes jusqu’au bout, car il fallait surtout éviter de prendre le risque de voir des apéristes et alliés, aller brouter dans d’autres prairies spacieuses et potentiellement vertes, mais surtout maintenir ses hommes à la table du conseil.

Mais dans ce jeu fait de manœuvres, les excroissances du feuilleton juridico-politique dans lequel se trouve au centre, le leader de Pastef, sont là toujours aussi présentes et tenaces que ces jeunes qui partent par vagues en mer vers l’Europe, au péril de leur vie.

On n’en a en tout cas pas encore fini avec le dossier judiciaire d’Ousmane Sonko qui, même s’il est toujours allongé dans son lit de l’hôpital principal, est avec Macky Sall, les hommes politiques les plus présents de la scène politique. Plus présents même que ce cher Amadou Ba qui est passé au second plan et qui a enfin décidé d’aller faire le tour du pays pour tâter un peu mieux le pouls, après les sages conseils de Mack. C’est un périple de 72 heures qu’il entame ainsi à partir du jeudi 19 octobre à Saint-Louis.

Ce n’est donc pas un duel Amadou Ba-Sonko qui se joue, même si les dividendes seront pour le Premier ministre, mais un affrontement Macky Sall et Ousmane Sonko qui se prolonge cette fois ci sur le terrain judiciaire. Si le premier n’est pas candidat, il continue à poser des actes pour soutenir Amadou Ba, alors qu’Ousmane Sonko se débat toujours pour être candidat, sans toutefois avoir épuisé les voies de recours qui vont lui permettre de valider sa candidature.

Antoine Diome et Ismaêl Madior Fall, deux ministres aux actes polémiques, quittent l’intérieur et la justice

Un combat qui n’est pas sans conséquences dans la réorganisation de l’équipe gouvernementale. Jeudi 12 octobre, pendant que le destin politique d’Ousmane Sonko, se jouait en partie à Ziguinchor, le mercredi 13 octobre, Antoine Diome et Ismaêl Madior Fall quittaient leur ministère respectif, celui de l’intérieur et de la justice, suite au remaniement ministériel. Une refonte du gouvernement dans laquelle, on a senti un Amadou Ba qui ne semblait pas très content ainsi que le montrait ce lapsus à travers lequel, il a parlé d’un gouvernement nommé par le président de la république.

Mais à la vérité, il n’y a pas eu de grands changements, en dehors presque de deux, trois départs. Oumar Youm, l’homme de Thiadiaye, devient ministre et est réhabilité alors qu’il avait été éjecté du gouvernement, accusé de lorgner le fauteuil de Macky Sall, en même temps qu’Amadou Ba, Boun Abdallah Dione, Ali Ngouille Ndiaye, Mimi Touré et Makhtar Cissé. Il était d’abord devenu président du groupe parlementaire Benno Book Yaakaar à l’Assemblée nationale, avant ce poste ministériel.

Le dernier cité Makhtar Cissé lui aussi revient au poste de ministre directeur de cabinet du président d’où il a été éjecté pour aller se casser les dents à la Senelec. La suite, on la connaît, il règlera la question des délestages avant de se voir coller sur le dos, le fameux et médiatisé dossier Akilee sur les compteurs intelligents. L’Armp le blanchira, suite à une plainte d’un syndicat de la Senelec instrumentalisé pour porter plainte, estimant que le contrat signé sous son empire était bel et bien régulier. De même le dossier ouvert à l’Ofnac, n’avancera pas d’un iota. Sacré Macky, sa gouvernance aura été jonché de plein de petits règlements de comptes !

Toujours est-il que dans le cas d’Ismaël Madior Fall et Antoine Diome, deux juristes, ils ont été remplacés par deux spécialistes du droit. Deux ministres que l’on peut toutefois considérer comme ceux-là qui ont été les plus frontaux avec le leader de Pastef, empêtré dans des dossiers judiciaires et électoraux, dont ils avaient en charge.

Mais qu’est-ce que leurs actes ont été décriés jusqu’au bout par une certaine opinion ! Les deux ont la particularité pour l’un, d’avoir enseigné à la faculté de droit et pour l’autre, d’être magistrat de profession, puis d’avoir été agent judiciaire de l’Etat.

Le constitutionnaliste Fall - qui se plaisait à se définir de manière ironique comme un « tailleur constitutionnel de haute couture » comme pour montrer son indifférence vis-à-vis de la satire de ceux qui le désignent par le sobriquet de « tailleur constitutionnel » -, était le patron du parquet. Il a d’ailleurs souvent eu à monter au créneau dans le cadre du procès Adji Sarr-Ousmane Sonko pour viol et dans l’affaire de la contumace. Quant à Antoine Diome, il a non seulement été à l’origine de l’acte de dissolution du parti Pastef, mais encore la DGE qui dépend de lui, pour avoir refusé de remettre des fiches de parrainage à son mandataire, sans oublier ses nombreuses interdictions de rassemblements qui émanaient de ses agents, les préfets.

Le changement de ces deux-là vers d’autres postes ministériels notamment les affaires étrangères et les forces armées, n’est donc pas fortuit. Il a d’ailleurs soulevé quelques débats quant au moment et à l’opportunité, surtout à 5 mois de la présidentielle. Et il semble bien que certains actes posés par le constitutionnaliste, sont loin d’être des plus justifiés et ont semblé plus relever de l’acharnement et d’une volonté d’écarter Ousmane Sonko, si on en croit toujours une certaine opinion. Côté Antoine Diome, la radiation du maire de Pastef des listes ainsi que la dissolution de son parti, ont été jugées plutôt expéditives.

Que penser de cette sortie d’Ismaël Madior Fall, alors ministre de la justice qui a conclu que l’arrestation d’Ousmane Sonko n’anéantissait pas le jugement au mépris de l’article 307 (ancien 341) du code de procédure pénale qui dispose que «si le contumax se constitue prisonnier ou s'il est arrêté avant que la peine soit éteinte par prescription, la décision de condamnation est anéantie de plein droit et il est procédé à son égard dans la forme ordinaire (à un autre jugement) à moins que le contumax déclare expressément, dans un délai de 10 jours, acquiescer à la condamnation » ?

Quelques juristes font remarquer que du fait de cette disposition précitée, il fallait à nouveau juger l’affaire. Un débat que seule la justice pourrait trancher.

La décision de Ziguichor qui annule l’acte de la DGE

Ne sont-ce pas sans doute des erreurs cumulées qui ont conduit au remplacement des deux ministres, Diome et Fall, de surcroît par deux hommes de l’art, Sidiki Kaba et Aïssata Tall Sall, des avocats, polémistes, débatteurs et rompus à la pratiques judiciaires pour avoir exercé dans les prétoires pendant de longues années ? L’on pourrait inévitablement voir derrière, une volonté sans doute pour le pouvoir en place, en charge de l’organisation des élections, de calmer le jeu et de rétablir une certaine confiance par rapport à ces deux personnages bien trop contestés et clivants.

Le fait en tout cas que le juge du tribunal d’instance de Ziguinchor Sabassy Faye a rejeté la radiation d’Ousmane Sonko des listes électorale avant d’ordonner sa réinscription, montre en réalité que ses droits ont été bafoués, ainsi que le confirme la décision du président du tribunal d’instance de Ziguichor. En effet, le juge Sabaasy Faye, motivant sa décision, a estimé qu'avant d'appliquer les déchéances, notamment électorales, au contumax, il fallait, conformément à l'article 311 du code de procédure pénale (CPP), accomplir les formalités de publicité, notamment l'insertion de la condamnation de contumace dans un journal, l'affichage de celle-ci au dernier domicile connu du contumax, l'affichage à la mairie de sa commune de résidence et envoyer l'extrait de la décision aux services des domaines. Ces conditions n'étant pas remplies, le juge a estimé que la radiation de Ousmane Sonko est donc "prématurée et illégale". Ce qui l'a poussé à ordonner sa réintégration dans les listes électorales avec une notification adressée au préfet de Ziguichor.

Dans cette affaire, ce qui est difficile à comprendre, c’est la posture de l’agent judiciaire de l’Etat, Yoro Moussa Diallo, qui non seulement ne s'est pas contenté de le dire à l'audience, mais a écrit au premier président de la cour d’appel de Ziguinchor pour demander la récusation du juge Sabassy Faye. Il estime que le Président du tribunal d’instance de Ziguinchor, qui a reconnu les liens de parenté avec le sieur El Hadj Saër Faye un « militant de Pastef, par ailleurs 16e adjoint au maire demandeur dans cette affaire», ne saurait être impartial dans cette affaire.

Une attitude et un commentaire de l'Agent judiciaire de l'État (AJE) qui a soulevé l’ire du président de l’Union des magistrats du Sénégal, Ousmane Chimère Diouf et de ses collègues qui n’ont pas du tout apprécié le contenu de la lettre que le magistrat Yoro Moussa Diallo a adressé au président de la Cour d'appel de Ziguinchor parlant du juge Sabassy Faye. Suffisant pour que le Bureau exécutif de l'UMS sorte de ses gonds. L'Union dit "condamner vigoureusement les attaques contenues dans ledit communiqué et visant un juge qui a rendu une décision dans le sens qu'il croit conforme à la loi".

Ousmane Chimère Diouf et ses collègues ont d’ailleurs, dans la foulée, rappelé que "le seul débat judiciaire valable est celui qui se tient au prétoire et non par voie de presse ". "Si une partie à une procédure judiciaire, quel que soit son statut, estime ses intérêts sont lésés, il lui est loisible d'exercer les voies de recours prévues par la loi et laisser la juridiction compétente statuer. Doit ainsi être bannie toute action attentatoire à l'indépendance de la Justice et à l'honneur des acteurs qui l'incarnent", ont-ils martelé à l'endroit de leur collègue Yoro Moussa Diallo.

La question est dès lors de savoir comment Yoro Moussa Diallo qui est lui-même magistrat, a-t-il pu se comporter de la sorte ? Mais aux dernières nouvelles, l’on a appris que l’Agent judiciaire s’est désisté de son recours lié à la récusation du juge, sans doute pour éviter un camouflet, mais qu’un recours contre la décision a été annoncé.

Une posture à géométrie variable

La suite, on la connaît : ce sont des déferlements de joie qui ont été notés à Ziguinchor, suite à la décision du juge de réintégrer Ousmane Sonko dans les listes. Sur les réseaux sociaux, ses nombreux partisans et sympathisants ont manifesté leurs joies. Et faits surprenants, beaucoup se sont mis à dire tout le bien qu’ils pensent du juge Sabassy Faye qu’ils ont qualifié d’indépendant et d’intègre. Comme s’ils le connaissaient avant ! Les avocats d’Ousmane Sonko, Me Etienne Ndione, par exemple, s’y est mis pour encenser le juge et déclarer au passage que ce verdict est la preuve qu’il y a des juges indépendants au Sénégal et que même un vent d’indépendance serait en train de souffler sous nos cieux.

Pour un avocat, on peut bien comprendre une telle déclaration car les robes noires ont cette fâcheuse tendance à aller dans le sens du vent. Leurs commentaires sont toujours fonction du verdict, suivant que cela les arrange ou les défavorise.

Ce qu’on ne peut pas comprendre par contre, ce sont les revirements de certains leaders, partisans ou sympathisants pastéfiens sur les réseaux sociaux, lorsqu’ils se mettent à encenser les juges lorsque les jugements leur conviennent ou à les décrier lorsqu’un verdict les incommode. C’était le cas avec le juge Yakham Keïta dans le procès pour diffamation en 1ère instance lorsque la peine prononcée, quoique jugée excessive sur les dommages et intérêts et 2 mois avec sursis qui ne rendaient en aucun cas Ousmane Sonko inéligible. La suite on la connaît, le procureur avait interjeté appel et le jugement devant la juridiction de 2e degré avait corsé la peine à 3 mois, ce qui rendrait le leader de Pastef inéligible une fois le pourvoi au niveau de la cour suprême confirmée. Ce qui n'est pas encore le cas.

Le jugement qui avait le plus ulcéré le peuple pastéfien et leurs sympathisans, à la vérité, c’est celui relatif au procès Adji Sarr-Ousmane Sonko pour lequel une certaine opinion a eu des choses à redire surtout avec la requalification des faits. Pour des profanes du droit en effet, il s’agit là d’une décision inique car ils voyaient bien Ousmane Sonko obtenir un acquittement, le viol n’ayant pas été retenu. La disqualification et requalification existent certes en droit, mais pour un tel procès qui avait tenu le Sénégal en haleine et duré autant de temps, c’était trop de requalifier les faits au lieu d’aboutir à un verdict d’acquittement. Pour ceux-là qui décriaient la décision, c’est plutôt une volonté de trouver n’importe quelle qualification juridique connexe au viol pour condamner Ousmane Sonko, qui a été retenue.

Une situation toutefois incompréhensible, c'est cette décision de justice demandant à remettre les fiches de parrainage d'Ousmane Sonko à son mandataire qui se retrouve bloquée.

Le droit, en plus d'être une affaire de spécialités, n'est pas à la portée de tout le monde 

Le droit a en tout cas sa logique qu’il n’est pas donné à tout le monde de comprendre. Même le spécialiste du droit constitutionnel se trompera d’autant plus facilement sur la matière pénale qui n’est pas sa spécialité ; et vice-versa. De la même façon, le praticien du droit pénal au quotidien maîtrise bien plus les arcanes de cette matière que le professeur de droit pénal qui est bien plus dans la théorie que la pratique. En effet, des pratiques qui ne sont pas codifiés, finissent par être des sources du droit et sont admis par tous les praticiens : la preuve par ce qu’on appelle «retour de parquet». Que dire maintenant du profane du droit tout court qui se permet de prendre des positions ? Il ne le fait que sur la base de sa simple subjectivité.

Tout cela nous administre la preuve qu’il n’existe nulle part sur terre, un pays où tous les juges sont à la fois mauvais ou à la fois tous bons. Et ce verdict nous montre à quel point les justiciables peuvent être versatiles et injustes. Daouda Mine, présent récemment à « Infos du Soir » sur la TFM, a été encensé par le peuple de Pastef pour avoir fait des commentaires qui leur conviennent ; et pourtant ce même chroniqueur judiciaire avait été pris à partie à certaines occasions car certains de ses commentaires ne plaisaient pas.

Loin de dire que la justice fonctionne de manière parfaite, les comportements de ceux qui apprécient les décisions de justice, peuvent parfois être motivés par une méconnaissance du droit qui contient tellement de subtilités. Certains ne savent pas par exemple que rien que sur des aspects de forme, un prévenu peut être libéré, quand bien même il peut être l’auteur des faits qu’on lui reproche. Mais pour mieux juger la justice, il suffit d’en connaître les textes, les logiques et les procédures, sans oublier ses autres sources que sont la jurisprudence et la doctrine. Et le juge ne se fonde que sur des textes de lois pour juger, ne se préoccupant point du bon sens. Le juge, disent les textes, n’est soumis qu’à l’autorité de la loi.

Ces victoires de Pastef nous montrent en tout cas, à quel point la seule voie, dans le cadre d’un différend dans une démocratie, fut-elle imparfaite, ne peut être que celle où les tribunaux sont les arbitres, et certainement pas la violence. Et parfois le dialogue. Ne dit-on pas qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ?

Depuis que les avocats de Sonko ont commencé à s’installer sur le terrain juridique, leurs actes commencent à être couronnés de succès. Sur le terrain de la politique qui n’est pas le leur, ils se trouvent confrontés à plus aguerris et plus carapacés qu’eux. Et comme l’avait suggéré l’avocat-politicien, Me Moussa Diop, l’avocat est conseil et ne doit pas suivre aveuglément son client, quitte à se désister si ce dernier ne veut pas l’écouter.

Mais la leçon à toutefois retenir de tout cela, est que la justice, de toute façon, devra opérer sa mue sur les questions notamment d’indépendance, de rapports avec le parquet et de fonctionnement, tant elle a été houspillée ces dernières années. L’activisme de Téliko en tant président de l’UMS, a montré à quel point cette demande pressante de réduction des pouvoirs du procureur de la république, son ancrage à l’exécutif, la réforme du conseil supérieur de la magistrature, etc. sont une demande sociale. Au-delà, c’est la question de séparation des pouvoirs qui se joue. Une raison sans doute pour laquelle, beaucoup de candidats surfent sur cette vague pour déclarer à qui veut l’entendre qu’ils réformeront la justice, une fois au pouvoir. Le peuple a fini de comprendre que les politiciens avancent tous masqués. Et ce sont ceux qui votent pour eux, qui finissent toujours par trinquer.