NETTALI.COM - Dans un tournant décisif, la Cedeao et l’Union africaine (Ua) ne s’entendent pas sur une position commune pour une sortie de crise au Niger. Si la Cedeao est prête à mettre en marche sa force militaire en entente sur Niamey pour rétablir l’ordre constitutionnel, l’Ua joue, pour le moment, la carte diplomatique. Des positions divergentes qui risquent de faire le jeu de la junte dirigée par le Général Abdourahmane Tchiani, qui a pris le pouvoir depuis le 26 juillet dernier.  

Un vent de désaccord souffle sur l’avenir de la crise nigérienne. Au niveau régional, continental comme international, les positions sur une intervention militaire pour un retour à l’ordre constitutionnel au Niger font désordre. On n’est pas sur la même ligne. Après la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest), c’est au tour des membres du Conseil paix et sécurité(Cps) de  l’Union africaine (Ua) d’être divisés sur l’option militaire pour rétablir le Président Bazoum dans ses fonctions. La réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’Ua qui s’est tenue le 14 août dernier, s’est terminée par un profond désaccord. L’Ua refuse, pour le moment,  l’usage de la force et opte pour la poursuite du dialogue et des négociations pour faire revenir la junte à la raison.

Pour le spécialiste des relations internationales, Aly Fary Ndiaye, cette option de l’Union africaine illustre l’engagement continu de l’organisation continentale en faveur de la paix et de la stabilité dans la région. Aly Fary Ndiaye souligne que contrairement à la Cedeao, qui a choisi de maintenir l’option d’un usage de sa force militaire en attente, l’Union africaine a opté pour une position prudente et de désescalade. Ce qui risque d’affaiblir le poids de la Cedeao dans la sous-région et poser la question sur la légitimité d’une éventuelle opération militaire. «L’intervention militaire ne fait pas l’unanimité au sein de la Cedeao, maintenant c’est au niveau de l’Ua et ça devient plus complexe. A l’intérieur de la Cedeao, les gens voient quatre États (Nigéria, Côte d’Ivoire, Sénégal et Bénin) comme les pays qui sont plus pour l’intervention militaire. Or, trois parmi eux sont vus comme des pays favorables à la France qui a sa main invisible dans leurs prises de position. Dans cette crise-là, le Niger est en train de devenir pour la France ce que l’Irak a été pour les États-Unis. C’est-à-dire un champ où l’intervention est fonction de la défense des intérêts de la France avec l’uranium. A tort ou à raison, les présidents du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Bénin sont vus comme des gens trop favorables à la France», explique-t-il.

«La Cedeao risque de voir son unité fortement impactée par cette crise au Niger»

A côté de ces États, Aly Fary Ndiaye indique qu’il y a des pays comme le Cap-Vert, le Togo, etc. qui sont dans la Cedeao mais qui sont contre une option militaire. D’après lui, ces pays savent que dans cette situation même si on gagne la guerre, on perd la paix parce que jusqu’à présent il n’y a pas un plan clair de sortie de crise. Et cela peut faire du Niger un bourbier où les terroristes vont avancer. A côté de ces deux groupes, il y a des pays qui sont foncièrement contre une intervention militaire et qui soutiennent la junte. «Donc, si on ne fait pas très attention, la Cedeao dans sa composition actuelle risque de voir son unité fortement impactée par cette crise-là. Si la Cedeao continue dans ces divergences et ces positions, son avenir sur les questions de gouvernance politique risque d’être trop sombre. Elle risque une implosion ou un retrait de certains pays de l’organisation», prévient-il. En revanche, Aly Fary Ndiaye fait savoir que les pays qui sont pour l’intervention militaire sont des pays qui veulent faire un containment pour empêcher que la vague de coup d’Etat n’arrive dans leur pays où un certain nombre de problèmes intérieurs se posent.

Pour le politologue et spécialiste des relations internationales, Babacar Ndiaye, ça risque de faire désordre que l’Union africaine ne soit pas sur la ligne de l’option militaire tracée par la Cedeao.  D’après l’enseignant-chercheur à l’Université cheikh Anta Diop de Dakar, cela montre que la première option de l’Union africaine est la voie diplomatique. Ce qui est tout à fait compréhensible au point de vue de la dimension de l’organisation continentale. «L’Ua n’est pas la Cedeao, c’est 54 États, il y a eu forcément une manière différente de voir les choses. Le fait qu’on est en désaccord sur l’option militaire entre la Cedeao et l’Ua, cela va faire le jeu de la junte qui est en train de s’installer carrément. Les putschistes ont nommé un Premier ministre et ils sont en train de mettre en place les organes pour crédibiliser leur coup d’Etat. Ils sont en train d’assurer leur légitimité, et en gagnant du temps on a même eu du mal à croire que Bazoum va revenir aux affaires et reprendre le pouvoir. «Avec cette posture, nous pensons que l’Ua va demander de privilégier l’option diplomatique avec des discussions pour faire revenir la junte à la raison», indique-t-il. Toutefois, il précise que malheureusement cette option diplomatique n’a pas montré beaucoup d’efficacité depuis plusieurs semaines.

«Le désaccord sur l’option militaire entre l’Ua et la Cedeao fait le jeu de la junte»

Babacar Ndiaye : «Il y avait un ultimatum qui a été posé par la Cedeao qui menaçait d’intervenir militaire si la junte ne respecter pas ses conditions. Mais, le délai a expiré et la Cedeao a reculé pour continuer à privilégier la voie de la diplomatie. Les États-Unis sont aussi intervenus dans le jeu. L’option militaire est sur la table mais on va continuer à dialoguer, mais l’Ua peut rejoindre la Cedeao. De toute évidence, cette décision de l’Ua fait le jeu de la junte qui va continuer à créer une légitimité auprès des populations pour asseoir le coup d’Etat. Ce qui fait que le retour à l’ordre constitutionnel devient de plus en plus incertain. Mais, l’Ua veut faire croire qu’il peut y avoir encore un dialogue avec les putschistes et que la force militaire doit être l’ultime recours».

Aly Fary Ndiaye soutient que toute intervention militaire doit être précédée par des schémas diplomatiques de sortie de crise. «Aujourd’hui, ne serait-ce que la sécurité du Président Mohamed Bazoum et celle de sa famille, la diplomatie et les négociations doivent se faire. Et ces négociations ont plus de chances d’aboutir si elles sont conduites par l’Union africaine que la Cedeao. L’Ua serait vue comme un partenaire plus fiable et plus objectif que la Cedeao», souligne-t-il.