NETTALI.COM - Un livre blanc sur les événements sanglants de juin a été produit par le gouvernement du Sénégal qui y donne sa version. Il retrace l’histoire de l’affaire dite “Sweet Beauté”, du début jusqu’aux manifestations du mois de juin, en passant par la décision du juge.

Récemment, recevant les représentations diplomatiques accréditées au Sénégal et les responsables d’organismes internationaux présents dans le pays, la ministre des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall, leur avait promis la remise d’un livre blanc qui relate les événements sanglants de ces derniers jours, qui ont secoué le pays. C’est fait. Le livre retrace les faits dans l’affaire Sweet Beauté. En effet, tout commence en février 2021, lorsqu’une jeune fille de 20 ans, du nom d’Adji Raby Sarr, porte plainte nommément contre Ousmane Sonko, responsable du parti politique Pastef, l'accusant de menaces de mort et de viol sur sa personne. La jeune masseuse expliquait alors qu'à plusieurs reprises, M. Sonko l'aurait violée sous la menace d’armes, lui faisant faire des actes obscènes et cela de façon répétée parfois en plein couvre-feu (du fait de la Covid), pendant que la liberté de circuler était restreinte, voire interdite à ces heures. Elle adressa, sur ces faits, une plainte en bonne et due forme déposée à la gendarmerie.

“La procédure, suivie régulièrement selon la loi, a duré plus de deux ans, de l'enquête de gendarmerie au juge d'Instruction, en passant par l'Assemblée nationale (Ousmane Sonko étant à l'époque député, il a fallu au préalable lever son immunité parlementaire)”, commente le gouvernement dans le livre blanc. Le document note que dans cette affaire purement privée, l”’État n'est pas parti au procès pour n'y avoir aucun intérêt, sauf à faire respecter la loi en faveur des deux parties en présence”. En effet, selon le livre, le rôle de l'État a seulement consisté à garantir la justice à toute personne qui la sollicite, par l'organisation d'un procès équitable et impartial. “Pendant tout le temps de la procédure, Ousmane Sonko a cherché à politiser le dossier en criant au complot, cherchant par tous les moyens à impliquer l'État, mais surtout en multipliant les appels au meurtre, à l'insurrection et au soulèvement populaire. L'État ne l'a jamais suivi sur ce terrain de violence, s'occupant à préserver la paix sociale et à organiser, comme il est de son devoir, le procès. C'est ainsi qu'après toutes les étapes de la procédure d'enquête et d'instruction menées de façon contradictoire avec Ousmane Sonko et ses avocats, celui-ci a été renvoyé devant les Chambres criminelles pour menaces de mort et viol”.

“A l'ouverture du procès, Ousmane Sonko se réfugia à Ziguinchor (une ville du sud du Sénégal dont il est maire). Il refusa de comparaître devant le juge au motif que sa sécurité n'était pas garantie, sans pour autant dire en quoi elle ne l'était pas. Après un renvoi, les juges ouvrirent le procès en l'absence d’Ousmane Sonko et de ses avocats qui, du fait de son refus de comparaître, ne pouvaient plus prendre la parole pour le défendre. En effet, la loi pénale au Sénégal prévoit que quand l'accusé ne comparaît pas pour des raisons expliquées et acceptées par le juge, ses avocats perdent le droit à la parole. C'est ce qui s'est passé. Dans son jugement du 1er juin 2023, les Chambres criminelles ont décidé d’acquitter Ndèye Khady Ndiaye (la gérante du salon où les faits se sont produits) de complicité de viol et de diffusion d'images contraires aux bonnes mœurs ; et la déclarer coupable d'incitation à la débauche, avant de la condamner à deux ans d'emprisonnement ferme. Quant à Ousmane Sonko, le juge l’a acquitté des menaces de mort et a disqualifié le viol en corruption de la jeunesse. Il est condamné à deux ans d'emprisonnement ferme, à 600 000 F d'amende à 20 millions à payer à la plaignante”, retrace le bouquin. “Pendant que la décision était en attente d'être rendue, Ousmane Sonko se mit à préparer ce qu'il a appelé la ’Caravane de la liberté’ pour quitter son refuge de Ziguinchor et rallier Dakar en traversant plusieurs localités du pays. En effet, il a, dans une déclaration filmée, demandé à tous ses militants et sympathisants de marcher sur la capitale, Dakar, d'aller à l'assaut du palais de la République rendre le pays ingouvernable et, dans ce qu'il a appelé le ‘combat final’, de renverser le président”, indique le gouvernement sénégalais. Sa caravane ayant pris départ le 26 mai, a enregistré un mort dès le deuxième jour où “des armes à feu et des armes blanches ont été saisies sur ses véhicules, à l'étape de Kolda”, selon la même source. “Sentant cette violence monter, l'État prit les dispositions idoines pour assurer l'ordre public, en mettant fin à une initiative illégale (les processions publiques doivent être autorisées) violente, voire meurtrière”, se justifie le gouvernement. C'est ainsi que Ousmane Sonko fut ramené à Dakar pour “faire cesser les troubles et autres violences occasionnés par son passage dans les localités traversées”, écrit-on.

Décision de justice et manifestations

Le 1er juin dernier, le verdict est tombé. Pour le condamner à deux ans, “le juge a strictement fait application de la loi pénale”, indique l’État du Sénégal. Il cite l'article 324 du Code pénal qui dit ceci : “Quiconque aura attenté aux mœurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l'un ou l'autre sexe au-dessous de l'âge de 21 ans, ou, même occasionnellement, des mineurs de 16 ans, sera puni d'une peine de 2 à 5 ans et d'une amende de 300 000 à 4 millions F CFA”. Car “il était manifeste, au regard des faits, des témoignages et des pièces au dossier, que la plaignante était devenue un objet sexuel entre les mains d’Ousmane Sonko qui la contraignait à se livrer à des pratiques vicieuses et immorales, et ce, de façon répétée”, indiquent les dirigeants. Ainsi, pour les tenants du pouvoir, il s’agit d’un verdict juste, car, selon eux, dans cette affaire, il s'est agi d'une véritable incitation à la débauche que la loi punit comme indiqué ci-avant. À la question : comment le juge, saisi pour viol et menaces de mort, a abouti à ce délit qui, au départ, n'a jamais été visé par l'enquête ?

Le livre répond : “C’est que, en droit, le juge est saisi de l'ensemble des faits qui se sont produits et pour lesquels il est libre de donner la qualification qu'il croit exactement conforme à la loi pénale et selon son intime conviction.” Ainsi, selon le gouvernement, si le juge considère, en examinant les faits tels qu'ils ressortent du dossier des différents témoignages à la barre, que les poursuites doivent se fonder, non pas sur le viol, mais plutôt sur une autre infraction, alors, la loi et son pouvoir d'appréciation souveraine lui permettent de retenir ce délit en qualifiant les faits à nouveau. “Dès lors, il n'y a rien d'extraordinaire, encore moins d'illégal, que le juge ait rejeté le viol pour dire que les faits objets de l'enquête et du dossier relèvent de la corruption à la jeunesse”, soutient-on. De ce fait, à leurs yeux, “une telle décision démontre, à suffisance, l'indépendance du juge, sa libre appréciation des faits et de leur qualification”. Il faut préciser qu’Ousmane Sonko n'ayant pas comparu, cette condamnation a été prononcée par contumace, c'est-à-dire par défaut. Alors même que la possibilité lui est offerte par la loi de faire opposition à la décision et de se faire ainsi rejuger, le leader de Pastef n’a pas pris cette option.

Pour le gouvernement, “Ousmane Sonko a adopté, comme à son habitude, la stratégie de la violence et du chaos. Lui et ses partisans appelèrent à des manifestations violentes qui ont éclaté dans le pays, principalement dans la région de Ziguinchor et dans celle de Dakar et sa banlieue”, regrette le gouvernement. En effet, des bandes ont systématiquement attaqué, saccagé, pillé les édifices publics. Elles ont saccagé et brûlé, au moyen de cocktails Molotov, une partie de l'université de Dakar, pillé des banques et autres établissements privés, détruit et brûlé des biens et propriétés de personnes privées. Mais pire, soulignent les dirigeants du pays, elles ont surtout failli, n'eût été la vigilance et le professionnalisme des forces de l'ordre, s'attaquer à des centres névralgiques en sabotant les installations d'eau, d'électricité et le bon fonctionnement du TER (Train express régional) qui dessert la banlieue en vue de mettre Dakar dans un état de chaos destructeur total.

Cyberattaque et restriction de l’accès à Internet

À signaler que quelques jours auparavant, le 26 mai, un groupe dénommé “Anonymous” a attaqué le système informatique de l'État, paralysant tout son fonctionnement. Ainsi, l’État croit savoir que la violence de ces manifestations et leur caractère simultané relayaient une organisation planifiée et concertée. “Il est même apparu qu'un concours de forces occultes leur a été prêté, à l'instar de ce qui s'était déjà produit en mars 2021, quand Ousmane Sonko avait encore appelé à la violence pour s'opposer à la convocation d'un juge dans le même dossier”, accuse le gouvernement. “Malgré la surprise et la violence du choc, l'État sut résister et rester débout : pour rétablir l'ordre public pour assurer la sécurité des personnes et des biens. N'eût été le professionnalisme des forces de défense et de sécurité ainsi que leur sang-froid, l'on aurait dépassé les 16 morts décomptés à ce jour”, poursuit-il. Selon le livre, comme pour les événements de mars 2021, une enquête judiciaire a été ouverte sur ces décès (ceux de 2021 comme les plus récents). “Les responsabilités seront situées et toutes les sanctions qui doivent en découler appliquées sans faille et avec toute la rigueur requise contre les auteurs de ces forfaits”, peut-on lire dans le document. D’autant qu’il ressort clairement d'éléments filmés et de témoignages incontestables ceci : “Que des manifestants étaient armés et ont tiré sur d'autres manifestants, parfois au moyen d'armes de guerre ; que des manifestants étaient armés et ont tiré sur les forces de défense et de sécurité ; que des manifestants se sont entretués en se partageant le butin de leur pillage. La violence armée et non armée était donc incontestablement bien de leur camp.”

À l'opposé, poursuivent les dirigeants sénégalais, “l'on a vu les éléments des forces de défense et de sécurité qui, attaqués par des manifestants, ont préféré prendre le risque de mourir plutôt que de tirer sur la foule, alors même qu'ils étaient armés et en état de légitime défense. Pendant que tout le Sénégal était en souffrance et en désolation face au chaos (forces de défense et de sécurité, manifestants comme populations paisibles), Ousmane Sonko et les responsables de son parti, cloîtrés dans leur domicile, ont continué, par des communiqués répétitifs, à appeler à la violence et à l'insurrection générale”. C'est cette situation, disent-ils - plus particulièrement “l'appel au meurtre, à l'insurrection et à la haine sociale via les réseaux sociaux” - a fondé la décision du gouvernement de restreindre graduellement et momentanément l'usage d'Internet. “Le Sénégal, État de droit, ne peut concevoir ni accepter qu'un de ses citoyens organise le chaos et refuse de se soumettre à la loi, au droit et à la justice”, souligne le gouvernement, qui prévient qu’il ne saurait tolérer et accepter qu'un citoyen, quel que soit son statut, puisse se soustraire à l'exécution d'une décision de justice rendue souverainement par des juges. “Ce serait faire offense aux autres millions de Sénégalais qui croient à la justice et acceptent de se soumettre à ses décisions. Car, dans un État de droit où nul n'est au-dessus de la loi, seule la justice peut garantir l'égalité parfaite entre les citoyens”, déclare le gouvernement.