NETTALI.COM - La rencontre entre le Président Macky Sall et Marine Le Pen, révélée par le journal français le Point a été suivie d’une grosse polémique. Pourtant des spécialistes en relations internationales n’y voient pas de quoi s’alarmer.

Les germes de la polémique ont été posés dès l’annonce de la visite de trois jours au Sénégal, de Marine Le Pen, chef de file du Rassemblement national, parti d’extrême droite, en France. Alors que la norme veut qu’un visiteur reçoive des mots de bienvenue, Marine Le Pen a eu droit à des mots de rejet. Politique, activiste, société civile n’ont pas raté le Pen. «Que vient faire au Sénégal Marine Le Pen, qui incarne en France le racisme et la xénophobie depuis des décennies ? En tant que militante antiraciste, je ne lui souhaite absolument pas la bienvenue au Sénégal !», s’étonnait l’ancien Premier ministre, Aminata Touré. «Aucun Africain ne devrait concéder quelque tolérance que ce soit à Marine Le Pen», ajoutait avec fermeté l’ancienne ministre Aïda Mbodj. Boubacar Sèye, président de l’association Horizons sans frontières, qui travaille sur la migration, rappelait, un brin amer : «Marine Le Pen a été le levier-moteur des contre-valeurs poussant la France et l’Europe à des sentiments racistes et xénophobes.» Mais Marine Le Pen, même «indésirable» est quand même venue au Sénégal. Mieux, selon le journal français, Le Point, Marine Le Pen a été reçue en audience par le président de la République, Macky Sall avant-hier, mercredi. «L'échange en tête-à-tête qui a duré une heure se voulait le point d'orgue du déplacement de la cheffe de file du Rassemblement national au Sénégal», rapporte le journal. Dans ses confidences, Le Pen commente : «C'est un homme charmant. Nous avons eu une conversation intéressante et chaleureuse. Nous avons abordé la nécessaire coopération entre le Sénégal et la France, la francophonie ainsi que l'ensemble des perspectives de développement du Sénégal. Sur le plan énergétique aussi bien que sur celui de la souveraineté alimentaire.»

Si cela a surpris, c’est qu’aucune photo n'a été prise de l'entrevue. Aucune information officielle des services de communication du Palais sur la prétendue audience. Pas même un petit mot sur les plateformes numériques de la Présidence. Cela a été jalousement gardé, tel un secret d’Etat, avant que le journal Le Point ne lève le lièvre. L’une des premières réactions est encore venue de Aminata Touré. Sur ses plateformes numériques, elle semble tomber des nues, devant l’article du journal Le Point : «Je n’ose pas croire que cette information est vraie. Si c’est le cas, nos compatriotes sénégalais et africains vivant en France qui subissent depuis des décennies les attaques racistes et xénophobes du Front national apprécieront.»

«Macky Sall, en recevant Marine Le Pen, donne un blanc-seing à l’extrême droite française, à la montée de l’islamophobie et à la haine des migrants»

La polémique ne s’arrête pas là. Connu pour son combat contre la France, Guy Marius Sagna considère cette audience comme une association du Président Macky Sall aux fascistes. «(…)Suppôt du capitalisme néolibéral et adepte du durcissement autoritaire de l’État, Macky Sall, en recevant Marine Le Pen, donne un blanc-seing à l’extrême droite française, à la montée de l’islamophobie et à la haine des migrants. Signataire de plusieurs protocoles d'accord avec des pays européens sur la gestion des flux migratoires, Macky Sall est en accord idéologique avec Marine Le Pen qui milite pour l’expulsion des migrants, l’interdiction du port du voile, la suppression du regroupement familial…», déplore-t-il dans un communiqué.

Des réactions virulentes que ne comprend pas Aly Fary Ndiaye, spécialiste en relations internationales. Selon lui, il n’y a pas de quoi s’alarmer. «Je ne vois pas en quoi cela peut déranger les gens. C’est une personnalité française qui a ses idées. Elle a un agenda qui consiste à gérer la France qu’elle a connue, la France blanche, conservatrice comme Donald Trump l’a fait. Le Sénégal est un pays de liberté, d’ouverture et de Téranga. Toute personne qui le désire et qui ne constitue pas une menace pour la sécurité intérieure peut se permettre, si elle remplit les formalités, de venir visiter le Sénégal et repartir.» Aly Fary Ndiaye est d’avis qu’il n’y a rien de gênant. «Les dires politiques d’une personnalité ne doivent pas être un obstacle à son oppression. Marine Le Pen, même si son agenda est contre les Africains, représente plus de 20% des Français. Cette visite peut changer sa perception de la race noire, des Sénégalais, quand elle verra ces gens travailler dans leur dignité. Je ne vois pas d’obstacle qu’elle visite le Sénégal.» Dans son argumentaire, Aly Fary Ndiaye estime que la position de l’audience est en fonction de sa représentativité. «Si son discours est fort, c’est parce qu’il est partagé par une bonne partie des Français. Le Président reçoit les gens en fonction de leur représentativité. On peut ne pas être d’accord avec ses idées, mais elle représente une certaine frange de la population française qui pense que pour défendre son territoire, il faut se débarrasser des musulmans et des Africains. Si elle est partagée par plus de 20% de la population, cela veut dire que c’est la France en elle-même qui est xénophobe. Elle développe des idées racistes, mais ces idées-là, il faut les combattre avec des idées, mais pas avec la violence. Un pays moderne doit se battre pour ses idées afin de parvenir à démonter les arguments de Le Pen parce que si on refuse l’argumentaire pour l’oppression, cela veut dire que nous ne sommes pas un pays qui est à un stade de démocratie avancée.»

«Il n’y a rien de choquant à ce que le Président reçoit Marine Le Pen, aborde des questions de fonds sur l’immigration et lui oppose sa conception»

Les arguments de Aly Fary Ndiaye sont soutenus par Moussa Diaw, Docteur en Sciences politiques, Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis. Selon lui, le Sénégal est libre de recevoir des leaders politiques, des députés français. «Le Président est ouvert au choix des députés, des leaders politiques de France qui viennent visiter le Sénégal. Ça rentre dans le cadre de la diplomatie sénégalaise.» Sur le discours de Marine Le Pen, Dr Diaw pense qu’il y a un discours tenu à l’intérieur du pays et un discours tenu à l’extérieur. «Elle joue sur plusieurs tableaux en fonction des possibilités d’engranger un électorat. Le discours qu’elle tient pour les Français n’est pas le même qu’elle entretient à l’extérieur du pays notamment avec des pays comme le Sénégal. Cette audience, c’est l’occasion d’échanger avec cette personnalité et de lever toute ambiguïté ou tout préjugé par rapport à l’immigration, justement d’aborder cette question qui est le fonds de commerce du parti de Marine Le Pen.» Il poursuit : «Il n’y a rien de choquant à ce que le Président reçoit Marine Le Pen et aborde des questions de fond sur l’immigration et lui oppose la conception sénégalaise de l’immigration et sa conception des relations entre le Sénégal et la France. Ne pas la recevoir, ce n’est pas une bonne position sur le plan diplomatique, il faut être ouvert et discuter avec les gens quelle que soit leur idéologie.»