NETTALI.COM - Au moment où le débat relatif à la vente d’une partie de l’assiette foncière de l’hôpital Aristide  Le Dantec fait rage,  l’Ofnac qui avait commandité une étude sur la corruption dans le secteur foncier, a rendu public son rapport. Ce document accablant de 80 pages a révélé que le foncier est gangrené par la corruption.

L’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), qui contrôlait d’habitude les entreprises étatiques, s’est cette fois-ci intéressée à la corruption notée dans le secteur foncier au Sénégal.  Cet organe de contrôle, dont la mission consiste à prévenir et lutter contre la fraude, la corruption, les pratiques assimilées et les infractions connexes, a confié au Consortium pour la Recherche Économique et Social (CRES) une étude sur la corruption dans ce secteur à problèmes qu’est le foncier… »

D’entrée de jeu, ces experts qui ont rendu public un document de 80 pages, ont justifié le sens de leur démarche : « Le foncier qui est l’espace sur lequel s’exerce l’essentiel des activités humaines, suscite beaucoup de convoitises, surtout dans les départements de Dakar, Thiès et Mbour. Dans le contexte actuel caractérisé par une marginalisation de plus en plus remarquée du droit foncier positif, on assiste à une ruée vers la terre et à une prolifération de pratiques de corruption et de fraude…».  En effet, selon le document final sur la corruption dans le secteur foncier, « cette étude a révélé l’existence de risques ou vulnérabilités à la corruption du fait, d’abord, d’un cadre légal formel, sur certains points, anachronique et qui est bousculé par le droit coutumier (pourtant officiellement supprimé depuis 1964) et, ensuite, de l’existence d’éléments extérieurs influant négativement sur l’administration des terres du  domaine national mais aussi la gestion du domaine de l’État… ».

Cadre légal et institutionnel « obsolète »

Le rapport a aussi décrié le cadre légal et institutionnel, régissant le foncier : «Le cadre légal et institutionnel qui le régit présente beaucoup d’obsolescences du fait de mutations importantes dans la démographie, de l’occupation du territoire, des nouveaux enjeux économiques autour des terres cultivables et de nouvelles exigences en matière de sécurisation foncière. Du point de vue juridique, le foncier au Sénégal ne peut faire l’objet d’une perception unitaire dans la mesure où les terres du domaine national (l’immense majorité des terres) coexistent avec le domaine de l’État subdivisé en domaine public et domaine privé et les terres, objets de titres fonciers appartenant aux particuliers(…).»

«L’environnement d’ensemble du foncier est constitué du cadre juridique et de pratiques dictées par des externalités négatives sources de conflits fonciers et de vulnérabilités à la corruption. Le cadre juridique mis en place, pour l’essentiel dans un contexte qui a évolué, est frappé d’ineffectivité du fait justement du caractère dépassé de certaines de ses règles», note-t-on dans le document, lequel après avoir précisé que le cadre juridique est frappé, par endroits, d’anachronismes, renseigne qu’une «représentation photographique du système foncier au Sénégal laisse apparaître trois grands ensembles(…) : Le domaine national, le domaine public et le domaine privé de l’État(…).»

Le rapport commandité  par l’Ofnac s’est aussi intéressé sur la Nature et le régime juridiques du domaine national, qu’il a défini ainsi : « aux termes de l’article premier de la loi n°64-46 du 17 juin 1964, constituent de plein droit le domaine national, toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées et dont la propriété n'a pas été transcrite à la Conservation des hypothèques(…), à  l’exclusion de celles faisant l'objet d'une procédure d'immatriculation au nom d'une personne autre que l'État(…)»

Le volumineux document rendu public par l’Ofnac, fait également  état du mode de constitution considéré comme un facteur de contestations et de résistance à l’application de la loi : « En 1960, les autorités sénégalaises se sont inscrites dans la mouvance notée au niveau de la plupart des États nouvellement indépendants de faire de la coutume un « non-droit » en matière foncière. Puisque le choix avait été fait de ne pas s’inscrire dans la logique d’une «expropriation» ou d’une nationalisation avec tout ce que cela comporte comme charges pour l’État, la démarche  finalement retenue et exécutée a consisté à mettre les occupants ancestraux en situation irrégulière du fait de leur propre carence. Les autorités sénégalaises ont alors adopté, comme moyen de suppression des droits fonciers coutumiers, la technique consistant à imposer l’immatriculation dans des délais relativement courts(…)

 Difficultés dans la gestion du domaine de l’État

L’inapplicabilité immédiate de la réforme de 1964 n’a pas été bénéfique pour le secteur foncier. Tel est le constat fait par les experts qui ont travaillé sur le sujet :  « Pour n’avoir pas mis en place les moyens de mise en œuvre de la loi n°64-46, l’État n’a pas créé les conditions d’efficacité du système qui passe obligatoirement par l’effectivité du droit posé. En effet, l’État a tardé à mettre en place le cadre juridique de la principale institution de  la réforme, la communauté rurale. La loi n° 72-25 du 19 avril 1972 relative aux Communautés rurales, n’a été adoptée que huit (08) ans après le vote de la loi sur le domaine national.  La mise en place du cadre juridique n’a pas entraîné immédiatement le montage institutionnel  des communautés rurales. L’État a opté pour la prudence en adoptant la formule d’une application progressive, région après région. C’est ainsi que jusqu’en 1980, certaines régions n’étaient pas touchées par la réforme. Par ce retard, l’État a favorisé les conditions d’une perpétuation des tenures foncières traditionnelles au niveau des chefs coutumiers. En outre, le flou entourant la notion de mise en valeur, un élément fondamental dans le système d’administration du domaine national, a été pour beaucoup dans les difficultés d’application de la loi sur le domaine national. Elle conditionne l’accès à la terre, mais aussi la stabilité sur le sol du domaine national (sauf pour motif d’intérêt général), la désaffectation ne peut être prononcée principalement que parce qu’il y a absence ou insuffisance de mise en valeur). Malgré ce caractère stratégique, la notion de mise en valeur n’a jamais été définie officiellement(…).

L’état du Sénégal éprouve de réelles difficultés liées à sa non-maîtrise de son patrimoine foncier. En effet, c’est « au nom de l’exigence de maîtrise de la consistance du domaine privé de l’État que le législateur de 1976 a tenu à ce que le tableau général des propriétés immobilières de l’État dépendant du domaine privé soit tenu à jour. L’autorité réglementaire est même allée jusqu’à exposer la configuration de ce tableau qui devait comprendre trois parties avec :Une première comprenant les immeubles affectés, classés par région et département et par service ou organisme utilisateur(…).

Le document relève également que « le législateur de 1976 soumet toutes les opérations intéressant le domaine de l’État à l’avis de la Commission de Contrôle des Opérations Domaniales (CCOD) qui est tenue de se prononcer sur leur opportunité, leur régularité et leurs conditions financières. La CCOD regroupe, sous la présidence du représentant du Ministre chargé des domaines, neuf autres Directeurs nationaux concernés par le foncier. Le fait que cette instance siégeant à Dakar doive donner son avis sur l’opportunité et les conditions financières de tout projet intéressant le domaine de l’État (quelle que soit sa situation géographique) combiné à l’absence de maîtrise par l’État, de son patrimoine foncier, est source de mal administration. Cela ne répond nullement à l’exigence de déconcentration des services de l’administration foncière qui devrait accompagner la dynamique de décentralisation. Il ne peut en résulter que des manquements comme ceux relevés par l’Inspection Générale d’État (IGE), pour qui, la CCOD a manifestement failli à sa mission, pour n’avoir pas émis un avis défavorable, lorsque les autorités dans l’affaire du Monument de la Renaissance Africaine, ont pris l’option de contracter avec une structure privée au lieu de transiger directement avec l’IPRES et avec la Caisse de Sécurité Sociale, des démembrements de l’État (voir rapport public 2014 sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes, p. 75)(…).

 Faible protection du domaine public

D’après toujours le rapport de l’Ofnac, le domaine public est faiblement protégé. « Aux termes des dispositions de la loi n° 76-66, le domaine public est constitué des biens de l’État qui, en raison de leur nature ou de la destination qui leur est donnée, ne sont pas susceptibles d'appropriation privée. Il est inaliénable et imprescriptible et nul ne peut l’occuper, s’il ne dispose d’une permission de voirie, d'une autorisation d'occuper, d’une concession ou d'une autorisation d'exploitation. Il est clair que cette volonté du législateur n’est point respectée. Le domaine public est agressé de toutes parts, qu’il s’agisse du domaine public routier, du domaine public fluvial et du domaine public maritime. S’agissant du domaine public routier, son état d’encombrement saute à l’œil nu. Il est occupé en règle général, illégalement par les étals, tables et cantines des commerçants, les épaves des véhicules, les dépôts des chantiers (ferrailles, gravats, sable…), les conduites diverses et autres installations des concessionnaires, les panneaux publicitaires, les laveurs de voitures sur les voies et dans les lieux publics (en dépit de ce qu’en dit la loi n° 87.71 du 5 juillet 1983 portant Code de l’hygiène)…

 Recommandations

 Ainsi, après avoir décelé des cas patents de corruption dans le secteur du foncier, l’Ofnac  a proposé des mesures de correction pour que de  tels dysfonctionnements soient évités à l’avenir. Ces mesures visent  les réformes du cadre juridique, les réformes préconisées dans le système de gestion du domaine privé de l’Etat, la création de conditions d’une plus grande célérité dans l’instruction des dossiers par l’administration foncière, l’instauration d’une plus grande       transparence dans la gestion des domaines privés de l’Etat….