NETTALI.COM - Sous nos cieux, c’est désormais devenu une habitude que de rejeter systématiquement toute information relative aux affaires politico-judiciaires impliquant l’opposition et le pouvoir. Plus qu’une habitude, c’est même devenu un réflexe. Et les cas sont nombreux pour étayer cet état de fait.

Depuis la supposée affaire de viol qu’il est convenu d’appeler l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko, la justice et les forces de sécurité sont systématiquement au cœur d’une grande suspicion. Ce qui ne manque pas de créer une confusion sans précédent, à un point tel qu’il est devenu difficile de savoir qui croire et quoi croire.

L’information relative à de supposés rebelles interpellés, la veille d’une manifestation de « Yewwi Askan Wi » -avec d’autres évaporés dans la nature-, est rendue publique, elle est aussitôt démentie sur les réseaux sociaux. Une autre concerne deux morts en Casamance, dont celle d'Idrissa Goudiaby, l'autopsie est automatiquement rejetée. Une autre information concerne un groupe de personnes arrêtées et dénommé « force spéciale », elle subit le même sort.
A chaque fois, ce sont les mêmes scénarii, démentis et dénégations qui se reproduisent. Les détracteurs de cette information, figurez-vous, sont même allés jusqu’à arguer que l’Etat a créé le terme « Force spéciale » dans une logique d’accabler les mis en cause.

Et pourtant, il n’est nullement question ici de considérer comme vraie toute accusation. Il n'est pas non plus question de dire qu'il n'existe point de bavures sous nos cieux. Les choses se passent en effet comme si ceux qui démentent ces informations, ne se fondent plus que sur leur subjectivité et une confiance qu’ils n’auraient plus par rapport aux forces de sécurité et aux agents de la justice, avec à la clef, des théories du complot qu’ils ne peuvent étayer.

Loin de dire que tous les agents de l’Etat sont crédibles, la question est de savoir si on pourrait se retrouver dans un cas de figure où aucun d’eux ne le serait ? Bamba Kassé, chroniqueur à «Jakarloo» sur la TFM, a lui proposé, à la place d’une dénégation sans fondement, une réponse plutôt factuelle dans l’affaire « Force spéciale ». Selon lui, on reproche à ces personnes arrêtées d’avoir constitué un groupe whatsapp qu’elles ont elles-mêmes nommé « Force spéciale ». Ce qui veut dire qu’il ne s’agit pas d’une qualification issue des autorités judiciaires, comme l’ont prétendu certains. Pire, celui-ci a fait savoir que ces personnes accusées, selon les termes de l’accusation, préparaient une insurrection. Il leur est reproché, si on en croit Bamba Kassé, d’avoir fabriqué des cocktails molotov et des objets tranchants et pointus en vue de s’attaquer aux intérêts français et en même temps de bloquer la mobilité des véhicules des forces de sécurité.

Ce qui est en tout cas constant, c’est ce que ce sont au total, avant le décès du sieur Mancabou, 11 personnes qui ont inculpées par le juge du 2ème Cabinet d’instruction de Dakar pour «complot contre l’autorité de l’État, d’association de malfaiteurs en rapport avec une entreprise terroriste, détention et transport de produits et substances incendiaires en vue d’un acte terroriste, destruction de biens appartenant à l’État ou intéressant la chose publique, financement du terrorisme».

Ousmane Sonko a attendu d'avoir, si on en croit son post, d'avoir les résultats de la contre-expertise de la mort d'Idrissa Goudiaby pour enfin se prononcer. Selon lui, le jeune Idrissa Goudiaby, le 17 juin dernier à Bignona, a été tué par balle. Le leader de Pastef se base ainsi sur une contre expertise menée par trois médecins. "Je tiens à informer l’opinion que la contre expertise, conduite par trois médecins indépendants, a conclu à la mort de notre frère Idrissa Goudiaby par balle", écrit le maire de Ziguinchor sur sa page Facebook. Avant d'ajoueter : "C’est un assassinat, un vil crime d’état, qui vient s’ajouter à la longue liste des victimes politiques de Macky Sall, toutes de Pastef." A l'en croire, le procureur de Ziguinchor a fomenté "une autopsie de complaisance et a menti aux Sénégalais". "Gravissime !", juge le leader de Pastef.

Une posture bien plus sage que cette meute qui nie à tout va, tout ce qu'il entend.

« La vidéo de 13 minutes » et ses conséquences

Toujours est-il que Le décès du sieur Mancabou est devenu une affaire dans l’affaire dite « force spéciale ». Et la sortie du procureur de la république, Amady Diouf n’a rien arrangé. Au contraire, elle est venue compliquer l’affaire. En cause ce que d’aucuns considèrent comme une erreur de communication et qui a attiré des suspicions. La vidéo de 13 minutes qu’il a évoquée et sur laquelle on peut voir, selon ses propres termes, le concerné cogner les grilles de la chambre de sûreté, ont conduit à sa mort. En tant qu’avocat de la société, maitre des poursuites, celui qui devra décider en dernier ressort, en cas de polémique de ce genre, le Procureur devrait se garder d’évoquer cette vidéo au risque de faire penser qu’il privilégie la version de la police au détriment de celle de la famille. Il se doit d’être neutre et d’attendre les résultats de l’enquête. Tout au plus, il devait se limiter à communiquer les mesures qu’il a prises : ouverture d’une enquête confiée à la Division des investigations criminelles (Dic), décision d’ordonner une autopsie en relation avec l’ordre des Médecins.

C’est aussitôt le déchaînement sur les réseaux sociaux et une certaine opinion a conclu que François Mancabou a été torturé par la police. Guy Marius Sagna y est même allé de son commentaire pour accabler Macky Sall et ses alliés, ajoutant même que le commissaire Bara Sangaré a torturé le sieur Mancabou.

Comble de l’émotion, certains ont même réclamé la publication de la vidéo. D’autres, un jury d’honneur avec des religieux et des membres de la société civile pour une indépendance de l’enquête. Bref c’est une confusion sans précédent qui est notée. Et difficile de savoir comment dénouer cette affaire tant la polémique enfle. Que ceux qui réclament comme «Fou Malade» la publication de la vidéo sachent raison garder. Il ne peut nullement être question de cela. Que font-ils du droit à l’image, de l’éthique, de la dignité des personnes à préserver pour elles et pour leurs familles ? Est-ce l’effet des réseaux sociaux qui s’assimile de plus en plus à une jungle qui amène à laisser penser que la justice doit être populaire, pour ne pas dire populiste ? Il faut que certains reviennent à la raison.

Dans cette affaire, à l’évocation de cette vidéo de 13 minutes qui en a surpris plus d’un, beaucoup s’étaient mis à se poser des questions. Avait-on filmé le défunt 13 minutes durant, tout en le laissant se cogner contre les grilles ? Ou y avait-il des caméras de surveillance installées à cet effet ? Et d’aucuns y sont allés de leurs soupçons de complaisance dans l’enquête, demandant même le dessaisissement de la Division des investigations criminelles au profit de la Section de recherches de la gendarmerie.

Une affaire François Mancabou qui pose en tout cas la problématique des gardes à vue au Sénégal où on a répertorié plus d’une dizaine de cas de suspects décédés, dans le cadre de la garde à vue. En effet, plusieurs individus ont trouvé la mort dans les rigueurs de la garde à vue, ainsi que le rappelle la publication de ce samedi 16 juillet du quotidien « Enquête ». Elimane Touré est mort, le dimanche 19 février 2017, dans les locaux de garde à vue du commissariat spécial de Port. Sur les circonstances du décès, les avis divergent. La version officielle parle de suicide. Des propos récusés par la famille qui parle d’assassinat mené par des hommes déguisés en policiers. Idem pour Abdoulaye Faye, décédé dans les locaux du commissariat central de Dakar, dans la nuit du 7 au 8 juin 2021. La version initiale de la police conclut au suicide d’Abdoulaye Faye, un des complices de Baye Modou Fall alias “Boy Djinné’’. Une thèse contestée par la famille du défunt. Les autres cas soulèvent les mêmes interrogations. Ce qui peut mettre de l’eau dans le moulin de ceux-là qui plaident une mort par torture, même s’ils sont loin d’être sûrs de leurs assertions.

Dans son édition de ce lundi 18 juillet, le quotidien d’investigation « Enquête » est revenu sur le sujet pour faire parler la fameuse vidéo en référence à des sources l’ayant visionnée.

Selon les sources du journal d'investigations "Enquête" qui ont vu la fameuse vidéo qu’évoque le procureur de la république, une ambiance sereine régnait dans le violon du Commissariat central de Dakar. Pendant qu’environ neuf d’entre eux discutent tranquillement dans le violon, dans une ambiance bon enfant, le sieur Mancabou, lui, s’est isolé à côté, dos contre le mur, les yeux rivés sur la porte de la cellule. Il avait l’air “très anxieux et bizarre’’, confie l’interlocuteur du journal. "Tantôt, il croisait les bras, tantôt il les décroisait. Tantôt, il les mettait dans les poches, tantôt il les enlevait ; il grattait la tête. Il n’était vraiment pas dans son assiette. Mais, les autres ne semblaient se douter de rien, très engagés dans leurs discussions. Il y avait même de la boisson à côté, pour dire que ce sont des hommes qui étaient tous bien portants." Il en sera ainsi pendant environ 10 minutes. Les échanges se sont poursuivis dans la même atmosphère. Avec Mancabou toujours dans son isolement…Puis, l’irréparable est arrivé, surprenant tous les détenus.

"On voit Mancabou debout, avec une sorte de pantalon blouson noir, assorti d’un t-shirt bleu sombre ou noir. A un moment, vers la dixième minute, on le voit faire un sprint et cogner violemment la tête contre la porte de la cellule. Contrairement à ce qui a été dit par le procureur, il ne l’a fait qu’une seule fois dans la vidéo et il est aussitôt tombé et s’est évanoui. Cela a été tellement rapide que tout le monde a été surpris." La suite, confie-t-il, c’est surtout des cris et des invocations du nom de Dieu, pendant que d’autres s’activent autour de Mancabou, très mal en point.

Pour laver son honneur, la Police a alors pris la décision de montrer la vidéo à certaines organisations de défense des droits de l’homme, ainsi qu’à l’Observatoire national des lieux de privation de liberté. Pour le moment, seul l’Observatoire a confirmé, par un communiqué, avoir vu la fameuse vidéo.
"Suite à des allégations de tortures dont serait victime feu François Mancabou dans les locaux de garde à vue de la Sureté urbaine, l’observateur, en compagnie d’une équipe pluridisciplinaire, s'est rendu dans les locaux de ladite unité. Après un entretien avec les autorités policières, l’examen du registre et des locaux de garde à vue, ainsi que le visionnage d’un extrait des enregistrements des vidéos de surveillance, l’Observatoire national et son équipe se sont retirés…", fait savoir le document sans entrer dans les détails.

Dans la foulée, les avocats de François Mancabou ont publié un communiqué pour dénoncer cette présentation du fameux extrait à des éléments qui sont étrangers au dossier. Ils pestent et pointent du doigt une violation flagrante du secret de l’enquête par les parties." Ainsi qu’une « atteinte au droit à l’image de leur client. » "Dès lors, ils ont clamé « la recevabilité de cette vidéo comme élément de preuve…. » considérant que « cet acte fragilise tout sérieux que l’on pourrait accorder à cette pièce dans le dossier », ce d’autant plus que leur « client n’a pas fait que 13 minutes dans ce Commissariat».

Dans tous les cas, grâce à cet élément versé par le procureur dans le dossier, beaucoup de choses pourraient être clarifiées. En effet, même dans l’hypothèse où les faits se sont déroulés comme renseignés par les autorités judiciaires, la question qui reste en suspens c’est comment Mancabou en est arrivé à une telle décision ? A-t-il été victime de tortures durant les jours ou les heures ayant précédé son acte ? Autant de questions sans réponse. Et les avocats n’ont pas manqué de saisir la balle au bond.

Pour eux, il faut produire l’intégralité de la vidéo, depuis l’entrée de leur défunt client dans les locaux du Commissariat.

Quoi qu’il en soit, les autorités judiciaires, depuis l’éclatement de cette affaire, multiplient les actes, comme pour montrer qu’elles n’ont rien à se reprocher. En sus de la sortie du Procureur, le visionnage des extraits par l’Observatoire, elles ont opté pour une autopsie faite par un médecin indépendant qui sera choisi par le président de l’Ordre des médecins. Un vœux qui a été exaucé. L’autopsie a toutefois eu lieu, mais sans la présence du médecin désigné par la famille, pour cause d’indisponibilité de celui-ci. Une situation qui a mis en colère l’avocat de la famille qui a argué d’un manque de transparence, estimant que le procureur aurait dû l’aviser avant l’autopsie afin de permettre au médecin désigné par la famille d’être présent. La robe noire qui ne décolère pas, a aussi fait savoir que jusqu’au moment où il s’exprimait, aucun membre de la famille ainsi que les avocats n’ont été officiellement informés que l’autopsie a été effectuée.
Une affaire rn tout cas à suivre, surtout que l’enquête semble bien avancer puisque les auditions des témoins ont démarré depuis vendredi passé devant les policiers de la Dic. Des personnes ont été entendues sur les derniers moments de la vie de François Mancabou, sur les conditions de sa garde à vue... Les premières personnes à passer devant les redoutables enquêteurs de la Dic ont toutes rejeté toute forme de tortures ayant entraîné la mort de François Mancabou, lors de son passage à la police.

Ce qui est somme toute curieux dans cette affaire, c’est la posture de la communauté Mancagne qui a très vite haussé le ton pour réclamer justice, suite à la mort de François Mancabou. Elle a aussi menacé de se faire elle-même justice. Ce qui laisse penser que la cohésion sociale est en train de se fissurer depuis qu’on a laissé les politiciens entraîner les populations dans des dérives ethnicistes ou dans des logiques d’opposition radicale. François Mancabo que l’on présente comme un ancien militaire, ne peut en aucun cas être considéré comme un mancagne. Il est sénégalais avant tout. Qu’on ne fasse surtout pas de cette affaire, une affaire ethnique, mais plutôt une affaire de justice.

Gagner le combat de la réforme des institutions et renforcer la presse

Nous sommes en effet entrés dans une ère de suspicion qui laisse beaucoup craindre pour la cohésion nationale. Des Sénégalais s’amusent à se faire peur et sont dans une logique de tout désacraliser. La justice, tout comme la presse que l’on considère comme le 4ème pouvoir, ne cessent d’être chahutées. Fragiliser la justice ne reviendrait-il pas à promouvoir une justice privée aux conséquences encore plus désastreuses ? S’en prendre à la presse, n’est-ce pas fragiliser cette institution qui a été au début et à la fin de tous les acquis démocratiques, notamment en étant la vigie des alternances. Elle éveille et éclaire les citoyens. Qu’il y ait des personnes en son sein pour mal faire leur boulot, est un fait inhérent à toute corporation. Il a été bien désolant d’entendre Pape Assane Seck s’en prendre à la presse qui ne serait plus libre, alors qu’il fait une revue presse aux côtés d’Ahmed Aïdara, engagé politiquement.

Difficile de savoir quelle leçon de déontologie et d’éthique peut-il donner, même s'il est vrai que le journaliste devrait se préoccuper d'équilibre et être équidistant entre les chapelles politiques ! De même, en suivant de près la polémique relative à la demande d’Ousmane Sonko d’écarter le micro de la RTS, peut-on vraiment lui en tenir rigueur ? Cette dernière ne devrait en aucun cas estimer ne devoir donner la parole à l’opposition que 3 fois tous les 5 ans ou 7 ans, c’est-à-dire au moment des locales, législatives ou de la présidentielle. Que ceux qui ont condamné l’acte d’Ousmane Sonko, critiquent également l’ostracisme dont fait montre la RTS vis-à-vis de l’opposition.

Les recommandations des Assises nationales nous ont en tout cas suffisamment appris qu’il faut une refonte des institutions avec un Conseil supérieur de la magistrature d’où seront absents le président de la République et le ministre de la Justice. Lorsque ces derniers cesseront de gérer la carrière des magistrats qui devrait toutefois être une affaire des acteurs de la justice et non des seuls magistrats, l’on s’orientera sans doute en ce moment-là, vers une justice plus indépendante. Le pire est que le contentieux politico-judiciaire pour lequel les magistrats sont en général pointés du doigt, est une infime partie des dossiers traités par les cours et tribunaux, même si son impact dans la marche du pays, reste bien prégnant. Le seul combat qui vaille alors, reste celui des institutions. Pas le fait de jeter en permanence le discrédit sur les institutions car on ne sait pas de quoi demain sera fait.