NETTALI.COM - Qu’est-ce qui a bien pu motiver la coalition Karim Wade, Khalifa Sall, Ousmane Sonko et Serigne Moustapha Sy du Pur ? C’est la question qui taraude les esprits, même si d'aucuns tentent de brandir le côté non officiel de la coalition, estimant que les concernés n’ont pas encore annoncé sa naissance. Ils ne l’ont pas démentie non plus. Ah ces locales, qu’est-ce qu’elles soulèvent comme passion et équations !

Impossible de faire croire que c'est une idéologie commune qui a réuni les quatre, d’autant plus que cette dernière n’est plus ce qui guide les partis politiques de nos jours, dans leur positionnement, même si certains peuvent être reconnus comme étant de sensibilité plus à gauche gauche que de droite et vice-versa. Les trois -entendons Karim, Khalifa et Sonko- semblent en réalité liés par un destin commun qui est d’avoir eu des déboires judiciaires sous la gouvernance de Macky Sall. Si Karim Wade et Khalifa Sall ont été graciés et libérés, suite à leur emprisonnement, en étant frappés d’inéligibilité, c’est toujours l’omerta quant à l’amnistie de leurs faits. Ce qui rend l’horizon d’autant plus sombre pour eux, surtout en direction de 2024 où ils vont être plus gênés qu’avec ces locales où ce sont des membres de leurs partis respectifs qui vont postuler. Même sort pour Ousmane Sonko, toujours inculpé et dont l’instruction de ses affaires traînent toujours. De quoi maintenir le trio dans une sorte d’expectative et une certaine incertitude.

Une union qui a toutefois poussé Thierno Bocoum à ruer dans les brancards, estimant que « c’est un regroupement de quatre personnes qui veulent une coalition de pression » sans toutefois être la grande coalition qu'on décrit.

Toujours est-il qu'avec Serigne Moustapha Sy en plus, l'on note une volonté de peser plus lourd suivant une logique d’arithmétique ? N’oublions quand même pas qu’Ousmane Sonko est arrivé 3ème de la présidentielle passée et ses déboires judiciaires récents, ont prouvé qu’il a du monde derrière lui et qu’il jouit d’une bonne cote de popularité. Reste à savoir beaucoup de ceux qui étaient sortis dans les rues, avec une majorité de jeunes, l'ont fait pour défendre un principe de justice ou s'ils étaient avec lui ? Quant au PDS, même s’il a enregistré des départs, il est bien structuré et a toujours une audience nationale, même si elle n’a pas participé à la dernière présidentielle pour qu’on puisse juger de son poids réel. Khalifa Sall a aussi conservé beaucoup de ses fidèles et de ses militants, même si certains sont allés rejoindre la coalition Benno Book Yaakar via le truchement du Parti socialiste (Ps). Pur ne s’en est pas aussi si mal sorti de la dernière présidentielle, en sachant que Serigne Moustapha a une certaine représentation nationale et compte énormément de fidèles. Ce qui laisse penser sans aucun doute que cette coalition, même si elle peut s’ouvrir encore, est une grande force politique.

Retenons toutefois qu’avec cette coalition électorale, l’on est bien loin de ce qui a pu être observé en juin 2008, à 4 ans de la Présidentielle de 2012, à une époque où l’opposition travaillait à la gestation des Assises nationales dans une logique de regroupement sans exclusion. Le débat était circonscrit dans le salon de feu Amath Dansokho. Les cerveaux étaient bien fertiles et orientés vers la rédaction d’un rapport de synthèse, achevé le24 mai 2009, qui abordait la plupart des problèmes auquel le pays est confronté en termes de droits de l’homme, de corruption, de boulimie foncière, etc.) et d’une Charte de la gouvernance démocratique pour jeter les bases d’un développement durable et construire un nouveau paradigme d’une gouvernance plus saine et plus vertueuse de la politique. On notera, à l’époque, que les ‘’vieux’’ briscards de la politique, dont la plupart ont flirté avec le marxisme-léninisme, étaient bien de la place. Le symbole, ce fut Amadou Makhtar Mbow intronisé au Méridien-Président dans une salle archi-comble. Une performance politique qui déroutera Me Abdoulaye Wade au point de lui faire perdre son sang-froid. Gorgui passera en effet le reste de son mandat à s’attaquer au Vieux Mbow, qui le distraira à souhait.

Aujourd’hui, nous ne sommes évidemment pas dans le contexte d'une élection présidentielle, mais bien dans l'antichambre que sont les locales. Difficile de ne pas y voir les mêmes enjeux que la présidentielle de 2012. Il faut donc que ceux-là comptent sur l’union et davantage de force. Ces grands partis, ne devraient-ils pas dès lors embarquer ceux de moindre envergure avec eux. Redoutent-ils que ces derniers puissent demain leur disputer la gestion de communes ou de départements dans une logique de partage du pouvoir ? Bocoum est en tout cas bien remonté en brandissant au passage la question des combats communs avec ceux-là qui étaient hier empêtrés dans des déboires judiciaires et qu’ils ont soutenus. Mais admettons-le, cela n’a pas été le cas de tous les opposants. Les leaders des organisations membres du Congrès de la Renaissance Démocratique (Crd) ou plus exactement les trois mousquetaires : Thierno Alassane Sall, Abdoul Mbaye et Mamadou Lamine Diallo, n’ont-ils pas été les premiers à créer une coalition ? Les entendre aujourd’hui adopter une posture moraliste, suite à l’annonce de cette coalition, prête à sourire.

Que l’on ne s’y trompe point, certains ont bien évidemment des raisons de se plaindre de leur mise à l’écart car le poids politique seul ne compte pas dans ce genre d’alliances. Mais d’autres certainement pas. En effet avec les déboires judiciaires récentes d’Ousmane Sonko, certains avaient par exemple affiché un semblant de soutien avant de se mettre en avant dans une logique de concurrence vis-à-vis du leader de Pastef. La vérité est qu’au fond, la seule chose qu’ils souhaitaient en silence, c’est qu’il se cassât les dents. Même sort et mêmes postures dans les cas de Khalifa Sall et Karim Wade, alors que beaucoup d’observateurs de la scène politique avaient fini de voir des règlements de comptes politiques dans leur emprisonnement, qu’une motivation de justice sincère. Leur élargissement de prison avait fini par laisser penser cela.

Le choix des hommes en question ?

Mais au-delà, se pose l’équation des locales et par ricochet, celle du choix des hommes et du montant de la caution, en dehors des questions d’alliance qui concernent plus l’opposition. Et l’on ne peut pas ne pas se demander ce qui guide le principe des élections locales, si ce n’est de mieux gérer les affaires de la cité dans une logique de proximité, en déchargeant l’état central de certaines de ses missions d’administration ? C’est en effet la recherche d'efficacité qui induit cela. Elle doit, donc, suivant cette logique, être une compétition ouverte dans laquelle les prétendants doivent disposer de programmes viables et innovants, être directement concernés par la localité, avec une certaine expérience de la gestion, tout en étant surtout disponibles pour elle. N’est-ce pas donc cohérent que ceux qui sont issus de la localité, puissent être intéressés au premier chef, du fait d’une certaine fibre d’appartenance locale ainsi qu’une plus grande sensibilité au sort des habitants ?

Se pose quasiment l’équation des cumuls de mandats. Combien de fois a-t-on entendu parler de député-maire, ministre-maire, etc ? Imaginez une seconde, un ministre de finances (ou de l’Intérieur) qui a fort à faire, qui n’a pas souvent le temps de se rendre dans sa localité et qui gagne l’élection dans le Fouta (ou le Djolof), alors qu’il réside à Dakar. Cela signifie en réalité qu’il va gérer sa commune par procuration. Le risque est qu’avec les cumuls de postes, ce ministre des finances (ou de l'i,térieur) soit même tenté de favoriser sa localité, de par la position que lui confère son poste et les moyens de l’Etat. Ce qui lui permet du coup de contrôler politiquement sa localité pour longtemps. Difficile d’entrer en compétition contre celui-ci. Les moyens et le pouvoir font la différence dans un environnement où les dépenses de campagne et les comptes des partis ne sont pas contrôlés, sauf quand l’Etat décide de s’y engager. Le cas de Pastef qui a vu ses sources de financement contrôlés, est assez édifiant de ce point de vue-là.

Macky Sall veut placer ses hommes pour avoir un contrôle sur ces élections qui lui ouvriront sans doute une porte pour la présidentielle 2024, s’il les gagne. C’est ce qui lui crée un surcroît de pression car il doit procéder à des arbitrages périlleux pour son parti et pour la coalition Benno Bokk Yakaar. Et cette dernière veut des investitures faites sur la base de « critères rigoureux et objectifs » qui verront « les intérêts politiques de la grande coalition préservés » sur la base d’un « choix raisonné, motivé et rigoureux » qu’elle définit comme « un impératif car notre pays va expérimenter pour la première fois, l’élection du maire au suffrage universel direct ».

Si la coalition se permet de faire autant de rappels, c’est parce qu’elle se rend bien compte que se tromper dans le choix des hommes, peut être synonyme de défaite. C’est donc une pression énorme qui pèse sur les épaules de Macky Sall dont la popularité est mise à rude épreuve, ces derniers mois. Ce ne sont en tout cas pas les ambitions qui manquent.

A Dakar, par exemple, les partisans du ministre de la Santé et maire de Yoff mettent déjà la pression. Des mouvements se créent pour pousser Macky Sall à porter son choix sur Abdoulaye Diouf Sarr. Au même moment, d’autres responsables de l’Alliance pour la république (Apr) affûtent leurs armes. C’est le cas de Mame Mbaye Niang. Selon certaines indiscrétions, il aurait fini de constituer son équipe pour engager la bataille. A ces deux-là, il faut ajouter Amadou Ba qui cache encore son jeu. Autant dire que l’arbitrage risque d’être compliqué pour le chef de l’Apr qui devra aussi faire avec ses alliés comme Soham El Wardini de l’Alliance des forces de progrès (Apr) qui veut garder le fauteuil de maire qu’il occupe depuis la destitution de Khalifa Ababacar Sall. Et la même situation risque de se produire dans des communes comme Parcelles Assainies avec le maire “transhumant” Moussa Sy dont les responsables locaux de l’Apr ne veulent plus.

Mais Dakar ne sera pas le seul terrain miné pour le chef de Benno Bokk Yakaar. Il va devoir aussi arbitrer à Rufisque, Keur Massar, Kaolack, Mbacké, Thiès… Autant dire que les frustrations ne manqueront pas au lendemain des investitures de Benno. Pis, avec cette élection du maire au suffrage universel direct, rien n’exclut que des responsables se présentent aux élections contre la volonté de leur parti ou coalition. Autrement dit, la pression n’est pas seulement du côté de l’opposition, même si Benno semble plus sereine. Du moins pour le moment.

La caution de 30 millions en question

Une autre équation se pose aussi dans ces joutes, c’est celle de la caution de 15 millions pour les communes et 15 autres millions pour les départements. Ce qui amène à se demander si l'on n’est pas en train de filer tout droit vers la candidature des nantis ? C’est en effet une constante avec le régime de Macky Sall que de toujours vouloir dresser des obstacles à chaque compétition électorale. Le parrainage ayant été écarté dans sa mise en œuvre par la Cour de justice de la Cedeao, il ne restait plus qu’à intégrer le filtre par l’argent. Une situation d’ailleurs inédite. Ce qui est d’autant plus surprenant, c’est le fait que certains partis avaient proposé 5 millions, d’autres 10 millions, mais qu’au finish, Macky Sall, malgré le dialogue politique, ait opté pour un montant de 15 millions x 2 pour les listes locales et départementales, soient 30 millions au total.

Le filtre est évident et clair. Mais d’aucuns, pour battre en brèche l'argument de l'ampleur du montant, pensent qu’il n’est point question pour une seule personne, dans le cadre d’une candidature indépendante, d'endosser ce montant. Il reviendrait, suivant leur raisonnement, à la liste de prendre cela en charge. Ceux-là brandissent aussi l'obtention d’un certain nombre de votes pour le remboursement de la caution. Ce qui signifie une mise en avant du poids politique.

Mais l’on sait bien comment sont structurés les partis politiques ou mouvements dont le financement dépend fortement des leaders. Dans le cas du parti au pouvoir, l’on connaît également ses grandes capacités financières, du fait de l’implication financière des ministres, DG et autres responsables des régies financières engagées en politique, surtout dans un contexte où la limitation des dépenses de campagne n’est pas instituée. On n’oublie pas non plus les moyens de l’Etat qui sont engagés.

Et l’on peut raisonnablement se poser la question de la logique de réclamer le même montant de 15 millions à un candidat indépendant qui vise une seule commune qu’à une coalition comme celle du pouvoir qui viserait autour de 650 communes. Sinon que de l'écarter par l'argent avec le risque qu'il aille se faire financer par un homme d'affaires dont il sera demain redevable, s'il gagne.

Une démocratie qui recule 

Dans cette compétition, l’inégalité de fait est manifeste. C’est l’état de notre démocratie qui est surtout à plaindre car celle-ci recule, au moment où beaucoup fanfaronnent en vantant les deux alternances connues. D’autres pays africains peuvent évidemment nous donner des leçons en la matière car ils en ont connu bien plus. La vérité est que les politiciens qui représentent une minorité au Sénégal, ont fini d’accaparer le pouvoir, tout en décidant des règles entre eux, dans le cadre de dialogues, lorsque leurs intérêts convergent. Ceux qui sont élus ou nommés, jouissent du pouvoir et des moyens de l’Etat au grand dam des populations qui n’ont d’autres choix que d’attendre les prochaines joutes électorales pour être dans l’illusion de sanctionner, dans le cadre de processus électoraux cahoteux où la neutralité de l’administration est sujette à caution.

La prolongation du mandat des maires vient de rappeler aux populations qu’elles ne décident de rien et que ce sont au finish les politiciens les maîtres du jeu. Aussi, cherchent-ils le plus possible à dégoutter les honnêtes citoyens de la politique avec pour objectif qu’elles la voient comme une activité pour gens peu vertueux. La conséquence est que de nos jours, ce sont juste ceux qui crient le plus fort qui s’y investissent, sans toutefois avoir des têtes bien faites, la vertu et le patriotisme qui vont avec.

La réforme des collectivités n’a pas produit de grands résultats et l’expérience a montré que certaines communes ne le sont que de nom. Elles n’ont ni les moyens et encore moins les recettes qui permettent à leurs maires de faire des réalisations. La seule option qui est restée à certains maires, a été de faire main basse sur le foncier. Ce n’est donc nullement un hasard si certaines zones inondables sont aujourd’hui occupées avec les conséquences que nous savons. Ce n’est peut être pas sitôt que la démocratie made in Sénégal, retrouvera sa gloire d’antan.