NETTALI.COM - C’est connu, Youssou Ndour est un artiste planétaire. Mais, du fait de son engagement politique, même sa production musicale suscite une paranoïa sécuritaire dans le « Macky » et les cancans, minant son quotidien de célébrité, lui prêtent des rôles.

C’est un secret de Polichinelle, You n’est pas un adepte du parler crû. Quand il fait dans le règlement de comptes, il aime à user d’allusions pour jeter des flèches, tout en frappant en plein cœur de sa cible. C’est ce mode opératoire qu’il utilisa contre le régime de Abdoulaye Wade pour obtenir la chaîne généraliste qu'il voulait, alors que, selon le leader sopiste avait refusé la mise en marche du projet, au motif qu’il était financé par des fonds étrangers. Le président avait déclaré : « Nous n’accepterons pas que des étrangers viennent ici, conditionner notre politique. Nous ne l’accepterons pas. Je n’ai aucune raison d’en vouloir à Youssou Ndour ou à un autre Sénégalais ». La Télévision Futurs Médias finira par obtenir une autorisation de télévision thématique.

A la fin des années 1990, quand il a composé « Boulène Coupé », en pleine tempête Mademba Sock, d’aucuns avaient perçu cela comme une attaque déguisée envers le président Abdou Diouf, alors en fin de règne.

La sortie, lundi 19 juillet de son dernier opus intitulé "Waññi Ko", soulève déjà un faisceau de questions. On voudrait que les paroles dans ce single ne relèvent pas de «l’art pour l’art », tout simplement. Et l’on recherche des cibles derrière la chanson qui serait composée sous le mode de l’ironie. Le frère de l’artiste, Bouba Ndour, a été obligé de monter au créneau pour apporter des précisons. Il déclare que c’est lui qui a convaincu le chanteur qui a récemment annoncé sa volonté d’observer une petite pause, de sortir cet album. Toutefois, il faut être né de la dernière pluie pour croire que c’est Bouba Ndour qui décide de l’agenda du leader du Super Etoile de Dakar. "Waññi Ko", en wolof, signifie « diminue le ». Bouba Ndour ajoute que le texte vise les « mythomanes », les « traitres » qui n’honorent pas leurs promesses.

L’on ne va pas franchir un Rubicond, en soutenant, de but en blanc que le roi du Mbalax s’adresse au chef de l’Etat qui est soupçonné de vouloir briguer un 3e mandat, en maintenant le flou sur cette question. A la pointe du combat contre la 3e candidature du président Abdoulaye Wade, Youssou Ndour fut interrogé sur cette matière, il y a deux mois, lors d’une spéciale édition « Quartier général », sur TFM. Le patron du groupe Futurs médias avait donné sa langue au chat. « Au lendemain de sa réélection en 2019, le président Macky Sall nous a réunis (les alliés) pour nous demander de garder le silence sur cette question du 3e mandat. Je suis d’accord avec lui, quand il dit « ni, oui, ni non ». Cependant, toute chose a une fin et le moment venu, on va se prononcer. Chacun doit pouvoir tenir un commentaire là-dessus», mentionna-t-il. Mais lors de cette fameuse émission, l’invité de Pape Cheikh Diallo et Cie, qui a remonté la chronologie de son compagnonnage avec Macky Sall, qu’il a soutenu dès le premier tour en 2012, avait précisé que son mouvement « Fékké ma ci bolé » n’avait pas renoncé à toute ambition. Or l’ambition de You en 2012 était de devenir président de la République du Sénégal. C’est par la suite que sa candidature sera invalidée par le Conseil constitutionnel.

Quand il chante "Waññi Ko", le théoricien du « Weur Ndombo » (une technique de lutte qui signifie ceinturer son adversaire) pour cerner Abdoulaye Wade, prend-il date, comme s’il attendait Macky au tournant ? De toutes les façons, même si l’omerta est érigée en loi, à ce sujet, au sein de la majorité, il coule de source que ceux qui se prononcent pour une candidature du président Sall sont mieux traités que ceux qui émettent des signaux contraires. On ne peut pas dire, sous ce rapport que Youssou Ndour, en préférant garder le silence, a donné des gages à Macky qui aurait aimé entendre un autre son de cloche. Et tout porte à croire qu’il existe des relations polaires entre Macky Sall et Youssou Ndour qui ferait l’objet d’une frustration.  Les instructions du chef de l’Etat pour un audit de la SODAV que dirige la sœur du chanteur, seraient aussi perçues comme l’expression d’un malaise au sommet.

Pour mémoire, lors du conseil des ministres en date du mercredi 14 octobre 2020, le président de la République a, au chapitre du climat social, de la gestion et du suivi des affaires intérieures, demandé au ministre de la Culture de procéder, avec toutes les parties prenantes, à l’évaluation institutionnelle et financière de la SODAV et à la mise en place, fonctionnelle, de la Commission permanente de Contrôle des sociétés de gestion collective.

Les propos tenus à l’époque par la présidente du Conseil d’administration (PCA) de la SODAV, par ailleurs sœur du chanteur, semblent conforter cette thèse. Ngoné Ndour convoqua une réunion d’urgence pour se prononcer sur cette question. «Ce n’est pas parce que mon frère (Ndlr : Youssou Ndour) a des problèmes avec le président de la République que la Sodav doit être auditée», aurait-elle martelé, selon « Lii Quotidien ».

Ombre au tableau, non seulement Ngoné Ndour a démenti ces propos, mais « Lii Quotidien » qui a vendu la mèche, est une propriété de El Hadj Ndiaye, crayonné comme un irréductible adversaire, pour ne pas dire ennemi de Youssou Ndour. En rappel, Youssou et El Hadj Ndiaye ont été pendant longtemps, dans les années 80-90, des alliés, avant d’être au centre d’une rude adversité. Naturellement toute faute du chanteur sera exploitée par le boss de Origines Sa pour lui faire rendre gorge.

Dans ce cadre, il est légitime de se demander à qui s’adresse You dans son nouvel album, quand il tance les « colporteurs de fausses allégations ». Y a-t-il des délateurs entre Macky et lui, s’il est vrai que leurs relations se seraient dégradées ?

Le 21 juin dernier, la 2STV accordait un temps d’antenne à son directeur général, El Hadj Ndiaye. C’était à l’occasion de la célébration de l’anniversaire du lancement de cette chaine de télévision. Au cours de son interview, M. Ndiaye accusait Youssou Ndour et son frère Ndiaga Ndour de piratage de fréquences sur satellite. Il informait du dépôt d’une plainte contre X en début juin.

Le directeur de la Télévision futurs médias (TFM), Ndiaga Ndour, sera arrêté par la gendarmerie et placé en garde à vue à la Brigade de recherches de la gendarmerie, sur ordre du procureur.

Le boss de la 2STV reproche aux frères Ndour d’avoir installé un système frauduleux de piratage à ses dépens. Il a cité nommément Ndiaga Ndour au cours de l’interview, l’accusant de naviguer illégalement sur son satellite, depuis 2018. Ce qui lui aurait causé beaucoup de dommages. El Hadj Ndiaye affirme que la 2STV a connu des pertes d’images, lors de plusieurs grands événements. Très en colère, il jurait qu’il irait jusqu’au bout dans ce dossier. ‘’Je ne peux pas accepter ce trafic et je ne l’accepterai jamais’’, disait-il d’ailleurs.

Ndiaga Ndour sera relâché, au terme de la période garde-à-vue, et placé sous contrôle judiciaire, mais il ne va pas manquer d’observateurs à voir derrière ce fait une main plus puissante.

Une sortie du patron de la 2 STV et un placement sous contrôle judiciaire vus par certains observateurs comme une sorte de cabale contre le « roi du Mbalax », en même temps qu’une volonté de le salir et de le ferrer.

Après que le boss de la 2S TV a accusé la TFM de « voler » ses fréquences, c’est le chanteur Idrissa Diop qui semble renforcer El Hadj Ndiaye et dépeint le roi du Mbalakh comme un ingrat et un bandit.

 Invité à l’émission « Sénégal ca kanam » animée par Mamadou Sy Tounkara, fin juin 2021, Idrissa Diop révèle : « Youssou Ndour, quand il a eu 14 ans, il habitait chez moi. J’ai accompagné ses premiers pas dans la musique, alors qu’on lui mettait des bâtons dans les roues. C’est moi qui ai écrit ses premières chansons. Il était mon protégé, lui et Mbaye Dièye Faye, dans les années 70. Qu’il ne me pousse pas à déterrer la hache de guerre ! » menace Idrissa Diop, qui a joué avec de grands noms du show-biz, à travers le monde, en ce temps-là.

A l’instar d’El Hadj Ndiaye, Idrissa Diop confie qu’il ne prend pas Youssou Ndour au téléphone. « Il m’a envoyé des émissaires à plusieurs reprises. Je n’ai pas de problème particulier avec Youssou Ndour. J’ai son numéro. Si la culture sénégalaise respire et que tous les artistes sont contents, là je vais accepter d’échanger avec Youssou Ndour, mais là, tout le secteur traverse des difficultés», fait-il remarquer, avant d’en imputer la responsabilité à Youssou Ndour.

« Je comprends la colère d’El Hadj Ndiaye qui refuse de discuter avec Youssou Ndour au téléphone. C’est légitime cette colère de El Hadj Ndiaye. On a tout fait pour lui, mais il ne doit pas nous traiter avec irrespect. Qui est Youssou Ndour pour que je l’appelle au téléphone ? Youssou lui-même dit qu’il regardait par le trou de la serrure pour contempler mes prestations, lorsqu’il était adolescent. C’est après que je lui ai laissé  le témoin, pendant mon exil de 30 ans. Il m’a déçu. Regarde ce que le président Macky Sall a fait pour la culture, c’est exceptionnel et personne n’a le droit de gâcher ce travail. On a fait les 14 régions du Sénégal, c’est partout la même chanson, la culture ne marche plus », ajoute l’invité de la 2S TV.

Depuis quelques années, il se susurre que de gros bonnets souhaitent freiner l’ascension du groupe Futurs médias. Au lendemain de l’attaque subie par les locaux du groupe de presse dans la foulée des manifestations pour la libération de Ousmane Sonko, au mois de mars dernier, Bouba Ndour a soutenu que des milliards avaient été décaissés il y a trois ans, pour faire démissionner les principaux journalistes de Futurs médias et faire couler l’entreprise. On devine à quoi il fait allusion. Mais l’on voudrait que Bouba aille jusqu’au fond de sa pensée, en désignant ce métronome tapis dans l’ombre, qui tirerait les ficelles.

D’aucuns ont aussi vu la main de Macky Sall dans la mini-crise du groupe Futurs Médias, consécutive au départ de ténors du groupe de presse (Mamoudou Ibra Kane, Boubacar Diallo, Alassane Samba Diop, Khalifa Diakhaté, Antoine Diouf, Babacar Ndao Faye…), pour créer le groupe E-medias.

 Dans certains cercles du pouvoir, la visite du leader de Pastef, dans les locaux du groupe Futurs médias, consécutivement aux manifestations susmentionnées, ne fait pas que des heureux. Cela peut être interprété comme une volteface de You.

En définitive, à la lumière des péripéties caractéristiques du séjour de Youssou Ndour dans Benno bokk yakaar, il est légitime de se demander si réellement celui qui était ministre dès le premier gouvernement issu de l’alternance démocratique du 25 mars 2012, est satisfait de son traitement, comparativement à son engagement et les coutre-coups subis, en tant que chef d’entreprises.