NETTALI.COM - Le président Sall, a-t-il vraiment pris la bonne mesure des choses ? Lorsqu’il s’adresse aux jeunes en leur disant les avoir bien compris, est-ce vraiment le cas ? Ne cherchait-il pas juste à se tirer d’affaire et à calmer la tempête au lendemain d’évènements violents et de manifestations tous azimuts au moment où il n’avait plus aucun contrôle sur le cours des choses ?

Des commentaires on ne sait, basées sur quoi d’ailleurs, ont laissé croire que la covid qui a enfermé et appauvri les Sénégalais, conjuguée avec le désespoir des jeunes en panne de perspectives, sont les principales causes de ces manifestations, en dehors de l’affaire politico-judiciaire. Des explications qui arrangent d’ailleurs fortement le camp du pouvoir qui ne veut en aucune façon, laisser croire que l’affaire Sonko est la seule cause du soulèvement des jeunes. Aussi, s’est-il agrippé à cette thèse. Même Ousmane Sonko s’était plu à soutenir cette même thèse, l’heure n’était pas à bomber le torse ou à s’auto-glorifier d’une quelconque victoire.

Macky Sall nous a en tout cas dit avoir compris la jeunesse, mais l’a-t-il au fond de lui vraiment comprise ? Car à la vérité, ce n’est pas elle seule qu’il devait comprendre. La demande sociale la plus évidente et la moins équivoque possible, et qu’on peut décrypter comme la cause de ces évènements, c’est aussi ce besoin de justice indépendante et impartiale : suspicion vis-à-vis de juges qui seraient aux ordres, de lois liberticides, de la présence du président de la République et du ministre de la Justice au Conseil supérieur de la magistrature, la toute-puissance du procureur de la République, pour ne citer que ces quelques points.

Un président de la République qui a compris, aurait peut-être pu poser des actes plus forts dans le domaine de la justice. Question de créer un électrochoc. En décidant d’instituer un juge des libertés qui serait un magistrat non soumis à l’autorité du ministre de la Justice et qui garantirait davantage la liberté des mis en cause. Ces derniers ne seraient plus de fait tributaires de la toute-puissance du procureur de la République. Macky Sall pouvait aussi décider de ne plus faire partie, lui et son ministre de ce Conseil supérieur de la magistrature. Il y a évidemment d’autres actes dans le domaine de la justice qu’il pouvait poser.

Invité sur la 2 STV, le 4 avril, alors qu’était débattue la question du civisme, de la République et des institutions, Cheikh Tidiane Lam de l’Inspection générale de la justice (Igaj), interrogé sur le fonctionnement de cette institution, ne pointe pas un doigt accusateur sur les juges mais plutôt sur l’Assemblée nationale où les lois sont votées, estimant que le juge ne peut se permettre de critiquer négativement la loi, ni l’organisation en place. Pour M. Lam qui a fait une thèse sur la modernisation de la justice, certains aspects de notre système sont dépassés. Il en veut pour preuve le code pénal qui contient des lois liberticides citant notamment l’atteinte à la sûreté de l’Etat qui lie le juge et l’oblige à placer sous mandat de dépôt n’importe quel mis en cause, lorsque le procureur le poursuit. Ce code pénal date selon lui de 1965, donc un contexte où l’on sortait de crise et durant lequel le président en place avait besoin de se protéger. Ce qui laisse penser que ce souci d’indépendance de la justice n’est pas juste une affaire de Souleymane Téliko, mais celle de magistrats qui n’entendent pas continuer à ressentir un déficit de confiance de la part des justiciables qui n’attendent rien d’autre qu’on leur rende la justice de manière équitable.

Pourquoi les citoyens devraient-ils plus faire confiance au système judiciaire alors que les acteurs principaux, les magistrats censés rendre eux-mêmes la justice, ne font pas assez confiance en ce système ? Attaquer à ce point le juge Téliko dans cette affaire de frais qui n’en est d’ailleurs pas une, est loin d’être intelligent ? Une affaire qui a pourtant concerné 14 magistrats et dont il est le seul qui semble d’ailleurs concerné. Téliko de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums), dérange, c’est sûr.

                                                                                  Meetings de remobilisation tous azimuts

Mais à bien lire ce qui se déroule sous nos yeux, il y a bien lieu de douter que Macky Sall ait bien compris les jeunes. Mais au-delà, sont-ce les jeunes uniquement qui galèrent ? Les seuls signaux perceptibles de sa part, pendant qu’il annonce un chapelet de mesures en direction de l’emploi des jeunes, c’est d’organiser des meetings de mobilisation au fur et à mesure que le temps passe, pour montrer qu’il a toujours des partisans dans toutes les contrées.  Une manière de se relever progressivement de cet affront causé par Ousmane Sonko. C’est comme si en effet le seul baromètre de Macky Sall pour se donner bonne conscience d’être toujours dans le coup, c’est de mobiliser à coups de plusieurs dizaines de millions. Ces dépenses n’ont pour effet en réalité que de davantage braquer et révolter les gens. Comme d’ailleurs ce « Fouta ko Tampi » (« le Fouta est fatigué »). Ils ne se doutent certainement pas que ces foules-là qu’ils rassemblent étaient les mêmes que sous Wade et Diouf. La politique politicienne n’a jamais vraiment changé sous nos cieux. Mêmes méthodes, même procédés. Elles sont recrutées et transportées de régions en régions avec des perdiems à l’appui. Le système est éprouvé et plus personne n’est dupe. Les foules changent de t-shirt et de casquettes à longueur d’alternance dans des patelins où n’importe quel événement draine du monde par déficit d’activités dignes de ce nom.

Certains dans les rangs de Macky Sall qui n’apprennent rien des expériences, voient l’affaire comme un affrontement. Ils croient simplement qu’ils ont été surpris ! Il n’y a en réalité pur aveugle que celui qui ne veut point voir le ciel ! Etant au pouvoir, c’est à eux de prendre un peu plus de hauteur et de dérouler leur programme et reconnaître des erreurs qui ne peuvent pas manquer, quel que soit d’ailleurs le régime en place.

Même le combat de lutte organisé par Gaston Mbengue et qui a été un grand fiasco, fait partie de cette stratégie de reprise en main. Mais combien de jeunes trouvent un salut à travers la lutte ? Une poignée. Rares sont ceux qui atteindront le niveau des Balla Gaye 2, Eumeu Sène, Modou Lo, etc. Ou cherchait-on juste à les distraire ?

                                                                    L'équation des 65 000 emplois et la convention avec l'Espagne

80 milliards de F  Cfa. C’est le montant que le gouvernement va libérer pour, dès le mois de mai, recruter 65 000 jeunes sur l’ensemble du territoire national pour des activités d’éducation, de reforestation, de reboisement, d’hygiène publique, de sécurité, d’entretien routier et de pavage des villes. L’annonce a été faite le samedi 3 avril, par le président de la République. 65 000 jeunes, c’est très peu, mais c’est un bon début, à condition toutefois que les emplois ne soient pas précaires. A décrypter le type d’emplois, difficile de croire qu’ils puissent être pérennes ! De quel niveau de rémunération parle-t-on ? Sur quelle durée ? Pour quels types de qualifications ? Il y a lieu d’en savoir un peu plus. Les emplois dédiés aux agents de sécurité de proximité, ont été créés et il a été à un moment question de la poursuite ou non de leurs contrats. De quoi répondre sur le type d’emploi que l’Etat veut créer.

Des économistes sont d’ailleurs bien sceptiques sur les 450 milliards que va dégager l’Etat pour ces emplois dont 150 pour cette année 2021. Mais dans la foulée, ils se demandent si les réaménagements budgétaires ne vont pas créer des crises dans certains secteurs, estimant que l’Etat n’a pas vocation à créer des emplois à travers le budget. Ceux-là ne demandent d’ailleurs ni plus, ni moins que ces organes de création d’emplois soient d’abord audités et ensuite fusionnés de manière à assurer une certaine cohérence et leur efficacité.

Invité du « Jury du dimanche », Oumar Seck, expert financier, chef de la Plateforme EU ACP de développement du secteur privé a dénoncé la désindustrialisation du Sénégal et indiqué que « l’erreur que nous avons commise, c’est qu’il n’y a pas eu de suivi et il n’y a pas eu de dynamique de migration en termes de compétitivité sur les secteurs industriels où le Sénégal a misés ». Cependant, il a fait savoir, pour rassurer que, dans les deux prochaines années le Sénégal peut créer plus d’un million d’emplois bien payés.

Mais tempère celui-ci, tant qu’un dispositif de promotion des PME/PMI n’est pas mis en place, ce sera difficile de créer des emplois. Ce, parce que la promotion des PME est au cœur des agendas de création d’emplois. « Il ne s’agit pas de mettre l’argent. Il s’agit d’avoir un dispositif orienté vers des résultats concrets. Ce n’est pas l’argent qui règle la question de l’emploi. On a un problème d’instruments, d’outils de mis en œuvre. Le dispositif de financements et d’encadrement n’est pas efficace. Le Sénégal a des institutions mais il y a des problèmes au niveau des instruments et les stratégies et de la redevabilité. Il y a possibilité de rationaliser les structures », a expliqué, le chef de la Plateforme EU ACP de développement du secteur privé. Qui, dans le même sillage a plaidé l’accompagnement du secteur informel. Ce, en l'incitant à la formation et en les capacitant afin qu’il puisse accéder au financement.

L’autre trouvaille de l’Etat, c’est de régulariser l’émigration à travers cette convention entre l’Espagne et le Sénégal sur la question de la gestion des flux migratoires. Ce qui peut être une belle expérience ainsi qu’un acte positif. Elle porte ainsi sur une « migration circulaire », à travers des départs saisonniers pour satisfaire les besoins de main-d’œuvre de ce pays. «Pour organiser cette main-d’œuvre, une task-force sera mise en place et regroupera les ministères de l’Intérieur, de la Jeunesse, des Affaires étrangères et de l’Agriculture, pour sélection, sur la base du cahier de charges, des jeunes candidats volontaires pour une période. Après la saison, ils reviennent et nous verrons comment, à leur retour, nous leur donnerons des perspectives de travail», a expliqué le président Sall. Une convention qui vient certainement huiler un peu plus la machine de l’emploi version Macky Sall, mais surtout pourrait aider plus tard les bénéficiaires à acquérir de l’expérience et du savoir-faire dans ce pays et dupliquer les méthodes.

                                                                         La solution à travers les secteurs porteurs et un secteur privé fort 

Mais il ne faut toutefois pas se leurrer. La question de l’emploi des jeunes ne peut se suffire de ces mesures qui sont loin d’une politique d’emploi pérenne. Celle-ci ne peut se réduire  à une question de reboisement, d’hygiène publique, d’entretien routier, elle va au-delà.  L’industrie, l’agriculture et les secteurs de l’informatique, du numérique, minier et pétrolier et des services, peuvent être de grands pourvoyeurs d’emploi. Il s’agit de créer une véritable ambition autour de ces secteurs. Mais quelle ambition veut-on afficher en nommant à l’industrie Moustapha Diop ? Quel acte a-t-il posé depuis sa nomination ?

A la vérité, le Sénégal se désindustrialise avec les Industries chimiques du Sénégal (Ics), un fleuron d’antan passées entre les mains des Indiens, la Sonacos qui se débat dans des difficultés, sans oublier toutes ces industries textiles qui ont disparu (Sotiba, Icotaf, etc), industries de chaussures (Bata), l’industrie pharmaceutique avec Medis. Le domaine financier se dépeuple avec Wari et Joni Joni bien partis pourtant.

Bref, il s’agit surtout, tout en créant des emplois, d’opter pour une politique de préservation. Dans le domaine du numérique, il faut et surtout créer des start up et les booster par l’investissement et l’accès au marché (notamment la commande publique). Nos couturiers et stylistes ont un énorme talent. Leur savoir-faire connecté avec une industrie textile, peut aider à faire renaître un secteur textile digne de ce nom. La Sonadis aurait par exemple pu être un géant de la grande distribution, à l’heure actuelle.

Au-delà, c’est le système d’enseignement qui devrait être davantage connecté à la formation professionnelle et supérieure, tout en n’oubliant pas le niveau intermédiaire entre le Secondaire et le Supérieur, à travers les filières professionnelles.

Un secteur privé fort est également à encourager. Le prétexte de la mondialisation est certes facile à brandir, mais doit-il donner lieu à l’affaiblissement de son secteur privé en laissant tous les forts du monde venir les écraser ou récupérer la plupart des parts de marchés ? Il y a évidemment lieu de créer des mécanismes pour que les privés nationaux soient dans les structures des capitaux étrangers qui viennent s’implanter, de manière à ce qu’ils fassent leur expérience et bénéficient également des transferts de technologie. Le cas le plus inquiétant, ce sont ces banques marocaines, françaises, nigérianes, ivoiriennes, burkinabés, qui ont fini d’occuper l’espace, alors que rares sont les banques sénégalaises qui sont dans une logique de réciprocité dans ces mêmes pays.

La vérité est que nos autorités ne semblent avoir de stratégie et encore moins la volonté politique d’aider, de soutenir ses entreprises. Il y a des banques telles que celle de l’habit, la BNDE et La Banque agricole qui ont un gros potentiel, mais sont-elles vraiment aidées à la hauteur des ambitions qu’elles devraient pouvoir porter ? Par exemple loger les comptes publics et ceux des fonctionnaires dans les banques sénégalaises. A côté, des banques étrangères poussent le manque de scrupules en recalant de bons dossiers d’entrepreneurs sénégalais tout en les refilant à ceux de leurs pays, créant de fait, des  entrées sur le territoire national. Leurs pays d’origine ont en réalité mis en place de véritables stratégies d’extension et de développement à l’étranger et en particulier dans les pays qui ouvrent grandes leurs vannes. C’est le cas de ces banques à l’export telles que Exim qui accompagnent les entreprises du pays à l’étranger, leur octroyant les capitaux nécessaires. C’est en effet totalement inconcevable de laisser  son économie ainsi dominée par des banques étrangères. L’économie, n’est-ce pas le premier élément de souveraineté ?

Macky Sall doit en tout cas être plongé par ces temps qui courent, dans une grande introspection. 2024 n’est ni très loin, ni très proche, et il va falloir appliquer un remède de cheval à l’économie, de manière à la booster. Ce qui signifie en d’autres termes, appliquer une cure d’amaigrissement à ce gouvernement pléthorique, sans réelle efficacité et où d’aucuns ont si peu d’envergure. Le Sénégal regorge de compétences et difficile de ne pas trouver. Il suffit de lancer des appels à candidature pour les postes de direction. Des pays africains en ont fait l’expérience avec des résultats probants. Le président aurait même pu dissoudre le Hcct et le Cese. Mais la vérité est qu’il n’osera pas, trop englué qu’il est dans ses réflexes et calculs politiciens. Il est vraiment grand temps que Macky Sall comprenne réellement le message du peuple. Pas uniquement celui des jeunes.