NETTALI.COM - 140 morts ou 20 morts, peu importe ! Des morts dans des circonstances de naufrage en mer, tels qu'on en voit aujourd'hui, constituent de toute façon un drame humain et social évident. Au "Grand Jury" de la Rfm, ce dimanche 15 novembre, Abdou Latif Coulibaly a beau démentir les chiffres de l’Organisation internationale des Migrants (Oim), c'est une contestation hélas bien inutile et anachronique. Le plus important étant aujourd’hui de voir comment sortir de cette saignée de jeunes et surtout du phénomène qui n’honore guère nos gouvernants. Seydou Guèye avait, bien avant Latif, démenti ces mêmes chiffres. Mais qu’est-ce que cela a changé depuis ? Ce chiffre a été dépassé et des départs et des tentatives de prendre les pirogues sont toujours notés.

Ce sont au total quatorze années (de 2006 à 2020) et des programmes à la pelle qui n’auront pas permis au régime de l’ex-président Abdoulaye Wade et à celui de son successeur Macky Sall, de résoudre l’équation de l’émigration irrégulière au Sénégal.

Et l'on semble établir une forte corrélation entre les accords de pêche jugés désavantageux pour les pêcheurs locaux et la frénésie des départs vers l'Europe. "Ce que l'on voit en 2020, c'est que ce sont surtout les pêcheurs d’ici qui s’en vont pour les îles Canaries, parce qu'ils n'ont plus de poissons à pêcher. Des bateaux internationaux sont au large et nous pillent. Les gens sont pauvres. Je pense que dans les trois prochains mois, il y aura d'autres départs", prédisait, il y a deux semaines, sur la plateforme "Infomigrants", Moustapha Diouf, président de l’Association des jeunes rapatriés (Ajrap) dans un contexte où les médias sénégalais font état de plus de 480 migrants qui ont péri dans des accidents de pirogues en direction de l’Espagne. Ce mardi 17 novembre encore "Vox Populi" et "Libération" ont respectivement fait état d'une pirogue qui a fait un naufrage : "Une pirogue de 150 migrants échoue au Cap Vert avec 70 rescapés" et "une pirogue prend feu au large du Cap-Vert".  Une affaire qui prend des proportions bien inquiétantes.

Pour ce qui est des accords de pêche, beaucoup d'espoirs avaient été placés en Macky Sall, après son élection en 2012. Mais ce sont les mêmes pratiques qui sont dénoncées par l’Ong Greenpeace. Pratiquement, tous les ministres qui se sont succédé à la tête du département de la Pêche au Sénégal ont été accusés d’avoir signé, dans l’illégalité, des licences de pêche en faveur de navires industriels étrangers. Ceci, malgré les alertes sur la surexploitation de la ressource dans les eaux sénégalaises. Dernièrement, c’est l’actuel ministre de la Pêche et de l’Economie maritime qui est pointé du doigt, pour avoir "ouvert" la voie aux ressources halieutiques sénégalaises à des bateaux chinois. Accusations dont l’Ong affirme détenir les preuves. Le 9 octobre dernier, Greenpeace a dénoncé dans un rapport, l’attribution non-transparente de licences de pêche à des navires industriels qui surexploitent les ressources sénégalaises. Il convient surtout de noter qu’en réalité, la pêche artisanale est une activité dont dépend plus de 600 mille Sénégalais.

Loin de dire que les seules raisons de cette vague d’émigration cyclique sont liées à la morosité de l’activité pêche. Des spécialistes pointent aussi du doigt, le désœuvrement des jeunes, les pressions familiales avec ce fameux "Tekki" (réussir sa vie), l’effet d’imitation des jeunes qui veulent suivre les traces de parents, voisins ou amis installés en Europe, la recherche de conditions de vie meilleures, etc. Autant de causes évoquées pour expliquer le phénomène. Un fait que Souleymane Diallo de l’Ong Otra Africa (une autre Afrique) basée en Espagne, a confirmé en ces termes, ce lundi 16 novembre, au cours de la matinale de la Tfm : "L'afflux des jeunes à partir de Kébémer, Ngaay Mekhé, est dû au fait que ce sont des zones où il n y a pas d’emplois. La politique artisanale doit faire l’objet d’évaluation au bout de 2 ans. On doit rendre l’espoir à ces enfants. Lorsque vous ne pouvez pas participer à la dépense quotidienne ou acheter ses médicaments pour se soigner. Lorsque celui qui est à l’étranger, peut faire toute cela facilement, cela incite les jeunes à partir. Personne ne peut être le moteur du développement si ce ne sont les jeunes."

En fait d’emploi, Latif Coulibaly, secrétaire général du gouvernement nous a appris sur la RFM que 750 mille emplois directs et indirects ont été créés pendant le septennat du président Sall, citant des chiffres du ministère du Travail. Sans le contredire, l’on peut bien s’interroger sur le détail de ces emplois créés. Et c’est ce à quoi Babacar Fall invitait son ancien confrère à "Grand Jury". Latif a dit à l'endroit du journaliste Fall que les politiques mettent plusieurs années à produire leurs effets, relevant au passage les handicaps liés aux questions de l'employabilité des jeunes et au profil de l'économie sénégalaise.

Le jeudi 12 novembre, au Forum de la paix à Paris, Macky Sall a invité ses homologues à "limiter les inégalités" pour freiner l’émigration irrégulière. Le 17 novembre, à l'occasion de la visite, à Dakar du Premier ministre français Edouard Philippe, la France et le Sénégal avaient également renouvelé leur coopération dans la lutte contre les migrations irrégulières. Plus de 1 300 milliards de francs Cfa (2 milliards d’euros) ont été distribués au Sénégal depuis 2007. Où est passé cet argent ? Une question qu’on est légitimement en droit de se poser si l’on sait que la plupart des programmes dédiés aux jeunes à travers des organismes tels que le Fnpj ou l’Anpej, ne semblent pas avoir produit beaucoup d’effets et encore moins de progrès.

Mais ce qui est d’autant plus choquant, c’est que même avec 480 morts engloutis dans les eaux, le président de la République n’a rien trouvé de mieux à faire que d'envoyer un tweet. D’où l’indignation d’Ousseynou Ly de la communication de Pastef, invité de  l’émission "Jakarloo" de ce vendredi 13  novembre. Même son de cloche chez Souleymane Aliou Diallo de l’Ong "Otra Africa", une organisation basée en Espagne sur Rfm matin. Celui-ci a déploré le tweet de Macky Sall, estimant qu’il devait se rendre à Saint-Louis, Kébémer Ngay Mekhé et autres, présenter les condoléances et remettre un jaxal (une somme d’argent). Une critique que Latif Coulibaly a toutefois rejetée, estimant que le Président de la république a bel et bien pris la parole en conseil des ministres, via son ministre Ali Ngouille qui l'a remarquablement fait sans oublier le communiqué du conseil.

Une indignation  de toute façon avec laquelle l’on ne peut qu'être d’accord  au regard de la gravité des faits. Comment un pays qui se dépeuple de ses jeunes, frange largement majoritaire de la population, peut-elle espérer se développer sans eux ? Un tweet à la Trump n’est ni approprié, ni convenable et complètement à l’opposée de nos mœurs de Sénégalais. Cela ressemble aux yeux de certains observateurs, à une forme d’indifférence qui ne dit pas son nom. Ne serait-ce que par rapport à la cible qui correspond aux Sénégalais les plus vulnérables et qui constituent la grande masse de la population, analphabète en partie. Le Président Sall aurait dû prendre la peine d'adresser une sorte de message à la nation dans un élan de compassion sur une chaîne de télé accessible à tous.

La leçon du deuil virtuel 

C’est en tout cas une belle leçon que ces internautes ont donné en organisant ce deuil national virtuel. 28000 tweets entre 20 h et 20 h 08, nous a signalé Abdoulaye Der qui animait l’émission "Jakarloo", vendredi. Les internautes se sont ainsi approprié l'initiative de Pape Demba Dionne, créateur du hashtag LeSenegalendeuil. Ainsi, ce vendredi 13 novembre, les Sénégalais des quatre coins du monde ont inondé Twitter de messages empreints de tristesse, d'amertume et de solidarité envers les familles des victimes. Le compteur affichait environ 25 000 tweets à 20 h, heure dédiée à une minute de silence suivie de 480 secondes de recueillement. Un impact populaire au regard des relais d'opinion qui ont fait passer le message. Un évènement que beaucoup de titres de la presse quotidienne ont d'ailleurs repris. Et pourtant au "Grand Jury", Latif Coulibaly nous a appris que le chef de l'Etat avait bel et bien communiqué sur le sujet, à travers son ancien ministre de l'Intérieur qui avait d'ailleurs "remarquablement communiqué" et les communiqués du Conseil des ministres. Un fait que Babacar Fall n’a pas trouvé significatif. Bref.

Tout ceci est révélateur de la césure entre le gouvernement et le peuple qu’il est censé représenter, et au nom de qui il agit. Ainsi va le gouvernement qui semble bien loin des préoccupations du peuple comme avec ce nouveau gouvernement et ces justifications lamentables et indécentes de Me Amadou Sall qui a expliqué, entre autres, leur entrée (lui et ses camarades de parti, ndlr) par une contrainte qu’ils auraient exercé sur Macky Sall, au point que celui-ci ait été obligé de céder. Une posture d'opposition avec les invectives et autres pressions qui ont fini par payer, si l’on en croit ses propos.

Et l’on en apprend un peu plus des schéma des “retrouvailles” entre le président de la République et le patron du parti Rewmi, Ce dernier devait en effet rester dans l’opposition pour en incarner le statut de chef. Qu’est-ce qui a donc changé pour que l’ancien Premier ministre accepte que son parti entre dans le gouvernement et qu’il devienne, lui-même, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese)? “Macky m’a demandé de laisser tomber cette histoire de chef de l’opposition“, se contente de dire Idrissa Seck. Des sources renseignent toutefois qu'”après l’avoir sorti de ses soucis financiers, le chef de l’Etat a pensé qu’il était plus sûr d’avoir Idrissa Seck dans son camp afin de pouvoir le contrôler“. “Être chef de l’opposition lui aurait permis d’avoir des moyens et de garder sa liberté“. On n’est pas sortis de l’auberge.

Macky Sall a, en tout cas dit en France ce qu’il n’avait pas voulu dire au Sénégal. Avec le Président Sall, il y a comme une sorte d’attentisme qui ne dit pas son nom ou peut-être une volonté d’éviter de faire des réactions à chaud. Une réaction à retardement qui a longtemps été attendue, tant dans le monde musulman, les réactions avaient afflué dès les premiers moments de la déclaration de Macron. Avec Erdogan, l’affaire avait pris des allures politiques et d'aucuns étaient même allés jusqu’à dire que celui-ci voulait profiter de la situation pour redorer son image et assumer un leadership dans un contexte géopolitique particulier au proche Orient où les leaders historiques ont déserté la place. Peu importe, en tant que musulman, il devait bien se sentir offensé.

Parallélisme des formes, Macky Sall aurait dû comme il l’avait fait dans le cas de Charlie Hebdo, se rendre à la manifestation de Colobane auprès de ses frères musulmans. Certains ont toutefois applaudi son discours au forum de la paix sur le plateau de "Jakaarlo", estimant que sa réaction avait plus de résonance à partir de la France qu'ici. "Nous avons besoin aussi, d’étendre le spectre de la discussion, de tenir compte des réalités des uns et des autres, pour bâtir des valeurs communes (...) En tout cas, l’islam que nous connaissons au Sénégal est un islam de tolérance que nous assumons. On ne peut qu’aller dans cette direction et nous voulons aussi qu’il y ait de la tolérance vis-à-vis de l’islam tolérante, bien combattre le terrorisme. Nous sommes ensemble au Mali, dans beaucoup de théâtres d’opération", a entre autres déclaré le président Sall. Une prise de position qui arrive toutefois bien tardivement, même s'il a eu le mérite d'avoir été exprimée.

En France, Jean-Luc Mélenchon qui ne manie pas beaucoup la langue de bois, a lui dénoncé le contraste entre ces migrants refoulés, indésirables et ces accords de pêche léonins contractés par les pays de l'Union européenne d’où partent ces pauvres personnes dépossédées de leurs activités. Mélenchon n’a pas dit que ça. Il a livré une information de taille au moment où Macron avait déjà fourni sa réponse qui lui avait valu une levée de boucliers. Ils continueront à caricaturer sous la seule raison qui, selon l'opposant, justifie cette ambiance, c'est qu'il y a une haine de l'Islam qui se cache derrière la laïcité.

Latif Coulibaly vs Babacar Fall

Sur la Rfm ce dimanche 15 novembre à "Jury du dimanche" face à Babacar Fall, Latif Coulibaly, dans ses habits de secrétaire général du gouvernement, était là pour défendre le gouvernement dans une mauvaise passe, surtout en ces périodes d’arrangements politiques qui ont beaucoup de mal à passer. Un face-à-face bien chaud pendant lequel, les deux hommes ne se sont pas du tout fait de cadeau. Connaissant Babacar Fall et sa propension à acculer ses invités en posant de petites questions qui fâchent, Latif a semblé être sur la défensive, anticipant sur certaines questions et occultant d'autres auxquelles il ne voulait manifestement pas répondre. Sur la question relative à Idrissa Seck, même s’il assumé ses propos entre autres liés à la relation pas très glorieuse de ce dernier avec l’argent, le travail et sa parole, il n’est pas allé plus loin dans ses conclusions. L’on devine bien qu’il ne voulait pas mettre en mal son patron qui est dans une logique de compagnonnage constructif avec l’ancien maire de Thiès. Latif ne sera pas allé au bout de certaines questions notamment le 3ème mandat.

Mais ce qui a été surtout été relevé sur les réseaux sociaux, c’est la condescendance dont il fait montre à l’endroit des journalistes, à chaque fois qu’il les a en face de lui. Ne serait-ce pas par hasard, un complexe de supériorité vis-à-vis d’un Babacar Fall qu’il pourrait considérer comme un jeunot par rapport à ses faits d’armes, en tant que qu'ancien journaliste réputé d'investigation ? Latif n’était pas un petit journaliste, c’est sûr, mais de là à afficher une attitude à la limite donneuse de leçons, il aurait fallu qu’il se comportât juste naturellement. N’entre-t-il pas par exemple dans cette logique lorsqu’il cherche à expliquer à l’interviewé, la différence entre ce qui relève de l’information et de la communication ; ou entre les spéculations et les faits. L’on se rappelle aussi de cette émission au cours de laquelle il avait fait face à Pape Ngagne Ndiaye. Il avait adopté la même posture. Il a toutefois raison sur certains points lorsque Latif dit que le gouvernement produit de l'information et que la cosmétique autour se nomme communication. Babacar doit

Une interview qui s'est en tout cas déroulée dans une ambiance de tiraillements, d’affrontements et d'administrations de piques. Babacar était moins à l’aise qu’avec Mansour Faye, mais il a su tenir l'antenne. L'objectif n'était au fond juste que de produire de l'information, mais point de se retrouver dans un pugilat entre un ancien ténor de la presse et un son cadet.

RFI et la fausse mort de Me Wade

Une information qui n'est pas passée inaperçue, c'est celle du décès de Me Wade qui est évidemment fausse. Une info publiée sur le site internet de "Radio France Internationale" devenue virale et qui a fait trembler la toile . C’est l’ancien président sénégalais qui a lui-même réagi face à cette fausse information. “Après l’annonce de mon décès sur le site internet de RFI, à la suite d’une erreur informatique, je tiens à rassurer que je suis en pleine forme’’, a-t-il fait savoir lundi 16 novembre sur sa page Facebook. Avant d’ajouter avec un brin d’humour : “Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir prendre connaissance de sa nécrologie de son vivant.’’ Il n y a d'ailleurs pas que lui puisque les décès de l’ancien président de la République du Sénégal, Abdou Diouf, de l’ancien président malien Ibrahima Boubacar Keita, de l’ancienne présidente du Liberia Ellen Johnson Sirleaf ont été également annoncés.

"Nous vous devons, bien sûr, des explications. Comme dans tous les médias, nos journalistes préparent à l’avance des portraits de personnalités afin, si elles venaient à disparaître, de pouvoir proposer rapidement aux lecteurs toutes les informations à connaître sur leur parcours. Malheureusement, ce lundi 16 novembre 2020 en fin de matinée, une centaine de ces nécrologies ont été publiées par erreur sur le site rfi.fr ainsi que sur plusieurs plates-formes partenaires (Google, Yahoo!, MSN, Flipboard…). Cette publication est bien entendu, involontaire. Elle est due à un incident technique, lié à la migration du site de RFI vers un nouvel outil de publication de ses contenus (...) Nous, RFI et la Direction des environnements numériques de France médias monde, groupe auquel appartient notre radio, adressons nos excuses avant tout aux personnes concernées par ces nécrologies et qui ont pu être heurtées par cette publication, encore une fois faite par erreur. Nous présentons aussi nos excuses à vous, lecteurs, internautes, qui nous êtes fidèles et nous faites confiance", a écrit la direction de RFI.