NETTALI.COM - Ils ont tellement parlé de la vision du chef de l’Etat qu’ils ont fini par croire qu’il en a une. Eux, ce sont évidemment ces flagorneurs et autres inconditionnels du Président Sall tellement aveuglés par la crainte de la « constante » qu’ils en oublient de le conseiller dans le bon sens, voire de critiquer ses actes. Moustapha Diakhaté qui a tenté l’aventure, s’est vite rendu à l’évidence que si l’on veut critiquer le prince, il valait mieux le faire loin des lambris dorés du palais. Sory Kaba l’a appris à ses dépens, même s’il a récemment adouci son discours, en reniant au passage, tout ce qu’il avait dit sur le 3ème mandat.

Dans l’exercice du pouvoir par Macky Sall, les nombreux slogans et formules récurrentes scandés à la gloire du patron, ont en effet fini par prendre le dessus sur la réalité.  Une réalité qui est dans beaucoup de cas bien différente de celle vécue par les Sénégalais. Mais pour qui connait le pouvoir et son effet grisant sur ses détenteurs, il finit souvent par les enfermer dans une bulle et leur faire croire que tout ce qu’ils touchent, devient de l’or. C’est ce syndrome qui semble avoir atteint le président Sall. C’est une vision en tout cas tant déclamée par ses partisans qui ne cadrerait pas, mais alors pas du tout avec le vécu des populations.

Vision certainement idyllique à beaucoup d’égards, car les inondations de ce week-end du 5 et 6 septembre nous ont ramené à une réalité cauchemardesque du Sénégal plongé dans les eaux. Comment réussir le développement si les montants colossaux engloutis dans l’édification des routes, finissent par fondre comme neige au soleil, la plupart d’entre elles étant mal exécutées ? Allez savoir pourquoi ! La conséquence est qu’elles sont très vite rongées par les eaux qui dévorent tout sur leur passage, créant des nids de poule incessants sur les routes et ruinant de fait les investissements des pauvres automobilistes. Aucun pan du territoire où il a plu, n’a été épargné. Imaginez un peu les conséquences en termes de pertes pour l’économie du fait des embouteillages et des problèmes de déplacements ! Imaginez quelques secondes la galère extrême et le désarroi des populations qui se résolues à dormir à la belle étoile, à la merci des moustiques et cible de choix des malfaiteurs . Si des habitations ont été implantées dans des zones inondables, c’est parce qu’on les y a autorisées. Si les canaux d’évacuation sont en permanence obstrués, c’est bien parce qu’on a laissé les populations en faire des dépotoirs d’ordures. Il revient dans tous les cas à l’Etat d’exercer son autorité, en sensibilisant, en déplaçant des populations si nécessaire et en sévissant en cas d’infraction à la loi.

Ces inondations de ce week-end, ont livré un spectacle désolant, celui du Sénégal qui fait du surplace depuis plusieurs années.

L’on nous a en effet annoncé 750 milliards investis dans un plan décennal. Mais pour quels résultats, devrait-on demander ? Un chiffre contesté d’ailleurs par Abdoul Mbaye, 1er ministre au moment des faits, suite au rapport demandé par Macky Sall en conseil des ministres.  M. Mbaye a soutenu que cette lutte a cessé d'être une priorité depuis son départ du gouvernement. "Mais de qui se moque-t-on ? Le plan de lutte contre les inondations a été intentionnellement abandonné. Les 750 milliards FCFA n’ont jamais été dépensés. Les inondations ont cessé d’être une priorité après mon départ du gouvernement. Tels sont les faits", a affirmé l'ancien Premier ministre avant d’ajouter : "les instructions données lors du dernier Conseil des ministres sont des répétitions de celles de 2012. La souffrance des populations face aux inondations a cessé d’être une priorité. Le choix a été celui de grandes dépenses vers de grands projets comme le Train express régional (TER) ou ces nombreux avions inutiles d’Air Sénégal".

Dépensés ou pas, la réalité ne semble pas accréditer l’investissement de ces 750 milliards puisque toutes les artères de la capitale où il a plu, ont été transformées en fleuves. Nous n’évoquerons même pas la banlieue dakaroise, Thiès, Kaolack, Saint-Louis, etc .

Une vision ne peut se suffire d'infrastructures et de moyens de transports modernes

Avec le Plan Sénégal Emergent (PSE), le document de pilotage des politiques publiques certes critiqué pour des insuffisances relevées, Macky Sall a pris l’option de mettre l’accent sur une politique d'infrastructures, notamment l’érection d’édifices, tels que la nouvelle ville de Diamniadio, son site industriel, des autoponts chargés de fluidifier la circulation urbaine. Il s’est également orienté vers la modernisation des moyens de transport avec notamment, le TER, le BRT avec des investissements massifs à la clef. Sauf qu’à l’arrivée, Diamniadio n’attire pas pour le moment grand monde, même si certains ministères y sont logés, question de désengorger Dakar et d’inverser la logique d’habitation et d’implantation des populations. Une orientation qui lui a d’ailleurs valu certaines phrases assassines de la part d’opposants qui ont fini par limiter sa vision à Diamniadio.  Mais que de milliards investis dans ces infrastructures avec la multiplication d’avenants !

Comment comprendre que le tracé du TER ne soit limité qu’à Diamniadio dans sa première phase, alors qu’il aurait pu tout simplement être étendu à l’Aéroport Blaise Diagne ? Comment concevoir que le projet n’ait pas pu intégrer une logique complète de maillage du réseau national de chemin de fer ? Comment n’avoir pas pu intégrer la logique de transport maritime qu’avait semblé entamer Me Wade ? Tenez le building administratif par exemple et les milliards engloutis dans ce qui ne peut être considéré que comme de la réfection, était-il vraiment nécessaire d’arriver à un tel coût pour uniquement cela ? Le comble, c’est qu’à l’arrivée, ce ne sont que quelques rares ministères qui y sont logés.

De véritables gouffres à milliards en somme dont on se demande si leur investissement a valu la peine. Pour l’heure, le TER est toujours à terre, et un nouvel avenant est prévu pour son exploitation. Macky Sall a signé à cet effet, un accord portant sur un montant de 17 milliards, lors de son périple en France, suite à l’invitation des patrons français, plutôt soucieux de la « renaissance des entreprises françaises ». Cette renaissance, ils comptent l’opérer entre autres, au Sénégal, un de leur chasse gardée en Afrique. Et même s’il a semblé se rebeller quelque peu en demandant des rapports plus justes et plus équitables, Macky Sall leur a rappelé qu’il a besoin d’eux pour investir dans son pays et dans des secteurs prioritaires. Ces entreprises françaises, ne sont-elles pas plus intéressées par les infrastructures et autres grands travaux qui vont leur permettre de rafler automatiquement les marchés en mettant des capitaux sur la table ?

Le temps de la pandémie du coronavirus, le président Sall se sera vite rendu compte que le cheval des infrastructures est certes bon à enfourcher, mais qu’il n’est pas le meilleur. Deux visions qui risquent donc de ne pas se rencontrer : celle française et celle de Macky Sall. Le président de la République, en version plus humble, a préconisé «de repenser » le modèle de développement, d’apprendre de nos erreurs, de redéfinir l’ordre des priorités et de redonner sens à l’économie réelle, en investissant plus et mieux dans l’agriculture, l’énergie durable, les infrastructures, la santé, l’éducation et la formation, afin de réaliser un développement compatible avec le bien-être de l’homme intégral».

La vérité, c’est que depuis son accession au pouvoir, l’investissement lourd à long terme a été massivement mis en avant en reléguant au second plan, les nécessités qui peuvent impacter positivement les populations, ainsi que les secteurs primaire et secondaire.  Ce qui n’est pas sans conséquence sur la vie et le bien-être des populations. N’est-ce pas ce qui compte au fond ?

Mais lorsqu’on est au pouvoir depuis 2012, soit environ 8 ans pour 4 ans restants, peut-on décider de changer si subitement de fusil d’épaule et espérer se draper d’un ni oui, ni non pour encore rempiler ? Il n’est certes jamais trop tard pour corriger ses erreurs, mais lorsque certaines sont commises, même les reconnaître, peuvent ne point suffire. Les pays africains dans leur globalité souffrent des méfaits de la pauvreté que les taux de croissance tant affichés et vantés, n’ont pas permis d’impacter qualitativement leur vie. Ils ne sont en réalité significatifs ces taux qu’aux yeux des Européens et autres étrangers qui ont raflé tous les marchés afférents aux grands travaux de l’Etat ; au détriment d’un privé national que l’on cherche parfois à tromper avec des sucettes, tout en relevant à chaque fois que possible, son incapacité à lever des fonds et à livrer dans les délais. De quoi anesthésier des entrepreneurs qui ne demandent pourtant qu’à être soutenus et à voir leurs capacités renforcées dans des actionnariats et partenariats avec des étrangers et que la loi pourrait permettre de concrétiser.

Il convient de se rendre à l’évidence que le développement ne peut se faire sans la valorisation de ses nationaux, le capital humain le plus précieux qui soit. Cette valorisation passe indéniablement par des Sénégalais en bonne santé, bien formés et soutenus par leur président. L’éducation y compris la formation universitaire et professionnelle et évidemment la recherche sans oublier la santé, sont également d’autres armes puissantes pour des citoyens prêts à la lutte contre la pauvreté. Une formation qui s’orienterait vers les métiers basés sur de la matière grise (informatique, numérique, intelligence artificielle) et qui ne nécessitent pas des capitaux aussi énormes que l’industrie classique sacrifiée en nommant un certain Moustapha Diop, à la tête du département ministériel dédié. Quel signal veut-on donner en faisant cela ?

La Covid 19 est ainsi venue enseigner à Macky Sall qu’il est temps de changer de paradigme. Ce qui prouve à souhait que ce Plan Sénégal Emergent (PSE), adossé à sa vision, si tant est qu’elle en est une, risque d’être remis en cause, surtout qu’il a remplacé le « Yoonu Yokkute », avant d’être enrichi au niveau local, jusqu’à l’étape Covid pendant laquelle, Macky Sall daigne enfin reconnaître avoir négligé certains domaines.

Nous espérons juste qu’il ne nous sorte pas, comme d’un coup de baguette magique, un autre programme retoqué. Il est certain qu’à force de gouverner avec des slogans qui ne recoupent pas la réalité, l’on finit par s’enfermer dans son propre piège avec des réveils brutaux. Et parfois, il est bien trop tard pour recoller les morceaux.

La solidité des institutions : une sur-priorité  

Là, ne sont certainement pas les seuls chantiers à achever. Celui des institutions compte plus que jamais, puisque c’est sur ce socle que doivent reposer tous les actes à poser dans la gouvernance. Asseoir une justice indépendante, est un grand défi dans un contexte où se posent des questions d’affectation de magistrats à leur insu, d’accusations de corruption entre magistrats et d’inféodation du pouvoir judiciaire à l’exécutif.  De même la justice doit davantage être la garante de la sécurité des affaires dans un environnement où les investisseurs doivent être mieux protégés.

L’inutilité prouvée des institutions budgétivores, est un autre fléau à combattre dans un contexte de raréfaction des ressources. Pourquoi ne pas supprimer le Conseil Economique, social et Environnemental (Cese) et le Haut Conseil des Collectivités territoriales (HCCT), la commission du dialogue des territoires dont l’utilité et l’efficacité n’ont jamais été jusqu’ici prouvées, si ce n’est dans le recasement de la clientèle politique ?

Un débat que l’on pouvait nous épargner à l’heure où la vitalité démocratique devrait être de mise, c’est celui lié au choix du chef de l’opposition et sur lequel les partis ne semblent pas beaucoup s’accorder. N’a-t-il pas au fond comme soubassement  de distraire le peuple et de permettre de nouer des arrangements entre politiciens, au détriment du peuple. Un débat ô combien stérile et si peu intéressant pour le commun des Sénégalais. Qu’est-ce que cela va apporter de plus ? Désigner un chef de l’opposition, permettrait-il de ranger les autres opposants derrière ? Cela ne viserait-il pas à anesthésier une certaine opposition ?

Autant de questions intéressantes à se poser. D’autant qu’on est à un moment charnière où l’on se dirige vers de chaudes empoignades. Ils sont bien nombreux ces partis politiques et Dieu sait que la question de leur réduction et de leur représentativité, aurait pu être posée de manière à réduire leur nombre et instaurer un système de financement en rapport avec leur vitalité et dynamisme. Leur multiplication n’a pour effet que de développer une culture de chantage et d’accès aux ressources grâce au jeu des alliances et des soutiens, quand bien même un parti se limiterait à son chef, quelques amis et la famille. Pour être plus précis, il s’agit de ces partis que l’on désigne sous le sobriquet de « partis cabines téléphoniques ».

Ce que les inondations viennent de révéler, c’est que le Sénégal est bien loin de l’émergence qui reste toutefois un objectif. Mais que l’on ne se trompe pas de lunettes, le spectacle qu’il a été donné de voir, est plus proche d’un champ de ruines qu’une société évoluée, proche de l'émergence. Les explications et justifications tous azimuts invoquant des efforts du gouvernement dans une logique d'atténuation de sa responsabilité, ne peut trouver grâce aux yeux de la population dans le désarroi et la galère. Il faudra pour réussir à combattre les inondations revoir la politique d'urbanisation qui devrait reposer sur un  assainissement fondé sur une approche globale et non par quartiers ou localités. Mais tout ceci, bien évidemment doit être soutenu par un souci d’organisation, de rigueur, d’action, de contrôle mais plus spécifiquement de planification, de suivi et d’évaluation des projets. Des conditions sans lesquelles, aucune émergence n’est possible. Du courage, il en faut beaucoup pour l'Etat dans une logique d'organiser les zones habitables et non habitables.  Il est peut-être  grand temps d’arrêter de jouer avec la naïveté du peuple et d’essayer d’œuvrer pour son bénéfice exclusif. Car ce qui s'est passé ce week-end là, est un naufrage de la gouvernance. Pardon collectif. Partir d'un plan décennal de 750 milliards pour finir par un Plan Orsec. C'est comme qui dirait, monter dans un avion et atterrir sur une charrette.