NETTALI.COM – Se prononçant sur l’indépendance de la justice, le président de l’Union des magistrats sénégalais déclare, sans langue de bois, qu’il n’y a pas d’avancée significative, avant de lister les obstacles.

A l’issue du séminaire tenu samedi dernier par l’Union des magistrats sénégalais (Ums), le président de ladite structure, Souleymane Téliko, a été interviewé par  les quotidiens “L’Obs’’ et “EnQuête’’. Souleymane Téliko est revenu longuement sur la question de l’indépendance de la justice. Concernant l’indépendance institutionnelle, il pense que « non seulement, il n’y a pas encore eu d’avancée digne de ce nom, mais il y a même eu un recul avec l’adoption, en 2017, de la loi sur la prorogation de l’âge de la retraite ». « Car, comme nous l’avons souligné plus haut, la précarité dans laquelle elle place les magistrats jure d’avec le principe de l’indépendance des juges », justifie-t-il, avant de préciser « que le président de la République a donné un avis favorable à un aspect essentiel de nos revendications : à savoir, la pratique de l’appel à candidatures pour les postes de chefs de juridiction ».

« C’est une première qu’il faut saluer, car cette mesure permettrait de renforcer la transparence dans la gestion de la carrière des magistrats et de favoriser, à la fois, le culte du mérite et de l’excellence, gage d’un service public performant. Le garde des Sceaux avait mis en place un comité pour l’élaboration de textes sur cette question et sur bien d’autres », se réjouit le président de l’Union des magistrats sénégalais.

Le pouvoir exécutif garde la haute main sur la carrière des magistrats

« L’Ums, informe-t-il, a déposé des projets de textes. Nous espérons que la promesse du chef de l’Etat sera traduite en acte. Je précise que ce système de transparence est déjà pratiqué dans certains pays africains comme le Maroc ou le Cap-Vert et que, ici même au Sénégal, les enseignants disposent d’un système de transparence qui permet à chaque agent de faire valoir ses mérites ».

Souleymane Téliko de démontrer : « Par exemple, en dépit de la consécration textuelle du principe d’inamovibilité, plus de 90 % des juges peuvent être affectés à tout moment, par le biais du recours à la notion de “nécessité de services” ou d’“intérim”. Par ailleurs, le ministère public, qui exerce d’importantes prérogatives en matière de détention, reste soumis au principe de la subordination hiérarchique. Ce qui favorise l’immixtion du pouvoir politique dans le fonctionnement du pouvoir Judiciaire. En outre, le Conseil supérieur de la magistrature (Csm), censé garantir l’indépendance des juges, est dirigé et piloté par le pouvoir Exécutif qui garde, ainsi, la haute main sur la carrière des magistrats. Les magistrats qui y siègent n’exercent pas de prérogatives importantes, puisqu’ils n’ont, tout au plus, qu’un pouvoir d’émettre des avis. Au total, le Csm, tel qu’il est organisé et tel qu’il fonctionne, n’est pas en mesure de remplir l’objet principal pour lequel il a été créé. C’est-à-dire veiller au respect des garanties statutaires de l’indépendance de la justice ».

Il souligne que l’existence d’un Csm autonome est considérée partout comme une garantie fondamentale de l’indépendance de la justice. « Beaucoup de pays africains ont adopté ce système sans que cela ne leur pose aucune difficulté. Je peux citer les cas du Cap-Vert, du Maroc, du Togo, entre autres. Le Réseau francophone des conseils supérieurs de la magistrature, auquel le Sénégal est membre actif, a fait de l’institution d’un Csm autonome une de ses principales recommandations », mentionne-t-il, encore. Le magistrat est d’avis que sur la question budgétaire, la justice dépend totalement des arbitrages opérés par les Finances. « Il faut espérer qu’avec la prochaine législature et le budget programme qui est prévu, la Justice puisse enfin disposer des moyens et de la marge de manœuvre nécessaires à son bon fonctionnement », préconise-t-il.

Au rayon de la question de l’avancement, il dénonce : « Depuis deux ans, les avancements sont bloqués à cause, nous dit-on, d’un décret qui n’aurait pas été signé. C’est une situation explosive qui risque, si l’on n’y prend garde, de perturber gravement le fonctionnement de nos juridictions. Je sais que le ministre actuel fait de son mieux pour améliorer les choses, mais il faudrait penser à accorder beaucoup plus de considération et de moyens à l’institution judiciaire pour favoriser son fonctionnement optimal ».