NETTALI.COM - La sortie de Salif Keïta, a-t-elle été la goutte d’eau de trop qui a fait sortir Emmanuel Macron de ses gonds ? Les propos du chanteur malien de renommée mondiale ont en tout cas eu un énorme retentissement qui a dû indisposer le gouvernement français.

Il n’a d’ailleurs pas mis beaucoup de temps à réagir. Via son ambassade de Bamako, elle a aussitôt dénoncé, à travers un communiqué de presse, des « propos au caractère infondé, diffamatoire et outrancier (…) avant d’appeler « à la responsabilité de tous pour contrôler la véracité et la fiabilité des informations et discours circulant sur la place publique. ». Le communiqué n’a pas manqué de souligner que « la France reste pleinement engagée aux côtés du Mali et de ses voisins, au service du retour de la paix et de la stabilité au Sahel ». C'est en tout rédigé selon la teneur habituelle des communiqués de presse aux allures à la fois diplomatiques et menaçantes qui « condamnent avec fermeté » et déclarent « l’engagement de la France aux côtés de… » et « réaffirment une amitié… ». Bref, le bla bla diplomatique habituel tourné et retourné dans tous les sens !

Pour rappel, dans une tribune sur facebook, Salif Keïta, l’emblématique chanteur malien, furieux de la crise que traverse son pays, avait demandé à celui qu’il appelle “koro” (grand frère en bambara), Ibrahim Boubacar Keïta “de dire la vérité” au président français Emmanuel Macron ou de “quitter le pouvoir”. Le chanteur reprochait ainsi au président malien de se soumettre au “petit Macron“. “Koro si tu as peur de dire la vérité à la France, si tu ne peux pas gérer ce pays, quitte le pouvoir. Celui qui n’a pas peur le prendra, tu passes ton temps à te soumettre à ce petit Emmanuel Macron, c’est un gamin. Koro tu n’es pas au courant que c’est la France qui finance nos ennemis (djihadistes) contre nos enfants?“, avait déclaré l’artiste.

Une sortie au vitriol de Salif Keïta qui a porté un grand coup à l'image de la France déjà bien abîmée en Afrique francophone à cause de sa politique.

Quoi qu’il en soit, la sortie aux allures menaçantes de Macron a fini de faire le tour des réseaux sociaux et des chaînes de télévision africaines et françaises (France 24 et TV5). « J’attends qu’ils (les chefs d’Etat des pays du G5 Sahel) clarifient et formalisent leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale. Souhaitent-ils notre présence et ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur cette question », a dit tout de go Macron. Le tout couronné par une convocation le 16 décembre à Pau, des présidents mauritanien, malien, burkinabé, nigérien et tchadien, composant la coalition militaire du G5 Sahel face aux groupes terroristes. Quel toupet ! Une convocation qui passe en tout cas mal dans les opinions africaines.

Sur les images des chaînes de télévision et sur les réseaux sociaux, on a pu voir un Emmanuel Macron catégorique et adoptant une attitude ferme tout droit sortie d’une séance de médiatraining comme pour montrer son exaspération, sa détermination et une sorte d’étonnement qui semble s’exprimer en ces termes : « je viens vous sauver la vie et vous voulez m’emmerder. Décidez-vous vite, Dites le moi vite si vous voulez que je continue à vous sauver, sinon... »

On est en plein dans le bluff, question de justifier une présence française qu’aucun président ne viendrait à contester. Mais, quelle condescendance ! Quelle arrogance ! Quel manque de respect ! Il y a en effet dans le style Macronien, quelque chose qui s’apparente à un jeu de rôle et de la comédie. De par sa jeunesse, il chercherait à communiquer une attitude décontractée, à transmettre une certaines pêche, une relation de complicité avec ses homologues africains. Macron ne rate ainsi jamais l’occasion de tapoter les Présidents africains sur l’épaule, de les prendre par la main, de lancer une phrase pour rire. Mais au fond, c’est une fausse complicité, une relation d’amitié surjouée qui finit par même infantiliser ces présidents globalement et de loin plus âgés que lui. Macron ignore en effet tout des codes africains où le droit d’aînesse reste une donnée capitale.

Des sorties de route, il en commet en tout cas beaucoup. L’on se rappelle cette blague bien douteuse de sa part à l’université de Ouagadougou, où il avait lancé ce qui est considéré par beaucoup, comme des propos inappropriés à l’endroit de Marc Roch Kaboré. Interrogé sur les coupures d'électricité qui affectent la climatisation de l'université, le président Macron avait répliqué à une étudiante. "Mais moi je ne veux pas m'occuper de l'électricité (...), c'est le travail du président du Burkina Faso!". Ce qui avait coïncidé avec le moment choisi par le président Kaboré pour se lever et quitter la salle. Et Emmanuel Macron de l’enjoindre de rester : "du coup il s'en va... Reste là !", avait dit celui-ci sur un ton bien familier, à la manière dont on s’adresse à son toutou (chiot). Le Président français s’enfoncera d’ailleurs dans ses blagues : "du coup, il est parti réparer la climatisation!". Du sans gêne ! Un peu de retenue quand même M. Macron. Peut-on vraiment s’inviter au domicile de quelqu’un et ouvrir le premier, le bol de riz ? Le président burkinabé reviendra quelques minutes plus tard.

Il s’en était suivi une polémique et des médias français tels les inrock avaient même à l’époque évoqué un « incident diplomatique », tant l’affaire avait déplu et avait été assimilé à un manque de respect de la part du Français. Ce dernier avait alors jugé "ridicule" sa boutade, visant son homologue burkinabè, soulignant qu'il serait "étrange de considérer qu'on ne peut pas faire d'humour avec un dirigeant africain". Interrogé sur un possible impair, Emmanuel Macron  avait répondu sur France 24/RFI: "Nous plaisantons! Cela l'a fait rire, tout ça est ridicule! Le rire est une relation d'égal à égal". Marc Kaboré, de son côté, avait préféré prendre cela comme une plaisanterie.

Une sortie de Macron qui ressemble à certains égards au fameux discours condescendant de Nicolas Sarkozy  prononcé à l’université de Dakar sur les africains et l’histoire. Elles sont connues les relations de proximité entre les deux présidents français. Elles sont même empreintes d’une certaine complicité. Rien donc d’étonnant que leurs idées ne soient pas si éloignées que cela. Sarkozy dont la teneur du discours était de dire que « l’Afrique n’était pas suffisamment entrée dans l’histoire », empruntant au passage des thèses racistes de Hegel, avait aussi ces mêmes allures de condescendance et de complexe de supériorité.  Dans son discours de Dakar, l'ancien président de la République disait aussi que "la réalité de l'Afrique, c'est une démographie trop forte pour une croissance économique trop faible". Dix ans plus tard à Ouagadougou Emmanuel Macron développait le même argumentaire : "Quand, dans un pays, vous avez une croissance de la démographie qui est durablement supérieure à la croissance économique, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, vous n'arrivez jamais à lutter contre le sous-développement ou la pauvreté. C’est sans fin !"

A l'Alliance française de Lagos, Emmanuel Macron n’avait-il pas encore dérapé en expliquant que le "défi" des migrations "naît, il faut bien le dire, d'une crise africaine". Il poursuivait son discours en ces termes : "Ce problème il est quoi ? Il est démographique. J'ai été un des premiers, je me suis fait attaquer partout, surtout en Europe, quand j'ai dit ça. [...] Quand vous êtes un pays pauvre, où vous laissez la démographie galopante, où vous avez 7, 8 enfants par femme, vous ne sortez jamais de la pauvreté. Même quand vous avez un taux de croissance de 5 à 6 % vous n'arrivez jamais à en sortir."

Sauf que, comme le souligne L’Obs, journal français (dans un article de juillet 2018), les données de la Banque mondiale ne donnent pas plus raison à Emmanuel Macron que l'année dernière à la même période. Selon ces données, pour 2016, le Niger est le seul pays dans lequel le nombre d'enfants par femme est supérieur à 7 – il est de 7,2. Vient ensuite la Somalie (6,3), la République démocratique du Congo (6,1) puis le Tchad (5,9).

Au Burkina, deux ans auparavant ( 28 novembre 2017) il aura beau dire qu’il est "d'une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire" et de marteler qu’il est "d'une génération, où l'on ne vient pas dire à l'Afrique ce qu'elle doit faire, quelles sont les règles de l'état de droit", ses actes traduisent le contraire. Cet acte qu’il vient de poser, démontre au demeurant qu’il est sur une ligne coloniale juste subtile qu’on appelle aujourd’hui néocolonialisme.

Cette phrase adressée aux présidents du G5 Sahel (Tchad, Niger, Mali, Mauritanie, Burkina) n’est-ce pas au fond une réhabilitation du général De Gaulle ? Elle rappelle à cet égard sa déclaration de 1958. « Je veux dire un mot d’abord aux porteurs de pancartes (ces derniers réclamaient l’indépendance). Si vous voulez l’indépendance, qu’ils la prennent, le 28 septembre. Mais s’ils ne la prennent pas, qu’ils fassent ce que la France leur propose. Nous demandons qu’on nous dise oui ou qu’on nous dise non. Si on nous dit non, nous en tirerons les conséquences. J’ai dit ce que j’avais à dire. »

A y regarder de près, l’attitude des Présidents français semble suivre un même fil conducteur. C’est la même ritournelle et seul le porteur du discours change. Quelle différence y a-t-il au fond entre la phrase tristement célèbre du Général de Gaulle, celle d’Emmanuel Macron au G5 Sahel, du Président Sarkozy et du ministre français Bruno Le Maire sur le CFA ? Ce dernier qui disait comprendre « les attentes des Etats et des peuples », lors d’une conférence de presse à Paris, au terme d’une réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des pays membres de la zone franc, avait prévenu : « Nous sommes ouverts, avec le président de la République (Emmanuel Macron), à une réforme ambitieuse de la zone franc. C’est aux États membres de décider ce qu’ils souhaitent. C’est à eux et à eux seuls», avait averti au mois d’octobre le ministre français qui avait dit entendre « les attentes des États et des peuples ».

Mamadou Koulibaly, le candidat déclaré à la présidentielle de 2020 en Côte D’Ivoire et par ailleurs adversaire farouche du maintien du F CFA à travers une gouvernance française, n’a pas beaucoup apprécié la posture et les propos de Macron. Il l’a fait savoir à travers une vidéo devenue virale. Macron qui relevait ainsi un « sentiment anti français en Afrique », en a eu pour son grade. L’opposant ivoirien lui a fait comprendre que les Africains n’ont pas de problème avec les Français puisqu’ils vivent et se marient avec eux. Le problème, a dit celui-ci, « c’est une révolte, un refus de la mainmise de la France sur les chefs d’Etat africains et par ricochet sur les économies africaines  et les peuples»

Un argument qui n’est pas loin de la vérité puisqu’entre les présidents français et les dirigeants de l’Afrique francophone, le rapport semble être un échange de bons procédés qui se résume à une servilité à toute épreuve liée aux intérêts français, en échange d’un pouvoir stable avec des peuples laissés en rade et qui aspirent à l'autonomie de l'Afrique. Christophe Bigot ne résumait-il pas si bien les rapports du moment en termes de parts de marchés ? « Les parts de marché de la France au Sénégal sont passées de 25% à 15% en 10 ans », disait celui-ci en 2017 comme pour marquer le recul de la France au profit d’autres puissances : « Il est tout à fait compréhensible que la part des entreprises françaises ait été considérablement diminuée sur quinze ans. Nous sommes passés de 25 % à 15 % de part de marché sénégalais en ce qui concerne les entreprises françaises ».  « Dans le même temps, la part de marché des entreprises chinoises a été multipliée par quatre », a fait noter Christophe Bigot qui ajouta que « ce sont des sociétés anglaises et australiennes qui sont sur le pétrole et le gaz, les phosphates sont contrôlées par un groupe indien et indonésien, les Canadiens sont sur les mines d’or, d’autres peut-être des Chinois s’activent sur la pêche ». « Les entreprises françaises connaissent déjà le Sénégal et l’aiment bien », précise-t-il. Une manière à l’époque de soutenir que la France allait revenir en force.

Et depuis lors en 2018, 2019, le paysage sénégalais a vraiment changé. Les enseignes françaises pullulent et la grande distribution française est aujourd’hui partout : Auchan, Décathlon, Carrefour et sa branche discount « Sup Eco », Casino, Super U, etc. Loin d'être hostile, le grand inconvénient avec les françaises, c’est qu’elles ne collaborent qu’entre elles, créant une sorte d’ostracisme vis-à-vis de ceux qui les ont accueillis. A y regarder de près, l'Afrique balkanisée depuis les indépendances, n'est qu'un jambon bien français.

Le seul moyen pour les Etats africains de se sortir de ce piège du terrorisme, est certainement de se doter d’une armée africaine digne de ce nom, au risque de le voir devenir un instrument de chantage. Mais le problème est que les leaders africains sont loin d'être patriotes et handicapent fortement ce continent.