NETTALI.COM – Dans un entretien avec le journal Walf Grand-Place et qui date de 2010, Amath Dansokho était largement revenu sur ses relations avec Me Abdoulaye Wade et avec son fils Karim qui l’appelait affectueusement Tonton Amath. Beau témoignage sur quelqu’un dont il était devenu un des plus farouches opposants. Extraits

 

Celui qui détient les rênes de ce pays est un compagnon de longue date. Peut-on savoir les circonstances de votre première rencontre avec Abdoulaye Wade ?

La première fois que je l’ai rencontré, c’est Majmouth Diop qui nous a présentés. On se trouvait au restaurant des intellectuels de l’époque, Barbier (devenu le moulin-Rouge au Plateau). Ce jour-là, Wade était venu déjeuner à midi avec Cheikh Anta Diop. Ils venaient tout juste de finir leur plat. Mais, notre premier contact, c’était en 1960 au cours d’une conférence sur le socialisme qu’il animait  à Daniel Brothier en présence de Gabriel Daboussé. Abdoulaye Wade, qui vivait en France, était venu en vacances. À la suite de sa communication, je lui ai apporté une contradiction par rapport au thème «socialisme et religion». Il a souri. Ensuite, il m’a enseigné les mathématiques économiques en 1962.

 Quel genre de professeur fut M. Wade ?

Wade fut un professeur sans pédagogie car les étudiants ne comprenaient rien de ses cours. Il venait toujours avec un retard de 20 mn et passait tout son temps à parler de lui, de la politique. Et les 10 mn qui restaient, il se mettait à bâcler la leçon. On n’y comprenait rien.

J’ai travaillé davantage pour son parti que pour le mien. Je dois dire aussi qu’il s’est constitué pour me défendre en 1964 lorsque j’ai été arrêté.

 Pour quelqu’un qui l’a côtoyé comme vous, dites-nous deux qualités de l’homme Wade ?

Il a un sens extraordinaire de fascination sur son peuple.  Quand il sortait dans la rue, c’était comme s’il détenait une force surnaturelle d’attirer les individus. Senghor et Lamine Guèye furent certes populaires. Mais personne n’a eu cette fusion avec la population comme lui.

Deux défauts que vous avez remarqués chez le président ?

La conviction qu’il sait tout et son refus de partager l’opinion des autres. C’est le président qui a le plus de conseillers au monde, mais on ne se rend pas compte de leur travail. Je suis certain qu’il aime le peuple, croit à sa grandeur, mais il fait les choses dans le désordre. Le malheur est qu’il est arrivé au pouvoir avec un âge avancé et veut tout réaliser en si peu de temps. Alors que personne n’a la chance de tout accomplir sur cette terre. Même le prophète (Psl) n’a pas eu cette opportunité.

On dit que jamais il ne vous emprisonnera car vous aurez vécu des choses fortes. Peut-on avoir une idée de ce qui vous lie ?

Ce qu’Abdoulaye Wade et moi avons vécu de fort, n’est rien d’autre que la passion pour le Sénégal. C’est moi qui ai eu l’intuition que le changement passerait par lui. J’ai dit un jour : «Avec tous les défauts qu’on lui connaît, il faut le soutenir.» C’était le chemin obligé, le plus court du changement car aucun d’entre nous n’avait la surface populaire requise pour conduire le changement. Je savais que pour cette étape de la démocratie, Wade fut l’homme idéal. Je ne me suis pas trompé. C’est lui qui a changé.

Je me rappelle le soir de sa victoire (en mars 2000, ndlr), on s’est congratulé. Nous étions au Point E, debout sur des chaises, saluant le peuple. Je ne lui demandais pas de me confier un poste. Wade sait que je ne suis pas du genre à me casser devant qui que ce soit. Avant son élection, on se voyait tous les jours. Dès que je quitte chez lui pour me mettre même à table, il rappelle pour me demander de revenir. J’habitais à Liberté 6. Mais, je faisais cinq fois le trajet Sicap-Point E. On était viscéralement très lié. J’ai failli perdre mon enfant à cause de lui.

 Comment perdre votre bébé ?

Parce que ma femme a failli accoucher dans la rue. C’était le 25 décembre 1978. J’habitais à Liberté 6. Samba Diouldé Thiam et moi étions partis rencontrer le parti de Wade pour nouer une alliance. Nous y sommes allés à 21h pour ne quitter qu’à 5h du mat. À mon retour, j’ai trouvé Sémou (Ndlr : le défunt Sémou Pathé Guèye) et ma femme, en train de chercher désespérément un taxi. On l’a amenée à l’hôpital, Le Dantec. Et dès qu’elle a franchi le seuil de la salle d’accouchement, le bébé est sorti dans des conditions horribles.

Qu’est-ce qui vous a marqué chez Wade, ce compagnon d’antan ?

Je dirais ses dons linguistiques qui faire marrer plus d’un. Il a une connaissance extraordinaire de la langue wolof, mais aussi du Français. Wade est dans le crâne des Sénégalais comme il puise dans un ordinateur. Pendant longtemps, il les a manipulés. C’est une tête extraordinaire. Et quiconque lui nie ses dons raconte des histoires.

Quand est-ce que vous vous êtes rencontrés pour la dernière fois pour discuter ?

C’était le 9 novembre 2006, lorsqu’il m’a demandé, pour la 9e fois, de rentrer dans le gouvernement. Ce que j’ai toujours refusé. Car, comme on ne partage pas les mêmes convictions, je risque de me faire limoger, 24h, après. (Il rigole).

Vous avez êtes allé présenter  vos condoléances lors du décès de sa belle-fille, Karine (la défunte épouse de Karim Wade) ?

Je suis arrivé à Paris le 19. D’habitude je dormais, mais je me suis rendue dans la demeure mortuaire. On s’est rencontré, j’ai embrassé Viviane Wade. Elle a beaucoup d’affection pour moi car elle sait que j’ai beaucoup aidé son homme. Ce qui en est de même pour ses enfants, Karim et Sindiély qui me considèrent comme leur oncle. En 2008, quand j’étais hospitalisé en France, Karim m’a téléphoné et il m’a dit : «Tonton, je suis à Paris, il paraît que vous êtes malade, je viens vous voir.» Il était en route pour la Chine et a tout fait pour me retrouver. J’étais vraiment surpris. Karim me dit que toute sa famille a de l’affection pour moi. Et je ne crois pas que ce soit faux.

 Pensez- vous que Karim Wade a les compétences pour gouverner un jour le Sénégal ?

La question n’est pas là. Karim Wade est un Sénégalais à part entière. Je ne partage pas l’avis de ceux qui estiment qu’il n’est pas Sénégalais parce qu’il est blanc. La Constitution ne se base pas sur des critères pigmentaires. Elle le reconnaît comme citoyen sénégalais. De ce point de vue, il peut être candidat. Ce qu’on ne peut accepter, c’est qu’on dise qu’il doit succéder à son père. Or, il nous semble que ce dernier fait des choses qui vont en ce sens. Mais, si les Sénégalais votent pour Karim, je serais le premier à reconnaître sa victoire.

 Avec Karim Wade, vous discutez souvent de politique ?

Quand Karim est venu chez moi, c’était pour me remercier. À Paris, il était venu s’enquérir de mon état de santé. Pour vous dire qu’on ne parle pas de politique.

Parlant de votre santé, il se susurre que vous avez refusé la prise en charge médicale qu’Abdoulaye Wade vous a offerte pour aller vous soigner à Paris. Qu’en est-il ?

C’était en 2004. C’est vrai qu’il avait pris toutes les mesures pour que j’aille me soigner à Paris. Je n’ai pas refusé. J’ai apprécié. D’ailleurs, c’est lui qui m’a appris que j’étais presque au bord de l’effondrement. Heureusement qu’il m’a averti. La preuve, à Paris, j’ai perdu connaissance dans un restaurant. Je n’ai pas pris les soins parce que je n’en avais pas besoin dans le seul but que je suis totalement assuré par mon épouse qui travaille à l’Organisation mondiale de la santé  (Oms). Seulement, j’avoue que si Wade n’avait pas attiré mon attention sur la nécessité de me soigner rapidement, le pire pourrait arriver. Il avait pris des mesures extraordinaires en  choisissant des médecins de niveau exceptionnel pour s’occuper de mon cas. Mieux, il avait demandé à ce qu’on me transporta chaque jour mon régime, de Dakar à Paris.

 Malgré les divergences politiques, Abdoulaye Wade compatit à votre maladie ?

Tout comme moi qui ne peux parler de lui sans verser des larmes. Je suis un humain qui a des sentiments. J’ai de l’affection pour Abdoulaye Wade. J’ai fait des choses avec cet homme. Viviane m’a une fois invité chez lui. Et dès que je me suis mis à dérouler des séquences de ce que l’on a vécu, j’ai craqué. Je ne lui veux pas de malheurs. C’est pourquoi je veux qu’il parte pour son intérêt et celui du peuple. Les sentiments existent. J’aime Wade. Il a posé des actes à saluer. Cette autoroute à péage est une grande œuvre. Idem pour la Corniche. Ce qu’on ne peut accepter, ce sont les surfacturations. Pour le cimetière, je lui ai dit : «Si vous y touchez, les Lébous vont se soulever.» Heureusement qu’il a suivi mes conseils.