NETTALI.COM - 1 000 000 d'emploi promis par le Président Sall, les taux de croissance différents, secteur privé national, toujours pour rester dans cette interview d'EnQuête, Ndongo Samba dit tout, non sans un brin de pessimisme.

"1000 000 d'emplois, c'est impossible..."

Lorsqu'on interroge l'économiste sur le 1 000 000 d'emplois promis par Macky Sall, celui-ci ne peut être d'accord. Pire, il annonce d'emblée que c'est impossible : " Non, ce n’est pas possible ! Je vois mal comment 1 million d’emplois pourraient être créés entre 2019 et 2024, alors que la création nette d’emplois formels a été nulle entre 2012 et 2018. Il faut qu’on soit sérieux (Macky Sall avait annoncé la création de plus de 490 000 emplois au cours de son premier mandat, Ndlr). En fait, le problème, c’est que les politiciens, en Afrique, ne comprennent
rien à la question de l’emploi et du chômage. Ils se contentent d’annonces faciles et d’analyses superficielles, comme la prétendue
inadéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail"

Taux de croissance différents ?

Et lorsqu'on demande à M? Sylla, le taux de croissance auquel il faut se fier entre celui émis par le FMI et l'Etat du Sénégal, celui-ci pense que non seulement, il faut attendre 2020, mais que la question n'est pas dans ce taux, mais plutôt dans la nature de cette croissance : "C’est difficile à dire. A court terme, ce qu’on a, ce sont des estimations. Les chiffres de la croissance ne sont stabilisés que deux ans plus tard. Par
exemple, pour avoir les vrais chiffres de 2018, il faut attendre 2020. A ce stade, je ne sais pas ce qui justifie cette différence. Mais, encore une
fois, pour moi, ce qui compte, ce n’est pas le chiffre de la croissance, mais plutôt sa nature. Est-ce que ce sont les secteurs qui permettent de
créer des emplois qui portent cette croissance ? Est-ce que ce sont les secteurs qui permettent une distribution de revenus aux Sénégalais ? Ce sont ces questions qui sont véritablement importantes. Et non les chiffres en tant que tels. La Guinée équatoriale avait, dans les années 2000, parfois des taux de croissance annuels de plus de 60 % ! Pourtant, bien qu’elle ait un revenu par habitant élevé proche de celui des pays riches, elle était classée parmi les pays moins avancés jusqu’à récemment. Le pompage des ressources nationales par l’extérieur est un aspect saillant du sous-développement, une situation qui est compatible avec l’obtention de taux de croissance économique élevés pendant une période donnée".

"Seule une infime partie de l'argent reste au Sénégal..."

Sur la question des investissements publics et leur impact sur l'augmentation du Produit intérieur brut, Ndongo Samba Sylla est d'avis qu'il ne profite pas aux sénégalais : "D’abord, il faut savoir qu’entre 2012 et 2018, le ratio dette/Pib est passé de 32 à 64 %, si l’on se base sur les chiffres du Fmi. Il faut souligner qu’en 2014, le Pib aaugmenté “artificiellement” de 29 %, suite à un changement de sa base de calcul. Ce qui signifie que le poids de l’endettement serait certainement plus important, si on avait retenu l’ancienne base de calcul. Cet endettement
massif, couplé à un certain nombre de facteurs bénéfiques comme, d’une part, l’amélioration des termes de l’échange - c’est-à-dire les prix à l’exportation ont relativement augmenté par rapport aux prix à l’importation – et, d’autre part, une bonne pluviométrie. Ces éléments
sont responsables de la hausse du taux de croissance de notre produit intérieur brut. Ainsi, les grands travaux de l’Etat réalisés grâce à cet
endettement massif ont contribué à doper la croissance économique. Seulement, ces travaux profitent surtout aux grandes entreprises étrangères. Cela fait que la production domestique augmente certes, mais le revenu national n’augmente pas dans les mêmes proportions. Autrement dit, vous avez de nouvelles infrastructures, mais une grande partie de l’argent qui a servi à leur réalisation retourne vers l’étranger. Seule une infime partie reste au Sénégal. Voilà ce qui fait que, qu’elle soit de 6 % oude 10 %, cette croissance ne permet
pas le développement."

"Nous n'avons pas un secteur privé national..."

Pour l'économiste, nous n'avons pas de secteur privé national car selon lui, il s'agit de comprendre que : "le privé et le public, c’est un couple. Le développement du secteur privé suppose un secteur public dévoué à cet objectif. Malheureusement, on constate que le secteur privé, au Sénégal et ailleurs sur le continent, est handicapé de plusieurs manières. D’abord, il y a les difficultés d’accès au crédit. Quand il y a accès au crédit bancaire, c’est souvent à des taux d’intérêt prohibitifs. Ensuite, il n’y a pas assez de ciblage de la dépense publique. Ce sont les entreprises étrangères qui exécutent souvent les marchés publics, notamment les grands travaux. Aussi, avec la libéralisation commerciale, les produits qui viennent de l’extérieur concurrencent souvent les produits Made in Sénégal moins compétitifs. Tant que ces contraintes restent en place, le secteur privé national sera handicapé dans son développement. D’ailleurs, on ne peut même pas dire qu’il existe un  secteur privé national au Sénégal.
Lorsque vous êtes dans un pays où plus de 50 % de la force de travail est en situation de chômage ou de sous emploi, vous avez la preuve qu’il n’y a pas de secteur privé national. Dans un pays avec un vrai secteur privé, la contrainte majeure susceptible de plomber l’activité et la création d’emplois,c’est une crise de la demande, c’est-à-dire des débouchés. On n’a donc pas de secteur privé national et il revient à l’Etat d’en créer. En effet, toute dépense de l’Etat bénéficie au secteur privé (les entreprises locales et étrangères) et aux ménages. Une réorientation de la dépense publique vers le privé national s’impose donc.
En outre, l’Etat doit accompagner le privé national, en facilitant l’accès à un crédit bon marché, créer directement des emplois pour booster la demande en direction des entreprises privées et protéger certains secteurs clés de la concurrence étrangère crée chaque année environ 150 000 emplois en moyenne, alors que chaque année, il y a 18 millions de nouveaux entrants sur les marchés du travail. Donc, si un Etat veut donner des emplois à sa jeunesse, il doit faire tous les efforts possibles pour bâtir un tissu de Pme/Pmi solides au lieu de chercher coûte à coûte à vouloir attirer l’investissement étranger."

Pour Ndongo Samba Sylla, l'Etat n'a pas les coudées franches quant au fait de créer un secteur privé national, car, pense t-il, "Un pays
qui n’a pas de souveraineté monétaire n’a pas d’indépendance du tout et est limité dans ses options économiques. C’est difficile d’avancer
dans ces conditions. Par exemple, nous exportons souvent en dollars, alors que notre monnaie est arrimée à l’euro. Ça veut dire qu’à chaque fois que l’euro prend de la valeur, la compétitivité de nos produits est mise en mal. Nous ne maîtrisons donc pas les conditions de notre production. Et si vous ne maîtrisez pas les conditions de votre production, vous ne pouvez pas vous industrialiser. Vos performances économiques sont dépendantes de la conjoncture économique. C’est un problème fondamental"