CONTRIBUTION - L’Assemblée nationale a été saisie pour statuer sur le projet de loi constitutionnelle N* 07/2019 portant révision de la constitution.

Ce projet de loi qui va supprimer le poste de Premier ministre comporte des failles et des pièges sur lesquels nous voulons attirer l’attention de l’opinion. En effet, ledit projet qui a pour objectif de supprimer le poste de Premier ministre doit, par conséquent, abroger tous les articles qui font référence aux prérogatives du Premier ministre ou à sa fonction. Le défaut d’abrogation d’un seul article le rend valable et le positionne à la valeur constitutionnelle dans la hiérarchie des normes juridiques. Or, il  apparaît à l’article unique du projet de loi portant modification de la constitution que l’article 63 qui fait référence à la session extraordinaire de l’assemblée nationale et qui donne au Premier ministre une prérogative de proposition n’a pas été abrogé. Cet article dispose dans l’un de ses alinéas que  « L’Assemblée nationale est, en outre, réunie en session extraordinaire sur un ordre du jour déterminé, soit :

- sur décision de son bureau ;

- sur demande écrite de plus de la moitié de ses membres, adressée à son Président ;

- sur décision du Président de la République, seul ou sur proposition du Premier Ministre. »

 

Cet article qui prévoit la proposition du premier ministre pour réunir en session extraordinaire l’Assemblée nationale, ne fait pas partie de ceux qui ont été abrogés et remplacés.

Le projet de loi constitutionnelle N* 07/2019 portant révision de la constitution soumis aux députés prévoit, par conséquent, de maintenir dans la charte fondamentale de notre pays, des prérogatives à un premier ministre qui n’existe plus. Ce qui est une faille incompréhensible que la précipitation à saisir l’assemblée nationale peut amplement justifier.

 

Ayant déjà publié une note sur les conséquences du point de vue législatif et réglementaire de la suppression du poste de Premier ministre, je ne reviendrai pas sur le caractère exorbitant des pouvoirs du Président de la république qui s’étalent d’une manière indécente sur le pouvoir exécutif et sur le pouvoir législatif.

D’ailleurs, le renforcement des pouvoirs du Président de la république sur tous les articles abrogés et remplacés  dans cette nouvelle loi, est une preuve que la suppression du poste de Premier ministre ampute à une autorité de l’exécutif des prérogatives distinctes de celles du Président de la république et les attribuent à ce dernier.

 

Seulement, nous comptons attirer l’attention, à travers cette contribution, sur les pièges contre l’Assemblée nationale et le peuple sénégalais que comporte cette loi de modification.

L’impossibilité pour le Président de la république de dissoudre l’Assemblée nationale, a été mise en exergue dans l’exposé des motifs pour ressortir un certain équilibre des pouvoirs et ainsi justifier la suppression de la possibilité, pour l’Assemblée nationale, de provoquer la démission du gouvernement.

Il faut préciser que la comparaison est assez comique car les deux sanctions ne concernent pas les mêmes institutions. C’est le gouvernement qui est touché, en cas de motion de censure ou de refus de confiance, et non le Président de la République.

 

Bref, le Président de la république a été toujours protégé et le demeure davantage avec cette nouvelle loi. Il se trouve, en sus et par ricochet que les pouvoirs des députés ont presque été réduits à néant.

Le pouvoir de contrôle de l’action gouvernementale à travers un dialogue fécond avec l’exécutif trouve son unique siège dans l’audition ou le dialogue avec les exécutants, sans aucune présentation de déclaration de politique générale.

Celui qui instruit les décisions du Président de la république et cordonne le gouvernement sous le sceau de la solidarité et de la collégialité n’existe plus. Les députés feront face à des exécutants qui ne peuvent maîtriser la transversalité du gouvernement et ne pourront par conséquent apporter les réponses adéquates quant aux questions qui touchent plusieurs secteurs d’activité comme c’est souvent le cas.

Il s’y ajoute que le Président de la République a une mainmise sur l’Assemblée nationale de diverses manières, sans que celle-ci ne puisse le contrôler, en retour, convenablement au nom du peuple.

Il est initiateur de la loi au même titre que les députés , ses demandes de procédure d’urgence s’appliquent de droit. Il a un droit d’amendement et peut imposer les tiens au détriment de ceux des députés.  Il a la priorité sur l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et peut convoquer une session extraordinaire à tout moment.

Par ailleurs, en instaurant une impossibilité de dissoudre l’Assemblée nationale, le projet de loi pose les germes d’une entorse au renouvellement de la légitimité populaire.

Il se trouve que le quinquennat législatif ne correspond pas au quinquennat présidentiel. Ce qui signifie que le Président de la république aura une nouvelle majorité ou une majorité en face de lui en 2022.

Si une nouvelle majorité du camp du pouvoir (BBY) s’installe en 2022, il sera impossible au remplaçant de Macky Sall, de dissoudre l’Assemblée nationale pour organiser des élections législatives afin de refléter les réalités d’une nouvelle configuration politique. Le futur Président sera obligé de faire avec une majorité conçue et managée par le Président sortant, durant une période de trois ans sur les cinq années de son mandat.

Thierno Bocoum

Président Mouvement AGIR