NETTALI.COM - La coalition Diomaye est en pleine expansion, depuis quelques jours, à la faveur des tensions notées entre le Chef de l’État Diomaye Faye et le Premier ministre et leader de Pastef, Ousmane Sonko. "EnQuête" donne la parole à des leaders politiques issus de divers partis, mais aussi à des observateurs politiques analysant, entre autres, la situation et les sources de cette division.

Les vagues de ralliement à la coalition Diomaye Président se poursuivent, dans un contexte de divergences entre le Chef de l’État Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko. Parmi ces partis qui ont pris fait et cause pour le Président, il y a le Parti Téranga Sénégal (PTS). Dans sa déclaration d’engagement faite avant-hier, Dr Abdoulaye Niane a salué la décision du Président de la République Bassirou Diomaye Faye de restructurer la coalition. “Suite à une large concertation dans notre parti, nous nous engageons à travailler avec détermination avec Mme Aminata Touré, superviseure générale de la coalition, en vue d’élargir la base de soutien du Président Bas-sirou Diomaye Faye pour la réalisation de ses nobles ambitions pour le Sénégal”, indique le président du Parti Téranga Sénégal (PTS).

Son vice-président, M. Babacar Gueye, de confier à EnQuête les motivations du parti à rejoindre cette coalition qui est traversée par des tensions publiques. “Notre souhait a toujours été que le duo se pérennise pour l’intérêt du Sénégal. Malheureusement, ce n’est pas le cas, et tout politique se retrouve à l’heure du choix. Et après une large concertation avec nos bases politiques, nous avons opté pour le camp de la défense de la République et des institutions”, explique M. Gueye.

À ses yeux, le renforcement politique du Président, gardien de la Constitution, est “un gage pour la stabilité et la paix du Sénégal”.

La réputation des hommes politiques en jeu

Militant de Pastef et expert en Communication à la Cedeao, Badara Pouye fait une lecture politique de la situation actuelle. Il souligne que la politique est une science et que les hommes politiques n’ont pas d’amis, mais des intérêts. “Aujourd’hui, ce qui se passe démontre nettement que la politique peut séparer un père de son fils ou une mère de sa fille. Donc, les hommes politiques cherchent leurs intérêts”, dit-il. Il y voit une rivalité ou une course effrénée entre les coalitions, qu’elles soient favorables à Diomaye Faye ou à Sonko.

À l’en croire, s’il y a rupture et cassure entre le Premier ministre et son président, il sera difficile au Sénégal de faire croire à la jeunesse que les hommes politiques ne sont pas pareils. “Il sera extrêmement difficile parce que la jeunesse est déjà désorientée, elle est désenchantée. Et cette situation va, en tout cas, renforcer l’idée selon laquelle les promesses des hommes politiques n’engagent que leurs auteurs, et non leurs destinataires”, martèle-t-il.

Badara Pouye souligne que beaucoup de cadres qui occupent des responsabilités à la tête du parti Pastef ont été cooptés et débauchés par le président Bassirou Diomaye Faye. M. Pouye, qui dit parler en tant qu’observateur et non en tant que militant, renseigne que l’issue est incertaine. “On ne sait pas l’issue de cette probable crise institutionnelle”, dit-il, soulignant que la plupart des députés du groupe parlementaire Pastef seraient fidèles au Premier ministre Ousmane Sonko. De même, il y a une partie des ministres et directeurs généraux de Pastef.

S’il y a une crise, beaucoup de gens qui se disent fidèles à Ousmane Sonko, pour ne pas perdre leur poste ou leurs privilèges, pourraient retourner leurs vestes. D’ailleurs, depuis quelques jours, peu de gens parlent”, fait-il remarquer, non sans estimer que ces derniers sont dans la médiation. Parlant des conséquences, Badara Pouye considère que cette situation pourrait dégénérer et aboutir au limogeage du Premier ministre.

Moussa Diaw, analyste politique : “La scission est inévitable”

Interpellé sur ce ralliement de plusieurs partis à la coalition Diomaye Président, le politologue Moussa Diaw déclare : “Ce nouveau phénomène politique traduit les divergences entre le président et son Premier ministre. Les rivalités de conception se déplacent sur le terrain politique par la création ou le renforcement de coalitions dans une perspective de compétitions électorales.”

Au-delà de la personne de la coordinatrice, ce désaccord semble opposer une logique institutionnelle (portée par le Chef de l’État) à une logique de mouvement militant (incarnée par le leader de Pastef). Selon Moussa Diaw, ces initiatives révèlent une vision politique adossée à un revirement adopté par le président, qui cherche à s’appuyer sur un appareil lui permettant d’anticiper un second mandat. “Ce calcul politique, soutenu par une opposition dispersée et désorientée, s’achemine vers la mise en place d’une nouvelle force dont l’enjeu est l’accaparement de la coalition Diomaye Président”, analyse-t-il.

Pour lui, le président et son Premier ministre se livrent un combat politique. “Le Premier ministre s’y oppose en comprenant les intentions du président qui s’éloigne, par des actes posés, des principes fondateurs de leur alliance qui leur a permis d’arriver au pouvoir. Il est clair que les deux hommes sont engagés dans une bataille politique rude que les médiations auront du mal à régler, tellement les enjeux sont importants pour leur avenir respectif”, a-til soutenu.

Moussa Diaw ajoute que cette compétition pour la restructuration – autour de telle ou telle personne, qu’il s’agisse d’Aminata Touré ou d’Aïda Mbodj – n’est que l’arbre qui cache la forêt. “Le mal est profond, la scission est inévitable car on assiste, paradoxalement, à un choc des ambitions, puisque Ousmane Sonko, égal à lui-même et fidèle à ses principes politiques, n’accepterait pas de cohabiter avec les membres de l’ancien système qu’il combat. À terme, deux groupes s’opposeront : celui de la coalition Diomaye Président, agrégeant quelques membres de Pastef et de l’opposition. En face, un groupe du Pastef repensé, régénéré et déterminé à atteindre ses objectifs politiques dans le cadre du changement véritable de la vie politique et des pratiques”, soutient le politologue.

Il considère que l’on s’achemine ainsi vers une polarisation de l’espace politique sénégalais. Les prochaines échéances électorales, notamment les locales, donneront clairement la nouvelle configuration et les rapports de force favorables à l’un ou l’autre groupe, d’après M. Diaw.

Pour rappel, le 8 novembre dernier, à l’esplanade du stade Léopold Sédar Senghor de Dakar, Ousmane Sonko a tenu son “terra” meeting, durant lequel il a exprimé son attachement à Aïda Mbodj. Il a aussi annoncé qu’”il y aura un après-8 novembre”, faisant sans doute référence à cette situation.

Dans la foulée de ce meeting, à travers une note, le président Diomaye Faye a informé que Mimi Touré prendrait la relève d’Aïda Mbodj en tant que coordonnatrice – ou superviseure – de la coalition Diomaye Président, devant être restructurée. Quelques heures plus tard, le Bureau politique de Pastef a publié un communiqué pour dénoncer cette décision et réaffirmer “son attachement et sa fidélité à Ousmane Sonko”, mais également le fait qu’Aïda Mbodj reste la coordonnatrice de la coalition. Le Bureau politique a aussi affirmé que le président Diomaye Faye, en tant qu’ancien secrétaire général démissionnaire du parti, “n’avait pas la prérogative de nommer qui que ce soit, en tout cas pour diriger la coalition”.

“Depuis lors, nous constatons que le président ne s’exprime pas, mais la nomination de Mimi Touré va dans le sens d’une divergence politique. Pour le moment, nous n’avons pas encore de signes de divergence institutionnelle, mais des signes d’une divergence politique commencent à apparaître entre le président”, indique Badara Pouye, militant de Pastef. Qui fait remarquer que “Diomaye n’a actuellement aucune fonction politique au sein de l’appareil du parti, puisqu’il a démissionné de son poste de secrétaire général”.

Ameth Diallo, politicien : “Pastef a trahi la coalition Diomaye Président”

Coordinateur national de Gox Yu Bees - Les Bâtisseurs, Ameth Diallo a pris fait et cause pour Diomaye Faye, au détriment d’Ousmane Sonko. Selon ses dires, 6 avril 2024, une rencontre décisive s’est tenue au King Fahd Palace. Le président Diomaye Faye, assure-t-il, a donné des instructions précises : réorganiser la coalition et trouver un nouveau nom pour l’adapter à la nouvelle gouvernance. Sous la coordination de la Conférence des Leaders, présidée par Aïda Mbodj, un processus structuré a été lancé pour refonder la coalition. Plusieurs responsables, issus des différentes formations alliées, s’y sont engagés de manière volontaire, d'après M. Diallo.

C’est par pur volontarisme que j’ai joué un rôle central dans ces travaux. J’ai moi-même proposé les termes de référence pour le travail à faire. À la demande d’Aïda Mbodj, j’ai piloté et coordonné les groupes de travail et consolidé l’ensemble des livrables issus de ces groupes : la charte, le règlement intérieur, la structuration et les commissions. Tout ce travail a été achevé avant la fin du mois de mai 2024, conformément aux directives du président de la République”, fait savoir Ameth Diallo.

Une fois les travaux finalisés, ditil, l’ensemble du dossier fut transmis à Ayib Daffé, secrétaire général du Pastef, pour que leur parti puisse formuler ses remarques. Mais, selon Ameth Diallo, sur instruction d’Ousmane Sonko, le document a été bloqué. “L’objectif était clair : empêcher toute structuration collective, aller aux législatives avec le seul récépissé du Pastef, et priver le président de tout levier politique.” Ameth Diallo considère que le processus de structuration s’est déroulé dans la rigueur et la transparence.

EnQuête