NETTALI.COM - Une seule phrase pourrait condenser à merveille la substance du message qu’Ousmane Sonko a voulu délivrer samedi lors du Tera meeting de Pastef : “Retenez-moi ou je fais un malheur !”. Le leader de Pastef s’adresse certes à ses partisans venus des quatre coins du Sénégal, mais le premier destinataire du message n’est autre que le Président Bassirou Diomaye Faye.

Derrière la forte mobilisation des militants et sympathisants, le décor à l’américaine et la mise en scène qui met en valeur le tribun qu’il est, se cache une ferme volonté de mettre la pression sur le chef de l’Etat. Quelques phrases dans sa sortie révèlent le malaise entre le Président Diomaye et le chef de file de Pastef.

Réalité niée à souhait, mais qui, à l’image de la métaphore de la mer que ne sauraient arrêter nos pauvres bras humains et périssables, impose toute sa vérité. “Certains pensent que ma relation avec le Président Bassirou Diomaye Faye pourrait se détériorer. Dans la vie tout peut arriver”. Ou encore : “Sachez que ce qui mettra fin à notre relation ne viendra pas de moi”. Tout le charme est dans la nuance qui suit : “Je crois savoir que cela ne viendra pas du Président Bassirou Diomaye Faye”.

Les attaques contre les magistrats, à travers les institutions les plus en vue de la Justice (Cour Suprême, Conseil constitutionnel et la Cour d’appel) procèdent de la même pression sur le Président de la République ; l’objectif étant de créer les conditions de la validation de sa candidature compromise de 2029 du fait de l’affaire Mame Mbaye Niang.

Malgré les apparences, (digressions, câlins verbaux et fausses pistes), le discours de Sonko nous semble d’une grande cohérence. Même relativement dilué du point de vue de l’agressivité discursive, en comparaison avec ces précédentes sorties, il décline clairement son objectif qui est de confirmer ou de rappeler la centralité du personnage principal de la scène : lui-même, Ousmane Sonko. Diomaye Faye, fut-il Président de la République, gardien de la Constitution et détenteur du pouvoir du décret, ne saurait oublier qu’il a fait ses bancs au… Pastef. “Il n y a rien d’autre que Pastef-Les Patriotes”, dit-il clairement. Or, Pastef. C’est tout aussi clairement Ousmane Sonko qui rappelle d’ailleurs que tout a commencé dans une petite chambre où il n’y avait pas dix personnes. Et, détail important, c’est encore lui, Ousmane Sonko qui, après moult hésitations sur l’épineux chemin politique qu’il s’apprêtait à emprunter après l’aventure syndicale, a demandé à ses compagnons – ses lieutenants donc – de le rejoindre dans ce combat. Ainsi naquit Pastef ! Du moins tel que le narre Ousmane Sonko, père fondateur du Royaume.

Si on adhère à ce discours de genèse, la suite peut bien s’entendre aussi. Ceux qui sont venus après la construction de la Cité, ne peuvent pas édicter les règles du jeu. Le leader de Pastef ne les nomme pas tous, mais tout le monde a compris qu’il veut faire focus sur deux figures fortes de la Coalition Diomaye Président : Aminata Touré et d’Abdourahmane Diouf, respectivement Haute représentante du Président Bassirou Diomaye Faye et ministre de l’Environnement et de la Transition écologique, membre de la Coalition Diomaye Président. D’ailleurs aucune « étoile » ne saurait graviter nulle part ailleurs qu’autour de Pastef. Surtout que ces deux “étoiles” ne scintillent pas à cause de leur maigre poids électoral et des casseroles qu’elles traînent. La messe est dite, le message est clair, on baisse donc les rideaux !

En vérité, la scène, telle qu’elle se donne à voir, ressemble à certains égards, à l’épisode politique Wade/Idy, mais sous la forme d’un entonnoir inversé. Le premier, vieux mohican de la politique, est père fondateur du Parti démocratique sénégalais (PDS), alors que le second, se considérait comme l’actionnaire majoritaire de cette formation politique pour en avoir été le directeur de campagne. Idrissa Seck, concepteur des marches bleues (dans un contexte où le PDS tirait si bien le Diable par la queue que la villa du Point E de son Secrétaire général était sur le point d’être saisi), avait réussi, à peine la quarantaine entamée, à porter Me Wade au pouvoir, sans casser la tirelire. Avec naturellement le coup de pouce magistral de formations politiques de la gauche communiste sénégalaise. On connait la suite !

Idrissa Seck, pourtant politiquement très talentueux fut foudroyé comme Icare en plein vol. La fronde démarra timidement plus gagna en force au point que presque tout le réseau de Mara fut détruit. Les mêmes concepts politiques utilisés à l’époque se retrouvent aujourd’hui encore sur l’échiquier : dualité, jeux de clans, faucons, colombes et amateurs du grand écart. Celui qui finalement profita de cette situation, pour inattendu qu’il soit, fut… Macky Sall.

Ainsi va la vie que quiconque reste patient en découvre les vérités cachées. Les concepts de force et de faiblesse sont évanescents en politique. Et les morts peuvent même ressusciter. Tout intelligent et déterminé qu’il soit donc, le leader de Pastef ne peut pas occulter que le pouvoir est tout aussi mystérieux que le cheminement de nos fugaces destins.

Diomaye Président est différent de Diomaye syndicaliste ou débutant politique, commis aux tâches ingrates de rédaction des textes du parti en gestation. Personne ne l’attendait à la tête de l’Etat, même trois mois avant la dernière Présidentielle. Très peu de personnes, même les analystes les plus futés, pouvaient penser, en plein apogée de Benno Siggil Sénégal (BSS) que Macky Sall allait succéder à Me Abdoulaye Wade. Que même le discret fonctionnaire Abdou Diouf, ayant hérité sans vote du pouvoir, allait survivre un an dans la mare socialiste du début des années 80.

Bien insondables sont souvent les voies de la politique !

PAR MAHMOUDOU WANE