NETTALI.COM - Alors qu’était attendue une déclaration d’une « grande importance », le samedi 25 octobre, mais à l’arrivée rien de bien croustillant à se mettre sous la dent. L’annonce de l’organisation par le Premier ministre d’un « terra meeting », le 8 novembre prochain, sur le parking du Stade Léopold Sédar Senghor, est juste ce qui en a résulté. Et comme pour donner un peu plus de saveur à l'évènement, celui-ci a évoqué « un rendez-vous comme il n’y en a jamais eu au Sénégal, aussi bien dans l’organisation, dans la mobilisation que dans le contenu. »
Une rencontre qui permettra, selon ce dernier, de faire le point sur la gestion de l’État après un an et demi d’exercice du pouvoir. « Nous parlerons de ce qui marche, de ce qui ne marche pas, des entraves rencontrées, de ce que nous avons fait et de ce qu’il reste à faire », a-t-il précisé. Outre les questions de gouvernance, le leader de Pastef a indiqué que la situation interne du parti sera également abordée, dans un esprit de transparence. « Ce sera une discussion de vérité, sans cache-cache. Au terme de la rencontre, chacun saura à quoi s’en tenir, et tout changera dans les perspectives », a-t-il promis.
Un énoncé des sujets à débattre qui apparaît comme un bilan d’étape, mais qui laisse en même temps transparaître un malaise persistant à la tête de l’exécutif. Sinon qu’est-ce qui expliquerait cette réunion avec les députés évoqués par la presse du lundi 27 octobre ? Des quotidiens de la place du lundi 27 octobre ont, comme on s’y attendait, rendu compte de cet état de fait.
« Vox populi » a par exemple barré à sa Une, le titre suivant : « que mijote le président de Pastef ? », tout en la complétant par une information secondaire suivante : « Réunion entre Sonko et ses députés : les révélations d’Ahmed Aidara » citant ce dernier qui déclare en ces termes : « il n’est pas content, pendant qu’il parlait des députés ont craqué… » ; « il maîtrise l’Assemblée, mais en tant que chef du gouvernement, il ne maîtrise pas l’administration, comme il ne maîtrise pas la justice » ; « il ne va pas démissionner, mais si on le démet, il retourne à l’émission » ; « la libération de Pape Malick Ndour après sa garde à vue qui ne passe pas " a libéré Pape Malick Ndour ? " »
« Walf quotidien » a pour sa part évoqué un « méli-mélo au sommet » avec la photo du couple Diomaye-Sonko en illustration ; Le « Point actu » a quant à lui barré à sa Une « Diomaye-Sonko / Mortal Kombat, saison 2 », là où « Direct News » a annoncé que « Sonko compte et identifie ses amis le 8 novembre ».
Une sortie d’un ministre du gouvernement qui conforte la crise au sommet
La question à se poser, au moment où des quotidiens évoquent un malaise au sommet de l’Etat, est de savoir ce qui a bien pu motiver la sortie du ministre de l'Environnement et la Transition écologique dans le gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko, Abdourahmane Diouf ? Rappelons tout de même que le mercredi 22 octobre, le ministre s'était fendu d'une contribution ou "Libre parole" intitulée "NEW YORK – KIGALI – NAIROBI - Les fagots d’un périple présidentiel" publiés par quelques quotidiens. Il écrivait en des termes élogieux ceci : « De Dakar à New York, de Kigali à Nairobi, sous les effluves d’un été finissant, nous avons suivi un itinéraire au service de notre pays. Le parcours a été inspirant. Des rencontres ont été organisées, des audiences accordées, des discours prononcés, des messages distillés. Le tout autour du primat d’un pragmatisme acéré, au service de la diplomatie du Sénégal. Qui de mieux que le premier diplomate du pays, le Président de la République Bassirou Diomaye Faye, pour donner le souffle ! (...)»
Quelle que soit en tout cas la raison de cette sortie, l’on note bien qu’elle n’est pas de nature à dissiper les nuages dans la gouvernance. Le ministre allié de la coalition Diomaye président qui a gardé sa liberté de ton, a appelé et pas sur n’importe quelle chaîne de télé, la RTS notamment, le chef de l’Etat à prendre ses responsabilités face à la situation actuelle du pays qu'il juge "divisé". C'était au cours de l’émission "En vérité".
"Le président Bassirou Diomaye Faye, a-t-il indiqué, n'est pas le président d'un parti, il est le président d'un pays." Des propos du ministre Abdourahmane Diouf qui risquent d’être vus comme une défiance au lendemain d'une déclaration du Premier ministre Ousmane Sonko, dans un contexte de rumeurs et de spéculations sur la relation entre les deux têtes de l'Exécutif. Ils sont en effet bien nombreux à penser que les divergences entre le chef de l’Etat et son Premier ministre seraient liées aux questions de justice. Questions sur lesquelles Abdourahmane Diouf a sa position.
Le président d’Awalé estime en effet que "les questions de justice sont certes importantes, mais on doit pouvoir pardonner. Cela ne veut pas dire qu'on ne rendra pas justice. Mais rendre justice ne doit pas nous amener à opposer des Sénégalais contre d'autres Sénégalais". De l'avis d'Abdourahmane Diouf, le Sénégal a atteint "un niveau de fracture tel qu'on sent la haine partout". "Il est temps, dit-il, que ce pays décolle, qu'il sorte définitivement de l'espace des pays les moins avancés. Il faut qu'on réconcilie les Sénégalais." Même s'il admet que "chacun est libre de pardonner ou de ne pas le faire", avant de poursuivre : "Je sais qu'il ne veut pas d'un pays divisé où les vainqueurs prennent leur revanche sur les vaincus. Cela veut dire qu'on n'aura jamais le temps de bâtir une nation. On ne doit pas demander au président de la République d'appliquer une justice des vainqueurs. On doit laisser le président rester à équidistance de la justice. Son rôle n'est pas de donner des ordres à la Justice, son rôle c'est de réconcilier les Sénégalais. Pour moi, il n'y a pas un peuple des 54% face à un peuple de 46%. Il n'y a pas de mandat impératif au Sénégal, le président est celui de tous les Sénégalais."
Les germes d'une division du pays que semble exprimer le quotidien « Enquête » qui évoque à sa Une du lundi 27 octobre : « Division du peuple sénégalais « moutons » vs « kulunas » - La gangrène ».
Difficile en effet de savoir comment on en est arrivé à un tel niveau de frictions qui voudrait voir le pays comme deux camps politiques qui se regardent en chiens de faïence (Pastef vs APR) sans toutefois entrevoir la possibilité d’avoir un troisième camp, celui des Sénégalais sans obédience partisane.
Le ministre a évidemment essuyé des critiques si l'on en croit le journal "Le Quotidien" qui barre à sa Une les propos du maire de Dakar Abasse Fall qui déclare : "Quelle honte et quelle ingratitude !" ; celles de Toussain Manga : "c'est aujourd'hui que les gens peuvent parler" ; ou celles de Seydi Gassama " la réconciliation sans justice et réparations, est une réconciliation entre politiciens"
La question, c'est comment ne pas être d’accord avec l’assertion d’Abdourahmane Diouf, lorsqu'il proscrit "une justice des vainqueurs" et "la réconciliation des Sénégalais", surtout lorsque l'ensemble des militants des partis politiques sont une minorité par rapport à la grande masse des Sénégalais qui votent ? Il est tout aussi vrai que Bassirou Diomaye Faye est le président de tous les Sénégalais, ceux qui ont voté pour lui ou contre lui. Du point de vue de son serment, il a le devoir de préserver l'unité national en tant que garant.
Il convient au-delà de souligner que ce pardon que met en exergue le ministre, a toujours été un recours dans des situations difficiles, avec pour objectif de ramener la paix et de réconcilier les citoyens. Des prisonniers n’ont-ils pas souvent bénéficié de mesures de grâces à la veille de certaines fêtes nationales ? L’amnistie n’a-t-elle pas déjà été utilisée dans une logique d’apaisement et de pardon ? Pour s’en convaincre, il suffit de revisiter les conditions d’accession de Pastef au pouvoir. L'on peut évidement toutefois discuter du processus pour arriver à la réconciliation et l'importance de rendre justice.
Si l'on se fonde sur l'argument de Seydi Gassama, l'on peut tout aussi critiquer ce processus d'indemnisation des supposées victimes des évènements politiques, sans une décision de justice.
Loin de prêcher l’impunité, il s'agit de passer par des voies légales qui permettront une remise à plat de tous ces affaires, quitte à abroger la loi d'amnisitie, en passant par la justice afin de donner un caractère légal à tous les actes à poser. Le ministre n’a nullement à demander au président d’assumer ses responsabilités, son serment de préserver l’unité nationale, l’y enjoint fortement.
Une dualité à la tête de l'exécutif, de plus en plus relevée
Que cherche réellement Ousmane Sonko après sa récente sortie au cours de laquelle, il s’insurgeait contre le manque d’autorité du président de la république et le fait qu’on ne le laissait pas gouverner ? Difficile de savoir ce que le PM veut réellement obtenir de plus après que le président Diomaye Faye lui a fait des concessions avec les limogeages des ministres de la justice et de l’intérieur qui ont permis de voir atterrir à leur place, respectivement deux proches du PM, Yassine Fall et son avocat, Me Bamba Cissé.
Invité du « Grand Jury » de la RFM, le dimanche 26 octobre 2025, l’ancien parlementaire Théodore Chérif Monteil voit le signe d’une dualité au pouvoir de plus en plus perceptible au sommet de l’État sénégalais. Selon lui, cette prise d’initiative publique du Premier ministre révèle une tension latente entre la Présidence et la Primature. « Quand un Premier ministre devient défiant, on le démet. Maintenir une rivalité interne au sommet ne peut qu’affaiblir la cohérence de l’action gouvernementale », a-t-il affirmé.
Le journaliste chroniqueur Ibou Fall pense qu’il y a quand même quelques indices, c’est qu’il y a au moins une crise au sommet et que cela était à prévoir. « Lui-même a dit qu’il a besoin de repos et cette semaine tout le monde a parlé de son absence au conseil des ministres et tout le monde spéculait sur sa maladie ou pas. Manifestement Celui qu’on a vu en train n’avait pas l’air très malade », a ajouté le chroniqueur comme pour étayer son assertion.
« Nous sommes en république avec une hiérarchie, le président de la république, c’est le patron de tout le monde (…) Nous, on a assisté dès le début à une sorte de tandem, le pouvoir ne se partage pas. Il y a eu cette formule "Diomaye mooy Sonko etc" tout le monde a voulu… La vérité est que dans leur hiérarchie politique, c’est Ousmane Sonko le patron, dans la république, c’est Diomaye. Soit tu acceptes que c’est lui le président de la république, que c’est lui qui donne une vision, qui donne une cadence, qui polarise l’attention et qui décide ; soit tu te démets. Un premier ministre qui fait de l’ombre au président, ça ne peut pas durer. Ce qui nous arrive par rapport aux partenaires financiers, je pense qu’il y a une hésitation parce qu’ on ne sait pas qui décide. Or, en économie, c’est la confiance. La confiance c’est de se dire voilà notre interlocuteur, c’est avec lui qu’on va parler ; Si on arrive dans un pays où en principe c’est le président qui doit décider, et où c’est le premier ministre qui est l’interlocuteur, on va faire attention… », a ainsi analysé Ibou Fall.
« Il y a, selon ce dernier, une anomalie dès les élections, parce que si on s’en souvient, Macky Sall a essayé de reporter les élections pour remettre Ousmane Sonko et Karim Wade dans le jeu ; le conseil constitutionnel a stoppé cela, Macky Sall a quand même usé de son pouvoir pour amnistier et autres, à partir de ce moment-là, la logique a déserté la scène politique. On est dans une anomalie permanente et il y a eu Guy Marius Sagna qui a parlé de président légal et président légitime. Ça ne peut pas marcher, soit on est premier ministre, soit on est président de la république, on ne peut pas être les deux à la fois »
Entre messages à transmettre, démonstration de force et mesure de sa côte de popularité
Après les meetings, « méga Meeting » et bientôt « terra meeting », il serait intéressant d’arriver à imaginer ce que peut bien pouvoir dire le Premier ministre qu’il n’ait pas déjà dit, puisqu’il semble manifestement avoir épuisé l’éventail des sujets possibles et réclamé des marges de manoeuvre supplémentaires en termes de pouvoirs ?
Tout cela sonne comme une sorte d’obsession d’Ousmane Sonko pour la communication et l’emprise qu’il peut avoir sur le parti et les militants. Une manière certainement de tester par la même occasion sa cote de popularité après 18 mois d’exercice du pouvoir.
Ousmane Sonko est populaire c’est sûr et il ne viendrait à l’idée de personne d’en douter. La mobilisation d’une foule, même si elle peut être un bon préjugé de popularité, ne saurait être un baromètre suffisant. Qui était plus populaire que Me Wade ? L’on se rappelle de cette veille d’élection de 2012 durant laquelle, soutenu par feu Cheikh Béthio Thioune, les sources du Parti démocratique sénégalais tablaient entre 1,8 et 2 millions de personnes ayant assisté au meeting du président de la république organisé par son parti. Mais à l’arrivée Abdoulaye Wade a été battu par Macky Sall. Oublie-t-on sans doute que la foule n’est pas toujours un baromètre suffisant qui se répercute forcément dans le résultat dans les urnes. La vérité d’hier n’étant en aucun cas celle d’aujourd’hui. De toute évidence, les hommes politiques d’envergure sont toujours une curiosité dans nos pays avec des populations toujours attirées par les rassemblements lorsqu’elles ne sont pas mobilisées à coup d’espèces sonnantes et trébuchantes. Nul doute qu’ils arrivent toujours à mobiliser surtout lorsqu’ils sont au pouvoir.
Mais la question qui fuse chez certains observateurs, est de savoir si le PM n’aurait pas renoncé à une déclaration grave qu’on lui aurait demandé de diluer, voire de différer ?
A la vérité, si ce n’était que cette annonce d’un meeting à venir le 8 novembre, un simple communiqué ou un visuel comme celui qui avait été affiché pour cette sortie du 25 octobre, suffisait. Il y a quelque chose en effet qu’on ne nous dit pas.
Ousmane Sonko doit se rendre à l’évidence que gouverner consiste à poser des actes et à moins s’inscrire dans une logique de complaintes permanentes. Ce sont des actes dont ce pays a besoin, surtout dans un contexte où l’économie est bien morose, marquée par les récriminations contre le prix de l’électricité, sans oublier les délestages qui reviennent, la pression fiscale sur les populations et les ménages, des populations qui pataugent toujours dans les eaux, l’épidémie de la fièvre de la vallée du Rift qui poursuit sa progression, avec, selon un communiqué du ministère de la santé, 258 cas confirmés chez les humains,160 chez les animaux et 21 décès à la date du 19 octobre 2025, sans oublier ces polémiques persistantes sur la dette dite cachée, au moment où le FMI est dans nos murs dans le cadre de négociations liées à un nouveau programme pour le pays qui a tant besoin de financements afin d’éviter de continuer à recourir aux appels publics à l’épargne très coûteux pour le contribuable et avec des périodes de remboursement très courts.
A la vérité, l’on perd beaucoup de temps avec cette tyrannie de la politique politicienne et cette judiciarisation excessive de la vie politique et publique au travers desquelles les différends entre politiques ne doivent pas pouvoir se résoudre sur le terrain judiciaire. De même que l’exercice de la justice peut se faire de manière sereine sans incursion aucune de l’exécutive à qui l’on ne demande qu’une chose, d’améliorer le quotidien des Sénégalais.
Toujours est-il qu’Ousmane Sonko ne sera pas le seul à occuper le terrain politique, le 8 novembre. L’opposant Bougane Guèye Dany a appelé à un « Niakhtou National » le même jour à partir de l’École normale jusqu’au Terminus Liberté 5 à Dakar. Dans son message, il invite toute l’opposition, les syndicats et les forces vives de la nation, y compris les activistes, à se mobiliser pour « dénoncer la vie chère qui étouffe les ménages ». Il appelle par la même occasion à rejeter la taxation de 1 % imposée aux citoyens, à protester contre les coupures d’électricité et les déguerpissements des commerçants ambulants, ainsi qu’à dire non à la hausse du coût du Woyofal.
L’affaissement du niveau des politiques
Ce pays a changé. Vraiment changé. Dans le mauvais sens du terme. Ce sont désormais le paradigme musculaire, la violence verbale, le dénigrement et les attaques personnelles qui structurent le débat public. Il n’existe plus de débats programmatiques et les plateaux sont transformés en lieux d’affrontements. Disons que la politique s’est gravement dépréciée sous nos tropiques, alors que dans le même temps, le niveau des hommes politiques a fortement baissé. De ce point de vue, il y a une nette différence entre les hommes politiques actuels et leurs aînés qui jouissaient d’une grande culture politique et d’une bonne formation dans les écoles de partis.
On oublie en effet souvent que la politique n’a pas commencé dans ce pays en 2012, ni en 2019 et encore moins en 2024. Et qu’à des moments déterminés de la vie de cette jeune nation, les vertus de la discussion et l’intelligence consensuelle ont régulièrement pris le dessus sur les instincts basiques, guerriers, fermés et souvent suicidaires.
Il est d’ailleurs bien incompréhensible, avec toute l’expérience politique acquise par notre pays, depuis plus d’un siècle, qu’on en arrive là. Et que nos hommes politiques se prennent encore et toujours pour des demi-dieux sortis de la cuisse de Jupiter ou des messies sans qui le Sénégal ne sera pas sauvé de la pauvreté. Mais pour l'heure, ce sont la morosité sur le plan économique et les problèmes sociaux qui sont les choses les mieux partagées.






