NETTALI.COM -‎ Lors de sa visite en Italie, le Premier ministre Ousmane Sonko a invité la diaspora à participer à l’effort économique national. L’ancien ministre Pape Malick Ndour alerte sur les dérives potentielles d’un tel appel, notamment le transfert du risque de change aux citoyens de l’extérieur.

En marge de sa visite en Italie, Ousmane Sonko a lancé un appel appuyé à l’endroit de la diaspora sénégalaise : participer activement au financement du développement du pays à travers des mécanismes innovants comme les diaspora bonds. Ce message, porté par un élan patriotique assumé, n’a pas manqué de faire réagir l’ancien ministre Pape Malick Ndour, qui voit dans cette proposition une approche économiquement injuste et politiquement discutable. Dans une tribune partagée sur ses canaux, il démonte les mécanismes financiers sous-jacents à ces instruments de dette, en dénonçant le fait que le risque de change soit entièrement transféré aux membres de la diaspora.

"Imaginez un État qui tend la main à sa diaspora et lui demande un prêt pour financer ses projets nationaux", écrit-il en introduction. Il prend l’exemple d’un citoyen de la diaspora qui prête 100 dollars à l’État alors que le taux de change est de 1 dollar pour 500 francs CFA, soit un prêt équivalent à 50 000 francs CFA. Mais lorsque l’heure du remboursement arrive, le dollar s’est apprécié : il faut désormais 600 francs CFA pour en obtenir un. Or, l’État rembourse toujours les 50 000 francs CFA empruntés, ce qui, converti au nouveau taux, ne représente plus que 83 dollars. Le prêteur perd ainsi 17 % de son investissement initial.

Pour Pape Malick Ndour, ce mécanisme est une manœuvre déséquilibrée et irresponsable. "Le risque de change, jadis hypothétique pour l’État, s’est transformé en une réalité tangible et supportée directement par les populations prêteuses. Encore une logique de l’État Tok Mouy Dokh", écrit-il, reprenant une expression populaire pour désigner un État qui prend sans rendre équitablement. En d’autres termes, l’État se protège des aléas du marché des devises au détriment de ses propres citoyens vivant à l’étranger, qui ne disposent ni des outils ni de la formation pour anticiper ou couvrir ce type de risque.

L’ancien ministre reconnaît qu’un scénario inverse , comme la baisse du dollar aurait pu profiter à la diaspora. Mais selon lui, cela ne change rien au fond du problème : "Le peuple n’est pas suffisamment outillé pour être un acteur sur le marché des changes, un espace complexe où l’incertitude, les fluctuations rapides et les mécanismes financiers sophistiqués rendent toute manœuvre risquée. Il ne doit jamais servir de bouclier face à ces variations".

En guise de solution, il propose que les prêts de la diaspora soient libellés dans la monnaie de résidence du prêteur, une pratique courante sur les marchés internationaux et déjà accessible via les Eurobonds. Cela impliquerait que l’État assume lui-même le risque de change, comme le font les émetteurs souverains responsables. Ce choix, selon Pape Malick Ndour, est la condition minimale pour que les diaspora bonds soient une opportunité juste et équitable, et non un piège à patriotisme.

À l’heure où le gouvernement cherche à renforcer ses liens avec la diaspora et à diversifier ses sources de financement, cette mise en garde soulève une question essentielle : peut-on construire un engagement économique durable sur la base d’une relation déséquilibrée ? Pour Pape Malick Ndour, la réponse est claire : sans équité monétaire, l’appel à la solidarité nationale devient une forme de mise en danger silencieuse.

Le débat est ouvert.