NETTALI.COM - Entre le Premier ministre Ousmane Sonko et le Fonds monétaire International, ce n’est pas demain la veille de la conciliation. Le PM ne rate en effet aucune occasion de s’en prendre au FMI. Vendredi 1e Août encore, lors de la présentation du Plan national de redressement « Jubbanti Koom », il s’en est encore pris à l’institution, s’interrogant sur la volonté du FMI qui tarde à signer un nouveau programme avec le Sénégal. Il a ainsi déclaré que rien ne justifie le retard que le Sénégal a avec le Fonds monétaire international.
« Ils nous demandent document sur document. Or, ils ont leur part de responsabilités dans la situation dont nous avons hérité. Parce qu’ils ne peuvent pas venir chaque année, faire des revues et ne pas voir quelque chose d’aussi gros », s’est plaint le Premier ministre qui embraie : « j’espère qu’il n’y a pas de politique mêlée à cette affaire-là. On aurait dû signer un nouveau programme depuis et continuer le travail que nous sommes en train de faire. Mais on a l’impression qu’il y a une volonté d’asphyxier le pays ».
Selon lui, le Sénégal ne compte de toute façon pas sur le FMI, ni sur un autre partenaire d’ailleurs. « Nous ne sommes pas là pour satisfaire aux injonctions de qui que ce soit. C’est parce que nous voulons nous donner l’autonomie, la liberté et la souveraineté sur nos décisions », a-t-il fulminé.
Malgré tous ces blocages, le souhait du PM est que le pays puisse sortir de cette situation par ses propres efforts, à travers notamment ce plan de redressement. « Maintenant si la situation se décante avec le fonds, c’est tant mieux. Encore une fois, le Fonds, c’est juste une garantie. Ce ne sont pas les décaissements », a précisé le chef du Gouvernement.
La posture d'Ousmane Sonko ne révèle en effet qu’une chose, il souffle le chaud et le froid. Mais, une fois que l’on a commis un acte aussi improductif que désinvolte en s’en prenant de la sorte à un partenaire financier majeur, tout en ne fermant pas la porte à une issue heureuse, cela s’appelle simplement de l’inconséquence ou du parfait bluff.
Le paradoxe est qu’au moment où le Premier ministre semble affirmer que le Sénégal peut se passer du Fonds monétaire international (FMI), le président de la République, Bassirou Diomaye Faye mène en parallèle des discussions avec l’institution de Bretton Woods. Ce qui, selon Moubarak Lo, témoigne d’« une différence de tempéraments ». L’invité du "Grand Jury" du dimanche 3 août, sur la RFM croit d’ailleurs savoir que le Sénégal n’est pas dans une position de rejet du FMI, mais plutôt de négociation équilibrée. Pour l’économiste, «même sans décaissement » un programme avec le FMI reste crucial pour la crédibilité du pays auprès des partenaires et des investisseurs. L’attractivité d’un pays repose, selon lui, sur la crédibilité financière, la stabilité politique et la compétitivité structurelle, parce qu’à son avis, « un investisseur regarde d’abord si un pays est stable, puis si sa gestion budgétaire est saine, et enfin si les infrastructures et le capital humain sont au niveau ».
En ce sens, l’économiste alerte sur une erreur de communication du Premier ministre Ousmane Sonko, lors de son discours en marge de la présentation du plan de redressement économique et social faite vendredi dernier. « On parlera de la communication, parce que le Premier ministre a semblé dire qu'il n'a pas besoin de la coopération internationale ou du FMI, qu'il peut évoluer sans. C'est ça que je veux nuancer. C’est une erreur », a souligné l’ancien directeur général du Bureau de prospective économique.
Et pourtant, lors de la présentation du plan de redressement, le ministre de l’Économie est revenu sur les lourdes implications de cette rupture avec le FMI. « La suspension du programme avec le FMI a mis nos finances publiques à rude épreuve. Mon collègue des Finances et du Budget ne me démentira pas. En effet, l’accès aux marchés financiers internationaux, à des conditions raisonnables, nous est devenu difficile et les appuis budgétaires ont été suspendus. Cette situation, conjuguée à un contexte mondial marqué par le rétrécissement de l’aide publique au développement, s’est traduite en des gaps substantiels de financement du cadre macroéconomique du plan quinquennal », expliquait ainsi Abdourahmane Sarr.
Mais qui vraiment pour croire que le Sénégal cherche à réellement s’affranchir du FMI ? Pourquoi se plaindre d'un partenaire dont on n'a pas besoin ? Dans le fond, l’on sait bien que ce qui se joue là, n’est rien d’autre qu’un gage que le gouvernement est en train de donner au FMI, avec ce plan de redressement. Un plan de redressement que Babacar Gaye nomme par le terme de "programme d’ajustement structurel " qui ne dit pas son nom.
Un argument qu'il sera bien difficile de ne pas admettre. Surtout qu'il n’ y a guère longtemps d’ailleurs, Al Aminou Lo, l’ex-secrétaire général du gouvernement annonçait des réformes visant à réduire les dépenses publiques, en mettant en avant la nécessité de rationaliser le fonctionnement de l’État, notamment en supprimant les agences jugées superflues, en réduisant des salaires, des exonérations fiscales, ainsi qu’en éliminant les subventions sur l’électricité. Des arguments qui avaient d’ailleurs été battus en brèche par Cheikh Oumar Diagne qui faisait savoir que « la situation du Sénégal ne nécessite pas de plan d’austérité » et qu’ « il fait mauvaise route. » Pour Cheikh Oumar Diagne, " il nous faut de nouveaux instruments pour redynamiser l’économie, accroître la marge de manœuvre de l’état et libérer par la monnaie l’économie ignorée au sein des communautés". Il avait ainsi poursuivi son commentaire en disant ceci : " Oui le train de vie de l’Etat est un levier sur lequel, il faudra faire quelque chose, mais un salaire est sacré, il faut respecter le pouvoir d’achat des travailleurs. Tellement d’agences inutiles, des budgets de fonctionnement qui dilapident nos deniers et des milliards volés à recouvrer rapidement. Il urge de mettre en cohérence la politique bancaire, fiscale, monétaire et budgétaire".
Le gouvernement mise sur des solutions endogènes
Toujours est-il que, pour financer son Plan national de redressement, le Gouvernement mise sur les solutions endogènes. Alors que le programme de résilience économique et social était financé à hauteur de 84,5 % par les partenaires ; le PAP 2A à environ 60 %, le nouveau plan est financé à 90 % sur « ressources endogènes sans endettement ». Le Premier ministre, d'ajouter : « Nous ne solliciterons les partenaires extérieurs que sur la partie recyclage des actifs, tout en conservant la propriété de ces actifs. » Le Gouvernement compte ainsi sur trois leviers essentiels pour atteindre son objectif.
Le premier, c’est la réduction maîtrisée des dépenses publiques ; le deuxième volet concerne la mobilisation des ressources domestiques, et enfin vient le financement endogène complémentaire hors endettement. Relativement à la mobilisation des ressources domestiques additionnelles, le Gouvernement envisage des recettes de l’ordre de 2 111 milliards. En ce qui concerne le recyclage d’actifs, 1 091 milliards. Quant aux économies sur le train de vie de l’État, plusieurs mesures sont envisagées dont la rationalisation des agences qui va générer à elle seule 50 milliards.
Pour le financement endogène complémentaire hors endettement, il est prévu 1 352 milliards. « Le tout va rapporter 4 605 milliards pour le moment, en attendant les autres mesures importantes à évaluer. Selon mes estimations, ces dernières pourraient nous permettre d’ajouter 2 000 à 2 600 milliards à ce tableau. Et l’injection de ces ressources doit générer à peu près 1 062 milliards supplémentaires de recettes fiscales. Ce qui donne un total de ressources projeté de 5 667 milliards provisoirement », a souligné le Premier ministre.
La question, c’est qui va payer la note ? Selon les chiffres du premier ministre qui détaille, la renégociation des contrats stratégiques va rapporter au minimum 884 milliards ; l’épargne nationale et de la diaspora 135 milliards ; le financement participatif et solidaire 300 milliards ; l’approvisionnement en gaz par GTA environ 435 milliards ; les actifs de la Sogepa 341 milliards….
Il faut aussi noter que le Gouvernement envisage aussi de mobiliser 200 milliards au titre de la régularisation du renouvellement de concession des opérateurs téléphoniques. II est d’ailleurs à souligner que des décrets permettant à Yas d’opérer sur la 5G et à Expresso, le prolongement de son bail qui arrive à échéance en 2027, ont été abrogés par le président de la République.
Dans le même sillage, le Gouvernement compte sur les frais de visas pour mobiliser 60 milliards.
Les consommateurs ne sont pas non plus épargnés par la batterie de mesures. Outre les mesures déjà relevées, le Gouvernement compte taxer davantage le mobile money pour mobiliser 130 milliards sur les trois ans ; 90 milliards sur les transactions marchandes. Le carburant, les véhicules âgés et l’importation de téléphones portables ne seront pas non plus épargnés. Le gouvernement espère en effet 200 milliards sur les importations de téléphones portables, autant pour les véhicules, compte non tenu de la surtaxe sur les véhicules âgés. Des taxes importantes sont également envisagées pour les jeux de hasard et le tabac.
Et à l’endroit des pessimistes, le Premier ministre a tenu à préciser : « tous les chiffres sont minorés. Nous avons pris les chiffres les plus minimalistes possibles pour nous aménager une marge d’erreur substantielle. »
Les réserves d’économistes
Sur les nouvelles taxes annoncées (monnaie électronique, visas, jeux, tabac…), Moubarack Lo s’est plutôt montré prudent puisqu’il doute que ces mesures suffisent à financer les ambitions de l’État. « Si l’on augmente trop les taxes, les gens consomment moins. Et quand ils consomment moins, les recettes fiscales baissent », a-t-il alerté insistant sur la nécessité d’analyses de sensibilité et de risque pour chaque mesure. « On ne peut pas faire de politique fiscale sérieuse sans simulation», a-t-il dit. Un argument loin d’être faux, même s’il semble bien judicieux d’exploiter des niches sur lesquelles des taxes peuvent être opérées.
Sur la mobilisation des recettes, il est plutôt question de vérifier si ces mesures vont produire leurs effets, une innovation devant reposer sur un cadre scientifique éprouvé et non sur des incantations. De même sur les dépenses, ce sont en général des projets de fonctionnement qu’on coupe et il est question de voir quelles agences regrouper, lesquelles supprimer, quelles subventions supprimer (électricité et carburant) et quelles seront les conséquences politiques et sociales de tout cela ?
Quid de la réduction significative du train de vie de l’Etat ? Babacar Gaye pense par exemple qu’il faut enlever les fonds politiques ; sans oublier certains avantages exorbitants de fonctionnaires. La question de la cession des actifs de l’Etat est aussi posée, avec le risque d’en aliéner certains jugés stratégiques. Tout comme cette autorisation d’importation de véhicules allant jusqu’à 10 ans d’âge, contre 8 auparavant, qui ressemble selon certains observateurs à une mesure populiste qui n’a au fond qu’un objectif de recettes qui va encourager la pollution, alors qu’un programme de mobilité urbaine plus écologique avait été mis en place. Alioune Tine sur sa page X, relevait le fait de "transformer le continent en véritable poubelle des voitures les plus polluantes d'Europe", tout en estimant que "cette décision mérite réflexion au moment où la mode est à la voiture électrique promue pour protéger l'environnement". Il avait ajouté que "Dakar est déjà une capitale polluée par les vieilles voitures de transport en commun."
Au-delà, la question est de savoir comment trouver de nouvelles ressources endogènes sans la définition claire d’une stratégie de relance de l’économie par le secteur privé ? Il s’agit aussi de voir comment maximiser le potentiel de l’assiette fiscale sans une stratégie de formalisation progressive et intelligente du secteur informel ?
Dans un entretien exclusif accordé au journal L’Observateur, l’économiste et ancien ministre du Plan de 1998 à 2000, El Hadji Ibrahima Sall a livré une analyse critique du Plan de redressement économique et social. Même s’il a relevé l’ambition du programme, il a aussi mis en garde contre ses failles méthodologiques et ses risques de confusion stratégique. Pour lui, le plan proposé par le gouvernement Sonko poursuit simultanément trop d’objectifs : mobilisation accrue des recettes fiscales, réduction des dépenses, réforme des subventions, mais aussi relance multisectorielle (agriculture, industrie, infrastructures, services sociaux). Cette diversité d’axes rend, selon lui, le programme difficilement exécutable dans un cadre temporel cohérent.
Ce qui préoccupe davantage l’ancien ministre du plan, c’est le manque de séquençage, estimant que le plan ne distingue pas clairement les phases opératoires, c’est-à-dire les étapes successives nécessaires à une mise en œuvre méthodique. Or, a-t-il estimé, pour un programme de cette envergure, la rigueur dans le phasage temporel est indispensable à la coordination entre acteurs, à l’évaluation des résultats, et surtout à l’acceptabilité sociale. Sans cela, a-t-il conclu, le plan pourrait générer des résistances, des tensions sociales, voire un échec partiel ou total dans sa mise en œuvre.
L'heure d'un cap plus clair, a sonné
Après 15 mois d’exercice du pouvoir, l’économie qui ne peut fonctionner que dans un climat de confiance, a du mal à montrer des signes encourageants, d’où d’ailleurs ce programme de redressement. L’on se rappelle que le Premier ministre Ousmane Sonko avait tapé du poing sur la table, lors d'un récent Conseil des ministres du mercredi 18 juin dernier, dressant un sévère réquisitoire contre les pratiques observées dans plusieurs structures publiques. Il dénonçait à cet effet, des manquements graves, récurrents et contraires aux règles de transparence et de bonne gouvernance. Il mettait par la même occasion en cause, la performance du service public, sans toutefois omettre de relever la mauvaise qualité de la représentation dans certains conseils d’administration, due au profil inadapté de certains représentants.
Difficile en tout cas, au stade où l’on est, d’avoir de la lisibilité dans l’action du gouvernement, surtout avec ces intitulés et concepts de communication, manipulés çà et là, qui laissent planer une impression de manque de cap clair. Le gouvernement devrait ainsi s’évertuer à davantage renforcer son casting, que cela soit dans l’attelage ministériel, les directions générales, agences de l’Etat, les conseils d’administration et les cabinets, en se dotant des meilleures ressources humaines qui l’aideront sans doute à mieux s’outiller au plan stratégique, managérial et surtout opérationnel. Il s’agit dès lors de s’ouvrir aux Sénégalais les plus compétents, en diluant un peu plus, le caractère sectaire voire trop partisan dans les recrutements, qui n’est pas forcément gage d’efficacité dans la mise en œuvre du « projet ». La croyance au projet ne saurait d’ailleurs suffire comme argument.
Il est aussi question de resserrer la taille du gouvernement en en réduisant le nombre, à l’exemple de tous ces référents au niveau des ministères dont on ne voit nullement l’utilité.
Au-delà, se pose la question du regroupement des entités, telles que la Sicap et la SN HLM ; la Société de Gestion des Infrastructures publiques dans les Pôles Urbains de Diamniadio et du Lac Rose (SOGIP SA) et l’Agence d'Aménagement et de Promotion des Sites industriels (APROSI) ; l'Office National de Formation Professionnelle et le Fonds de Financement de la formation professionnelle et technique (3FPT) ; sans oublier d’autres agences redondantes dans leurs missions et vocations qui auraient par exemple pu être regroupées. La liste est longue.
Le Premier ministre est en tout cas prévenu.