NETTALI.COM - Derrière l’unité de façade, les tensions longtemps contenues entre le Président de la République, Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko éclatent désormais au grand jour. Entre ambitions contrariées, divergences de méthodes et conflit larvé d’autorité, le Sénégal se retrouve suspendu à un duel politique à très haut risque, aux conséquences potentiellement dévastatrices pour la stabilité institutionnelle, économique et sociale du pays.
Jeudi dernier, devant un parterre de responsables du Pastef et de militants médusés, Ousmane Sonko a livré un discours d’une rare virulence, dénonçant publiquement ce qu’il qualifie de « problème d’autorité ou d’absence d’autorité » au sommet de l’État. L’ancien maire de Ziguinchor n’a pas pris de détour pour interpeller le Président Diomaye Faye : soit ce dernier le laisse gouverner pleinement en tant que Premier ministre, soit il le démet. « Moi, je ne démissionnerai pas », a lancé Sonko, dans un ton de défi, faisant tomber le masque d’une cohésion de pouvoir que beaucoup savaient déjà fragilisée.
Jamais dans l’histoire politique récente du Sénégal un Premier ministre en exercice n’avait exprimé aussi frontalement ses griefs à l’endroit du chef de l’État. Cette sortie signe l’entrée dans une nouvelle séquence politique où la cohabitation entre les deux hommes forts du Pastef paraît de plus en plus intenable.
Les racines du malaise
Le malaise entre Sonko et Diomaye Faye n’est pas nouveau. Né d’une alliance forgée dans la lutte contre le régime de Macky Sall, le tandem avait fonctionné sur la complémentarité et la fidélité personnelle. Diomaye devait initialement être un candidat de substitution, Sonko étant empêché par des poursuites judiciaires et une inéligibilité contestée. Mais une fois au pouvoir, les prérogatives constitutionnelles ont creusé la distance.
Diomaye Faye, propulsé chef de l’État, a pris de la hauteur, gagné en assurance et en visibilité internationale. Sonko, lui, en dépit de sa popularité, s’est retrouvé confiné à la Primature, un poste qu’il juge de plus en plus étroit face à ses ambitions et à l’influence croissante du président sur l’appareil d’État.
Plusieurs dossiers sensibles, notamment diplomatiques et économiques, ont exacerbé les tensions. Tandis que Diomaye Faye soigne ses relations avec les partenaires étrangers — France, États-Unis, Chine —, Sonko, fidèle à sa ligne souverainiste radicale, continue de prôner une rupture plus brutale et immédiate avec certaines pratiques héritées de l’ancien régime.
Vers une crise institutionnelle majeure ?
Cette confrontation au sommet pourrait bien entraîner le Sénégal dans une crise institutionnelle sans précédent depuis le face-à-face historique entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia en 1962. Les analystes politiques, à l’image de Malaw Kanté et Amadou Diouf, s’accordent à dire que si le président décidait de limoger Sonko, le pays entrerait dans une période d’instabilité.
Sur le plan politique, cela fracturerait le Pastef entre pro-Diomaye et pro-Sonko, compromettant l’équilibre parlementaire et ouvrant la voie à un blocage des institutions. La menace est d’autant plus sérieuse que Sonko, en cas de départ, pourrait retrouver son siège de député et devenir un opposant redoutable depuis l’Assemblée nationale, disposant de relais fidèles dans le gouvernement et le parti.
Sur le plan économique, la réputation du Sénégal comme îlot de stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest serait ébranlée. Les investisseurs, prudents face à l’incertitude politique, pourraient geler des projets et ralentir les financements. Un risque majeur dans un contexte de forte tension sociale et de fragilité économique.
Sur le plan social enfin, le duel Sonko-Diomaye pourrait polariser l’opinion publique et exacerber les divisions militantes. Les mobilisations de rue, autrefois arme politique du Pastef contre Macky Sall, pourraient être retournées contre le régime actuel, précipitant un climat de crise.
Un affrontement inévitable ?
Pour Amadou Diouf, journaliste et analyste politique, la rupture est désormais consommée : « Le duo a entonné le chant du cygne. Diomaye s’est assis dans le fauteuil présidentiel et entend bien y rester. Sonko, lui, refuse de jouer les seconds rôles. » Selon lui, les prochains jours seront décisifs. « Soit le président décide de démettre Sonko et d’assumer une présidence sans tutelle politique, soit il tente de temporiser, au risque d’un pourrissement de la situation. »
Dans tous les cas, le rêve d’un binôme soudé au service d’un projet commun semble bel et bien révolu. Le tandem Diomaye-Sonko, perçu hier comme une force homogène, apparaît aujourd’hui comme un attelage disloqué par le pouvoir et les ambitions personnelles.
La crise qui couve au sommet de l’État sénégalais porte en elle le risque d’un basculement politique majeur. Plus qu’un simple différend entre deux hommes, il s’agit de l’épreuve ultime pour un système de gouvernance bicéphale, inédit dans l’histoire récente du pays. La manière dont elle sera gérée — ou non — déterminera non seulement l’avenir du Pastef et du régime actuel, mais également celui de la démocratie sénégalaise, qui se retrouve à la croisée des chemins.
Le Sénégal entre ainsi dans une zone de turbulences politiques à hauts risques. Le duel est engagé. Reste à savoir qui, de Sonko ou de Diomaye, saura imposer son tempo.