NETTALI.COM - Comment sortir de ce cycle infernal de reddition des comptes ? C’est la question que l’on est légitimement en droit de se poser. Il existe en effet une telle propension à la prévarication des ressources publiques, depuis les indépendances jusqu’à nos jours, que l’on ne peut pas ne pas se demander si ce fléau pourra un jour être atténué.
Le pire est que lorsque ces procédures en justice sont entamées, elles sont vite polluées par l’affrontement entre deux camps politiques ; ou plus exactement le régime au pouvoir qui cherche à poursuivre des tenants du régime précédent. La vérité, c’est qu’entre des immixtions possibles des autorités de l’exécutif du moment au pouvoir et les tentatives de victimisation des membres du régime précédent, à tort ou à raison, l’on finit par se perdre dans le brouhaha.
Si l’on suit de plus près le feuilleton judiciaire qui se déroule sous nos yeux, l’on se rend compte que l’APR a axé sa défense sur les menaces d’Ousmane Sonko proférées publiquement contre Lat Diop, Farba Ngom, synonyme d’une hostilité qui est, selon eux, la principale motivation des poursuites engagées contre ces deux-là. D’autres arguments sont brandis, à savoir la légèreté des accusations dans les cas de Lat Diop et Ismaël Madior Fall, avec des accusateurs épargnés.
Pour ce qui spécifiquement du cas Farba Ngom, ses avocats en conférence de presse, notamment Me Babou Ka, Baboucar Cissé, Me Doudou Ndoye, El Hadji Amadou Sall, Me Abdou Dialy Kane, Me Oumar Youm, etc ont eux émis tour à tour, le mardi 13 mai, des réserves dans le cadre de ces poursuites contre leur client. Ils ont entre autres dénoncé, le double refus de cautionnement de Farba, alors que ces mêmes biens sont saisis. A cela s’ajoute l’argument de « ses comptes bloqués avant son inculpation ». De même qu’ils contestent le fait qu’il soit poursuivi de détournement de deniers publics, alors qu’il n’a pas de charge publique.
Dans cette reddition des comptes, certaines postures sont manifestement contreproductives comme celle d’un Waly Diouf Bodian, ce très proche d’Ousmane Sonko, qui ne cesse de se livrer à de malheureux commentaires sur ces « fonctionnaires milliardaires qui cautionnent », sur la radicalité nécessaire du gouvernement « arrivé au pouvoir de manière radicale » ou encore sur la dissolution de l’Apr. Bref un discours qui sonne comme une obsession de punir et une volonté effrénée de vengeance relevée par les avocats de Farba Ngom, lors de leur conférence de presse du mardi 13 mai. Ce qui met d’ailleurs de l’eau dans le moulin des détracteurs de la reddition des comptes qui crie au règlement de comptes politiques.
Toujours est-il que dans les deux camps les arguments avancés divergent, sans toutefois une dose de subjectivité. Seuls de toute façon, les juges plus au fait des dossiers et des faits, apprécieront souverainement, étant entendu que tous ceux qui sont poursuivis, sont présumés innocents jusqu’à preuve du contraire.
Des régimes successifs et des incuries
Mais au-delà de tout ce qui se pose comme équation en termes de prévarication de nos ressources, si nos présidents successifs s’étaient montrés un peu plus exemplaires, en assumant leur rôle de manière orthodoxe sans verser dans le népotisme, le clientélisme, la complaisance et le laxisme, tout en sanctionnant les dérives constatées durant leur mandat, l’on en serait sans doute pas là. Mais ce serait sans doute trop leur demander.
Si l’on remonte par exemple à la gouvernance Wade avec la position centrale qu’occupait son fils Karim Wade dans le dispositif gouvernemental, l’on se rend compte à quel point le Pape du Sopi a failli. De même que Macky Sall. Tous les deux ont commis l’erreur de mêler leurs familles à la gestion des affaires publiques. Sous le règne de son père, Karim Wade avait en charge la gestion d’un gros chantier de l’Anoci, sans oublier qu’en 2009, il était à la tête d’un juteux et tentaculaire ministère, avec le titre de Ministre d’Etat, ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures, au point même d’être dénommé ministre de la terre et du ciel. La suite est connue, il est incarcéré en 2013 pour enrichissement illicite à l'issue d'un procès avant d’être envoyé en exil au Qatar. De même, la responsabilité de Sindjély Wade dans la gestion du Festival mondial des Arts nègres (Fesman) avait été évoquée sans que cela ne soit suivi d’effet. Il y a eu aussi sous Wade des dossiers comme celui relatif au plan « Jaxaay ».
Rappelons aussi que vingt-cinq (25) dignitaires du régime Wade étaient en cause dans des dossiers judiciaires ouverts devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), sans que cela ne soit suivi d’effet.
Sous la gouvernance Macky Sall, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’implication de sa famille élargie à la gestion du pouvoir, place cette dernière dans une posture inconfortable avec l’objectif de remonter à lui. Le pire est que Macky Sall avait vendu, à grand renfort de communication, son fameux slogan « la patrie avant le parti », aux Sénégalais. Beaucoup de fantasmes ont été d’ailleurs alimentés durant son règne quant à l’influence du fils aîné, Amadou, du beau-frère Mansour Faye, placé à des postes juteux et de l’épouse, jugée influente jusque dans les hautes sphères du pouvoir. Rappelons tout de même que la fondation de cette dernière avait été dissoute avant même la fin du mandat. Et l’on a même soutenu que des enquêtes sont menées sur cette fondation dont on peut se demander d’ailleurs d’où est ce qu’elle tirait ses subsides.
Comment oublier cette déclaration malheureuse de Macky Sall selon laquelle, il avait mis le coude sur certains dossiers ? Ce n’est guère donc une surprise si des membres de son clan sont aujourd’hui poursuivis. Membres parmi lesquels, son fidèle d’entre les fidèles, Farba Ngom, suite à une affaire de transactions douteuses. D’ailleurs des liens financiers étroits et suspects sont établis entre lui et le fils du président Sall, Amadou Sall. Le rapport déposé au parquet financier par la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) dresse aussi une liste de personnes et de sociétés impliquées dans un vaste réseau qui serait dirigé par le même Amadou Sall.
Mais il n'y a pas que cela. Des entreprises seraient aussi impliquées. Le rapport cite une société d'élevage fondée en 2020 et détenue par les 3 enfants de Macky Sall, la Société sénégalaise de transport (STS SARL), la SCP ASA INVEST, une société ivoirienne partageant, selon la Centif, la même adresse que Wodrose investiment.. Et toutes ces entreprises entretiendraient des liens financiers étroits et suspects avec Amadou Sall et Farba Ngom. Ce dernier serait aussi le propriétaire de 251 parcelles situées dans les lotissements du hangar des pèlerins à Yoff et BOA. A cela, la Centif ajoute 29 titres fonciers situés dans la commune de Ngor Almadies.
Le chanteur Waly Seck, l'ancien ministre Samuel Amète Sarr, Ibrahima Ba, fils de l'ancien Premier ministre Amadou Ba, Cheikh Tidiane Seck, chauffeur de ce dernier, l'homme d'affaires Mahamadan Sarr, Babacar Niang, Saliou Sylla des "Établissements Saliou Sylla"... autant de noms sont aussi apparus dans le rapport complémentaire que la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) a déposé sur la table du procureur de la République financier. Ce, à la suite du rapport de décembre 2024 mettant en cause Farba Ngom et Tahirou Sarr.
Pour ce qui est du régime actuel, il n’est pas inutile de s’interroger sur la posture défensive et inappropriée du Premier ministre dans les dossiers de l’Office national d’Assainissement du Sénégal (Onas) et de l’Agence sénégalaise d’Électrification rurale (Aser) qui avaient soulevé une grosse polémique. Une certaine opinion est en tout cas loin d’être convaincue par le discours tenu par le Pm qui défendait la position selon laquelle, il n y a rien de nébuleux dans ces affaires, alors qu’il n’est ni membre d’un quelconque corps de contrôle et encore moins juge. Le risque est que demain ce dossier remonte à la surface.
Réformer la justice, éduquer, verrouiller les procédures, sanctionner…
Il ne faut guère se voiler la face. Notre administration n’a pas toujours été transparente dans la gestion de nos ressources. Comment par exemple comprendre certaines attributions foncières à des corporations particulières ? Il suffit pour davantage se convaincre de ce carnage foncier, de s’interroger sur les zones d’habitation des pontes de la république (présidents, anciens ministres, anciens DG, etc depuis Senghor jusqu’à nos jours pour se rendre compte que le phénomène est loin d’être récent. Les noms des quartiers qui fusent sont Dakar-Plateau, Fann-Résidence, Point E, Mermoz aujourd’hui les Almadies, Cité Keur Gorgui, sans oublier ces résidences secondaires à Saly, Somone, Popenguine, Yenne, Ngaparou etc. Sont-ils plus légitimes que les autres Sénégalais pour avoir des maisons dans des zones résidentielles ou de posséder des résidences en bordure de mer ?
Le problème de la corruption généralisée n’est pas à la vérité, sans toutefois chercher à l’excuser, un phénomène propre au Sénégal. Il est en effet symptomatique de tous les pays en développement. En effet, dans tous ces pays où les procédures ne sont pas suffisamment verrouillées voire corsées, où l’impunité règne en maîtresse et où les passe-droit font légion, l’on se sert allègrement sur les ressources.
Si l’on veut vraiment arriver à sortir de ce cycle infernal de reddition des comptes qui vire à la politique et s’inscrire dans des logiques uniquement basés sur un impératif de justice, une réforme de la justice s’avère nécessaire.
Les récentes Assises de la justice ont été suivies de recommandations. Et même si le président de la république se pose encore la question de savoir s’il doit demeurer ou pas au niveau du Conseil supérieur de la Magistrature, se pose avec acuité, l’éternelle équation de l’indépendance de la justice avec ce rapport hiérarchique pesant entre le ministère de la justice et le parquet. Ainsi que l’ont proposé les Assisards, l’introduction d’un juge des libertés et de la détention afin que celui-ci devienne celui qui décidera du sort des prévenus, et non le procureur de la république qui ne doit plus être juge et partie au procès. Que le président de la république se maintienne ou pas à la tête du Conseil supérieur de la magistrature, il reste tout de même impérieux de revisiter beaucoup d’aspects liés à la justice, notamment la procédure pénale, le fait de rendre aux magistrats le pouvoir disciplinaire et de nomination sur leurs pairs. De même est attendue la révision des textes (code pénal, code de procédure pénale, statut des magistrats, loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, loi sur la Cour suprême, loi sur le Conseil constitutionnel, code de la famille…).
Il n’est pas seulement question de justice, il s’agit aussi d’insister sur l’éducation des jeunes générations et les inciter à davantage de sens civique et aux réflexes anti-corruption dès l’école primaire. Ce qui nécessite un travail de longue haleine pour un pays comme le nôtre qui ne sait pas composer avec les temps longs.
De même la politisation continue et à outrance de l’administration doit être freinée, de manière à déconnecter ceux-ci de cet ascenseur que leur permet la politique sans oublier un accès facile aux ressources.
Il s’agit surtout de limiter les pouvoirs de nos administrations, de nos maires et même de l’exécutif dans les attributions foncières au bénéfice de certaines corporations ou catégories de fonctionnaires et d’agents de l’Etat.
De même qu’il faut verrouiller les procédures en les rendant plus strictes sans toutefois nuire à l’efficacité du travail. Il s’agit d’étendre les responsabilités pénales de certaines catégories d’agents de l’Etat, y compris les ministres et sanctionner de manière plus sévère les détournements de deniers et la corruption, sans oublier les surfacturations.
La question que l’on devrait raisonnablement se poser, c’est de savoir ce qui pousse les hommes politiques dans des pays comme ceux scandinaves et le monde occidental en général à réfléchir par deux fois avant de piquer dans les caisses ou de chercher à bénéficier d’avantages indus ? Eh bien c’est parce que les institutions y sont fortes, les procédures bien verrouillées, les passe-droits moins répandus, les sanctions sévères, sans oublier que dans les pays occidentaux, la presse qui y est plus forte et plus libre ; de même que la justice y est également plus indépendante et sanctionne lors que cela est nécessaire.
En France, un journal d’investigation tel que Mediapart a par exemple réussi à débusquer beaucoup de magouilles. On peut citer entre autres l’affaire Cahuzac, l’ancien ministre délégué français du budget épinglé pour avoir possédé des fonds non déclarés sur un compte en Suisse, puis à Singapour ; tout comme le financement par la Libye du colonel Mouammar Kadhafi, de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy, aujourd’hui condamné par la justice et sous bracelet électronique. Qui aurait cru cela ? Alors qu’on en est à parler d’emplois fictifs ou de costumes achetés pour des hommes politiques en France, chez nous, pays vivant par excellence de l’aide au développement et de prêts tous azimuts, l’on en est à parler de transactions douteuses de l’ordre de centaines de milliards, d’hommes d’affaires locaux ou étrangers qui accaparent des milliers d’hectares revendus à prix d’or, en lieu et place d’un partage plus équitable des ressources foncières qu’on aurait pu utiliser pour notre propre souveraineté alimentaire qu’on vante tant, sans toutefois de balbutiements apparents notés.
Nos hommes politiques, ceux qui sont au pouvoir bénéficient à la vérité de beaucoup trop avantages comme par exemple les caisses noires à leur seule discrétion, les voitures 8 x 8 aux frais du contribuables, sans oublier ces énormes bureaux cossus. Pourquoi ne peuvent-ils pas se suffire de voitures de moyenne gamme, alors que dans d’autres pays comme la France le président roule en Peugeot ou en Citroën ?
Tous ces avantages sans bornes, poussent ainsi des fonctionnaires en masse, qu’ils soient des impôts et domaines, du trésor et de l’administration en général, vers la politique, ascenseur social par excellence, ouvrant la voie à des postes de maire, à des fonctions de ministres, de DG ou de directeurs dans les ministères. Des fonctions qui mènent facilement à l’accès aux ressources financières, foncières et aux privilèges en tous genres, en même temps qu’ils se constituent des boucliers contre d’éventuelles poursuites.
Il y a en tout cas beaucoup de chemins à parcourir avant d’arriver à contenir le fléau de la prévarication de nos ressources. Et il faudra une volonté politique acharnée ainsi qu’une vertu et une exemplarité à toute épreuve de ceux qui sont aux commandes pour arriver à gagner le combat qui est un combat sans fin.