NETTALI.COM - En attendant la sortie du rapport tant attendu, la Cour des comptes, par la voix de son secrétaire général, a saisi le prétexte de la première édition de la Conférence des administrateurs et managers publics, pour revenir sur l'audit de ce rapport spécial. Le secrétaire général a tenu à affirmer qu'il ne s'agit pas du contrôle d'une gestion, mais plutôt de celui du rapport établi par le gouvernement.

L’ attente est devenue interminable. Depuis le 26 septembre 2024, avec la sortie fracassante du chef du gouvernement Ousmane Sonko sur l'état des comptes, le Sénégal est suspendu à la parole de la Cour des comptes, qui n'a toujours pas donné son verdict sur la lancinante question : est-ce que le régime sortant a maquillé le déficit public et le montant de la dette ? Au-delà des frontières nationales, ce rapport est scruté par tous les partenaires du Sénégal, mais aussi par les principaux marchés. Ousmane Sonko, lui, n'attend pas le verdict de la Cour pour se faire une religion.

Le 13 janvier dernier, lors d'un déplacement en Mauritanie où il avait reçu la communauté sénégalaise, le Premier ministre était encore revenu à la charge. Il annonçait enfin avoir reçu le rapport de la Cour des comptes. “J’ai reçu hier le rapport de la Cour des comptes. Bientôt, les choses seront claires. Les Sénégalais connaîtront l’étendue du gaspillage”, avait-il déclaré.

Bien auparavant, lors de sa déclaration de politique générale le 27 décembre, il avait déjà annoncé la couleur en prévenant. Selon lui, les tenants de l'ancien régime devraient avoir honte de parler en public de certains sujets. Le Premier ministre Ousmane Sonko de préciser : “Vous savez, je crois que chacun d'entre nous doit éviter de se faire prendre la main dans le sac en plein jour. Dans quelques jours, la Cour des comptes publiera son rapport. Je ne sais pas ce qui s'y trouve, mais je peux vous garantir d'une chose : si ça ne révèle pas plus que ce que nous avons révélé, ça ne sortira pas moins que cela. Et à partir de ce moment, je le dis et je le réitère : tous ceux qui ont une responsabilité dans cette situation et qui ont trahi ce pays devront en rendre compte devant vous certainement.

Les explications du secrétaire général de la Cour des comptes

Saisissant l'occasion qui lui a été offerte, avant-hier, de s'exprimer devant un parterre de managers et d'administrateurs publics, le secrétaire général de la Cour des comptes est revenu sur l'esprit de ce contrôle tant attendu. “Il faut savoir que nous exerçons plusieurs types de contrôle. La dernière en date - et peut-être la plus attendue - c'est le rapport sur la situation des finances publiques, établi à l'occasion de chaque nouveau mandat présidentiel”, commence Papa Gallo Lakh, plongeant la salle dans un silence de cathédrale.

À entendre les explications du secrétaire général, ledit rapport aurait dû être publié dans un délai de trois mois. Il s'est voulu clair à ce niveau, en invoquant la disposition du Code de transparence y afférente. “Ce rapport, comme le dit le Code de transparence, est produit par le gouvernement. En son dernier alinéa, le point 1.7 (du Code de transparence) dit : 'Ce rapport, audité par la cour, doit être publié dans les trois mois.' Le texte dit que c'est un rapport qui est audité, ce n'est pas une gestion qui est auditée”, a-t-il prévenu.

Le SG ne s'en est pas limité là. Il est revenu sur la démarche que doit emprunter une telle procédure. Il ressort de ses explications que la démarche est un peu différente selon qu'il s'agit d'auditer la gestion et d'auditer un rapport. “Sur ce type d'audit, nous sommes sur ce qu'on appelle une mission d'attestation. C'est peut-être un nouveau type pour le gouvernement, mais ça ne l'est pas pour la cour. Chaque année, la cour reçoit des rapports annuels de performance qui nous viennent des gestionnaires de programmes”, a expliqué le secrétaire général.

À propos du rapport sur les comptes publics présenté, il y a quelques mois par le Premier ministre, le SG a tenu à souligner que “ce rapport emprunte la même voie dans sa planification, dans son exécution, dans les mécanismes de supervision, pour mieux en assoir la qualité, parce que c'est une première dans l'histoire de l'UEMOA qu'on ait une juridiction appelée à émettre un avis sur un rapport de ce type”.

Aux termes du point 1.7 du Code de transparence : “Dans les trois mois suivant chaque nouveau mandat présidentiel, la situation globale des finances publiques, et en particulier la situation du budget de l’État et de son endettement, fait l’objet d’un rapport préparé par le gouvernement.” L'alinéa 2 de cette disposition précise : “Ce rapport, audité par la Cour des comptes, est publié dans les trois mois suivant.”

Il y a quelques jours, Ousmane Sonko parlait d'ailleurs du retard imputable à la Cour des comptes. “Ce rapport, soulignait-il devant les députés, devait sortir l'autre semaine (la déclaration a été faite le 27 décembre). Il y a donc un retard au niveau de la Cour des comptes. Mais normalement, les trois mois qu'on lui avait donnés sont terminés le 12 ou le 18 décembre dernier”.

Le Premier ministre n'avait pas manqué de manifester son impatience de clore cette phase. “Nous sommes les plus pressés à la publication de ce rapport”, lançait-il aux Sénégalais, avant d'ajouter : “Je tiens quand même à saluer la posture de la cour, qui fait un travail remarquable. J'ai ici beaucoup de ministres et de directeurs généraux à qui la cour a écrit pour demander des précisions sur certains aspects. Cela veut dire simplement qu'ils veulent faire un travail pointu.

Avec la dernière sortie du PM, on peut dire que la cour a fini de faire son examen et a retourné le rapport au gouvernement. Qu'est-ce qui retarde donc la publication du rapport ? La Cour des comptes a-t-elle besoin d'explications supplémentaires de la part du Premier ministre, après celles requises auprès des DG et ministres ? On ne saurait le dire.

Soit elle n'a pas bien fait son travail, soit les soi-disant fraudeurs sont des génies

Dans tous les cas, la polémique continue de parasiter le débat public. Alors que beaucoup s'interrogent sur la pertinence de sa démarche, le Premier ministre, lui, a toujours assumé et entend poursuivre dans la même logique. “Aucun Sénégalais ne devrait nous reprocher notre exercice de vérité, a fortiori un homme politique. Ce que les gens doivent savoir, c'est que si on ne l'avait pas fait, jusqu'à la fin du mandat, on va continuer comme ça. Et avant la fin du mandat, on atteindra la barre des 150 % d'endettement. Ce serait irresponsable de nous dire qu'on devait se taire pour plaire aux bailleurs. Et quand on le faisait, on savait les conséquences, mais nous étions prêts à les assumer. Nous assumons chaque acte que nous posons. L'exercice de vérité sera total et complet”, avait-il clamé face aux parlementaires.

Quelle que soit l'issue, en tout cas, cela risque d'impacter gravement la réputation du Sénégal. Dans le cas où le PM a dit vrai par rapport à la situation économique, c'est parti pour des lendemains incertains, relativement à la crédibilité du pays. L'autre question qui va se poser, ce sera de savoir quel est le niveau de complicité des auditeurs de la Cour des comptes, qui ont eu à maintes reprises à examiner l'exécution de la loi de finances, à formuler des déclarations générales de conformité.

Celle-ci, expliquait le secrétaire général de la Cour des comptes, est établie au vu des comptes de gestion des comptables de l'État, du compte général de l'administration des finances et du compte administratif de l'Administration. “Soit elle n'a pas bien fait son travail, soit les soi-disant fraudeurs sont des génies”, caricature cet expert très pessimiste.

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