NETTALI.COM - Alors que le mandat du président de la République prend fin le 2 avril, le report du scrutin et la libération annoncée d’Ousmane Sonko ont fait rebattre les cartes. Aussi bien Benno que l’opposition nagent en eaux troubles. Le dialogue politique qui débute aujourd’hui devrait permettre de trouver des consensus forts. C’est la seule issue devant les contraintes posées par le Code électoral.

L’agenda s’accélère et le dialogue politique pour sortir de l’impasse électorale est bien lancé avant même son début officiel. Lors des précédentes initiatives du même genre, le format était un conclave dans la salle des banquets du palais de la République où le président Macky Sall recevait une assemblée de leaders, dans une ambiance décontractée, les accords ayant été établis au préalable, soit par le travail d’une commission préparatoire, soit par des interactions entre lui et ses opposants.

En mai-juin 2023, cela avait permis le retour dans le jeu de Khalifa Sall et de Karim Wade, après des années d’inéligibilité. En 2016, un précédent “dialogue national”, boycotté par les chefs de l’opposition d’alors (Idrissa Seck et Pape Diop), avait permis de discuter des réformes issues du référendum tenu la même année et de la gestion des futures ressources pétrolières et gazières.

Celui qui démarre aujourd’hui ne déroge pas à la règle et il devrait, pour la première fois, associer l’ex-Pastef. Les initiatives de médiateurs, parmi lesquels Alioune Tine d’Afrika-jom Center et l’homme d’affaires Pierre Goudiaby Atépa, les plus visibles, et d’autres moins médiatisés, ont, en effet, travaillé à trouver des espaces de discussion entre le palais et le chef du principal parti d’opposition dissous, Ousmane Sonko, dont la sortie de prison n’est plus une vue de l’esprit.

De tous les côtés, l’heure est à l’ouverture, car le Conseil constitutionnel, en demandant aux “autorités compétentes” d’organiser le scrutin “dans les meilleurs délais”, ne fait que dire le droit à ce sujet et mettre à nouveau le président de la République au centre du jeu, malgré l’imminence de la fin de son mandat.

Pour la première fois, Macky Sall et son plus farouche opposant ont une convergence d’intérêts, mais pas pour les mêmes raisons. Le premier a été pris de court par le casting devant monter sur l’arrière-scène (Karim Wade recalé, Bassirou Diomaye Faye et un allié de l’ex- Pastef, Cheikh Tidiane Dièye admis) ; le second cherche surtout à sortir de prison.

Ainsi, quand des voix de ce parti ont souligné récemment que le préalable posé par le maire de Ziguinchor pour entamer des discussions avec le pouvoir en place, était la libération des détenus politiques, c’était une manière de faire oublier que sa propre liberté était une forte préoccupation après sept mois de détention entre la maison d’arrêt de Sébikotane et celle du Cap manuel. Seulement, une dynamique a été enclenchée qui pourrait saper l’unité des tenants du “projet”.

Après des années de mobilisation sans précédent, un réseautage systématique ici et à l’étranger, une propagande inédite sur les tares du régime de Macky Sall, au point de s’installer en marge des classiques de la vie politique depuis ses origines, faisant même naître des ruptures sociétales (injures, manipulations) mais conclues par d’indéniables succès électoraux aux dernières élections (législatives et locales) l’ex-Pastef doit affronter une nouvelle realpolitik. Certains cercles au sein de ce parti (dissous, mais vivant) estiment que si le dialogue initié par Macky Sall doit permettre la fin des poursuites judiciaires contre leur leader, il serait tout aussi envisageable de trouver les voies et moyens de le remettre en selle pour lui permettre d’être candidat. Ce qui suppose nécessairement une remise à plat du processus électoral. Ce dont ne veut pas entendre parler une autre frange déjà engagée dans la campagne électorale de Bassirou Diomaye Faye, lui aussi dans les liens de la détention.

Benno mal-en-point

D’un côté donc, des libérations tous azimuts d’opposants et d’activistes, et en sourdine des discussions très avancées. Au milieu, le spectre de failles dans l’unité de la formation politique présentée maintenant comme un épouvantail électoral. Paradoxalement, en face, Benno et son candidat, le Premier ministre Amadou Ba n’en mènent pas plus large. La coalition au pouvoir (renforcée à l’Assemblée nationale par le PDS) est comme hébétée par le brouillard né de l’interruption brutale du processus qui devait mener les électeurs au 25 février. La commission d’enquête parlementaire a certes fait long feu, morte qu’elle est de sa belle mort, mais elle a emporté avec elle l’image d’un Amadou Ba soutenu par une vaste coalition. Derrière l’accusation de corruption lancée par le PDS contre deux juges du Conseil constitutionnel, son nom a été cité.

Étant donné que l’initiative a été soutenue par Macky Sall par le biais de ses relais à la place Soweto, signal ne pouvait être plus clair : il y a des fritures dans la ligne entre le président de la République et son Premier ministre candidat. Le fait de lui renouveler sa confiance en Conseil des ministres n’a pas freiné la perception d’un abandon, les ministres qui étaient les plus en vue dans le soutien à Amadou Ba étant de plus en plus indexés. Le ministre de l’Éducation nationale, Cheikh Oumar Anne, ne dira pas le contraire. Après le ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang, qui avait le premier dénié à Amadou Ba toute qualité pour défendre leurs couleurs à ce scrutin, c’est maintenant une autre ministre, Thérère Faye, chargée du Développement communautaire et de la Solidarité nationale, qui fait feu de tout bois contre... son patron au gouvernement. Les partis alliés sont aussi divisés sur la question.

Benno ne l’est plus que de nom. Les échanges soutenus des dernières heures devraient lever les dernières barrières à un dialogue rejeté par bon nombre de candidats à la Présidentielle, dont Khalifa Sall. Les termes de référence des discussions qui débutent aujourd’hui pourraient se résumer en une question : comment organiser le calendrier électoral de sorte à respecter le délai du 2 avril ? Est-ce possible ? Seuls des consensus politiques forts pourraient faire sortir le Sénégal de l’impasse.