NETTALI.COM - Mediapart, le média d’investigation en ligne, ne sera bientôt plus dirigé par Edwy Plenel. Le journaliste a co-créé ce site dont les abonnements lui permettent toujours en 2024 d’être indépendant.

Edwy Plenel ne sera plus à la tête de Mediapart le 14 mars 2024. Il a co-fondé ce média en ligne, indépendant, d'investigation en 2008, avec François Bonnet, Gérard Desportes, Laurent Mauduit, Marie-Hélène Smiéjan et Godefroy Beauvallet. Il continuera d'y écrire mais à 71 ans, il ne sera plus le "patron" de cette entreprise qui est devenue un modèle.

À sa création, les affaires révélées par Mediapart concernent le monde politique. Il y a d’abord l’affaire Woerth-Bettencourt en 2010, celle du financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, puis celle des comptes cachés du ministre du Budget, Jérôme Cahuzac. Avec le témoignage de l’actrice Adèle Haenel qui dénonce "l’emprise" du réalisateur Christophe Ruggia en 2019, ou plus récemment celui de femmes accusant le psychanalyste Gérard Miller de violences sexuelles, le média élargit son champ d’investigation.

Un modèle payant pour être indépendant

Au fil de ces affaires, Mediapart est devenu une référence du journalisme d'investigation selon Alexis Lévrier, historien des médias. "Depuis une quinzaine d’années, indique-t-il, on constate que Mediapart n’a jamais été pris en flagrant délit de mensonge ou d’erreur grave. La plupart des enquêtes de cette équipe ne paraissent que lorsqu’elles sont 'bétonnées', avec une vérification des sources, avec une prise en compte du contradictoire. Et on voit que ce site doit essentiellement son succès à la qualité de ses informations".

Le nombre d'abonnés à Mediapart est passé de 10 000 à sa création à plus de 220 000 début 2024. Le site a basé son indépendance financière sur un modèle payant qui reste, malgré tout, fragile et ne fonctionne pas toujours. "La réussite de Mediapart, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Malheureusement, il y a d’excellents sites de 'pure players' payants, qui ne sont donc pas adossés à un journal papier, qui essaient de survivre. On peut penser à 'Les Jours', 'Arrêt sur images', ou à 'Mediacités' qui essaie de faire de l’investigation locale. Ces sites vivent avec quelques milliers d’abonnés et leur modèle économique est remis en question en permanence et il reste menacé", indique l'historien. En 2022, sur son site, Mediacités explique notamment que sa "situation financière demeure fragile". Il est aussi précisé que cette année-là, il compte 5 700 abonnés alors qu’il lui en faudrait 8 000 pour atteindre l’équilibre.

Une centaine de salariés à Mediapart

Ce modèle fonctionne à Mediapart parce qu'il repose sur l'image d'Edwy Plenel, d'après Alexis Lévrier : "Il incarne une visibilité et une réputation de cette information-là. On sait à quel point déjà il a compté dans les années 1980 face au pouvoir mitterrandien. Il a été mis sur écoute par les services de Mitterrand. Il incarne une forme de rigueur et de modèle éthique du journalisme. Le lectorat s’est reconnu en lui. Après, il a pu recruter une équipe qui est effectivement d’une grande qualité, qui a été très étoffée. Mediapart est une grande rédaction. Et les sites qui essaient d’imiter ce modèle-là n’ont souvent pas les moyens de ces ambitions-là".

Grâce à une centaine de salariés, grâce à cette transition déjà amorcée, l'historien estime que Mediapart peut continuer d'exister sans son créateur. "Il a formé une équipe de journalistes qui a aussi déjà des incarnations. On peut penser à Marine Turchi, Fabrice Arfi, Lénaïg Bredoux ou Valentine Oberti. Tous ces gens sont connus, reconnus, ils passent bien dans les médias et ils vont donc prolonger le travail d’Edwy Plenel. Je n’ai pas d’inquiétude de ce côté-là", détaille-t-il. Le nom de son ou sa successeur(e) sera dévoilé le 14 mars, le jour où Edwy Plenel quittera ses fonctions.

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