NETTALI.COM - Alors que l’opposition dans son ensemble s’est prononcée contre le report de l’élection présidentielle, Mamadou Diop Decroix prend le contrepied et affirme que le débat est ailleurs. En l’occurrence, dans les sources du contentieux.

Le report de l’élection présidentielle a fait réagir un peu partout dans le monde pour un retour au calendrier républicain. Mais vous pensez que le débat est ailleurs, notamment sur les sources du contentieux ?

Sur certaines réactions à l’internationale (pas toutes), je crois que des candidats spoliés réagiront. Mais oui le véritable débat sur la problématique de la tenue à date échue de l’élection présidentielle devrait effectivement porter sur les sources du présent contentieux politique au lieu de se focaliser sur des postures manichéennes aprioristes au sein de l’opposition. En effet les anti report s'arc boutent sur la limitation du mandat et sur la clause d’éternité pour en inférer que, quelles que soient la justesse et la légitimité – qu’ils ne contestent pas au demeurant – des revendications des candidats spoliés, ces deux dispositions doivent l’emporter sur tout le reste et qu’en conséquence reporter l’élection signerait la mort de la démocratie sénégalaise. Mais les candidats éliminés qui réclament justice s’appuient eux-aussi sur la même Constitution. La vérité est que les questions qui sont sur la table ne sont pas des questions juridiques mais d’abord et avant tout des questions politiques. Je le dis avec force : ce sont des volontés politiques portées par des êtres humains qui, en amont, déterminent le contenu des normes juridiques et non l’inverse. Ceci est valable dans tous les pays du monde et à toutes les époques de leur histoire. Sous le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, les normes juridiques obéissaient à la volonté politique des maîtres du système économique en vigueur et de leurs idéologues et autres juristes. Nelson Mandela (27 ans de prison) et ses compagnons étaient des bannis selon les lois en vigueur qui établissaient la séparation des races et la suprématie de la race blanche. En Allemagne, Hitler qui a pris le pouvoir à l’issue d’élections démocratiques a imposé sa volonté politique, celle des nazis, de transformer le pays en une dictature fasciste et les normes juridiques ont dès lors été établies sur la base de cette volonté-là. On a d’ailleurs vu et vécu les conséquences mondiales innommables de l’accession de Hitler au pouvoir en Allemagne.

Et quelle est l’origine du problème ?

Depuis septembre 2018 lorsqu’on a voté à l’Assemblée nationale la loi sur le parrainage, il était clair à mes yeux que nous serions un jour ou l’autre confronté à de graves difficultés politiques du fait de la nature des lacunes intrinsèques de la loi. Une loi, c’est un esprit et c’est une lettre. Dans le cadre de la loi sur le parrainage, la lettre révélait déjà avec netteté un esprit d’exclusion et non d’inclusion. Elle inscrivait dans le marbre l’impossibilité absolue pour un candidat de l’opposition quel qu’il soit, de pouvoir se préparer correctement à prendre part à une élection. Figurez-vous que jusqu’à la publication de la liste définitive du Conseil constitutionnel le 20 janvier (pour un scrutin du 25 février) aucun candidat potentiel hormis celui du pouvoir ne savait s’il finirait par prendre part à la compétition ou pas. Dans de telles conditions qui oserait commettre la folie d’investir des millions ou des milliards en préfinancement d’une campagne électorale à laquelle on a aucune certitude de participer ? Personne bien entendu ! Donc une élection sans prévisibilité ni lisibilité peut-elle être une élection équitable, honnête et sincère ? Non assurément ! L’opinion publique en son temps ne s’en était pas aperçue tout comme beaucoup d’acteurs politiques qui s’étaient particulièrement signalés à l’époque par une absence remarquée dans les manifestations de rue contre le parrainage.

Vous posez le parrainage comme étant le principal problème politique. Seulement il a été voté et adopté. N’est-ce pas un peu tard pour revenir sur le système et est-ce que reporter les élections était la solution adéquate ?

En 2019 on est allé aux élections avec cette loi parce que les candidats éliminés ne pouvaient exhiber aucune preuve matérielle du caractère illégal de leur élimination. Par conséquent, ce n'est pas là la question. La question est que cette fois-ci, les candidats ont eu la preuve que la loi n’a pas été appliquée. Sur le report, pour notre part individuelle, l’idée d’un report n’existait même pas dans notre esprit. D’ailleurs, nous avions posé sur la table de nos collègues candidats spoliés une proposition qui était destinée à faire gagner l'opposition le 25 février, pour ensuite créer les conditions d’organiser dans un délai de quelques mois une nouvelle élection présidentielle sincère et inclusive sur des bases discutées et acceptées par les acteurs. C’était une façon, d’une part de garder le cap du calendrier républicain et d’autre part, de ne pas passer à pertes et profits pour cinq (5) ans encore les droits des candidats spoliés. Certains candidats qui ont pris connaissance de notre proposition, bien que l’ayant trouvée intéressante, m’ont cependant clairement indiqué qu’à leurs yeux l’élection devait être reportée purement et simplement pour que des conditions acceptables soient créées. L’un a avancé l’argument financier selon lequel deux élections coûteraient cher. J’ai rétorqué que les pertes en vies humaines et les milliards de biens matériels détruits ces dernières années dans des manifestations ont montré que des solutions pacifiques qui permettent d’atteindre les objectifs fixés, me paraissaient toujours meilleurs que les autres voies. Mais toujours est-il que si le Conseil constitutionnel nous avait écoutés depuis le 7 janvier, nos revendications pouvaient techniquement être prises en compte en trois (3) jours maximums. Chaque candidat pouvait être rétabli ou rejeté, c’est selon, au bout de 15mn de vérification technique de sa clé USB et ainsi les délais du scrutin étaient respectés.

« Ou la discussion conjure le chaos ou le chaos engendre la discussion. Dès lors que la discussion est inévitable qu’elle soit en amont ou en aval, il paraît plus raisonnable de la tenir avant chaos plutôt qu’après chaos »

Vous semblez mettre en doute les méthodes du Conseil constitutionnel ?

Les méthodes étaient totalement mauvaises mais ça pouvait être rectifié rapidement. Mon hypothèse est que le Conseil était convaincu qu'on n'irait pas loin dans notre combat pour notre réintégration. Alors, c’est sur ces entrefaites que l'invalidation de Karim Meissa Wade est venue constituer un apport de taille dans la lutte. Ce dernier qui avait échappé au premier contrôle s’est retrouvé retiré des candidats définitivement retenus. Mais lui, son parti dispose d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale qu’il a pu actionner sur la base de soupçons de corruption de juges du Conseil pour la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire. On raconte que l’élimination de Karim résulterait d’un sondage qui le mettait en piste pour le second tour. La mise en place de la commission d'enquête parlementaire, la riposte du CC et la révélation selon laquelle une candidate déjà validée par le même conseil constitutionnel avait la double nationalité (jusqu’à plus ample informé) étaient autant de facteurs venus renforcer la position des candidats spoliés. C’est ça qui s’est passé. Au total, les décisions du

Conseil constitutionnel entraînaient pour des millions d'électeurs, la perte de leur liberté de choisir l'un des 40 candidats éliminés injustement et la privation de leur droit de vote à 900.000 électeurs au motif qu’ils sont déclarés inexistants dans le fichier électoral. C’est tout cela qui aurait constitué une violation grave et massive de la Constitution avant même que la question du report ne puisse être soulevée dans la procédure. Donc le report devenait, de fait, la seule issue qui s’offrait pour qu’en fin de compte les droits fondamentaux des uns et des autres soient sauvegardés.

Que vous reste-t-il à faire ?

Nous devons resserrer les rangs et nous engager dans les batailles politiques du moment et dans la préparation des prochaines batailles électorales. La bataille politique du moment c’est d’exiger que les termes de référence de la prochaine concertation sur la loi électorale soient sérieusement et rigoureusement discutés et largement adoptés par les acteurs comme préalable. Ensuite que le travail se fasse selon un esprit qui mette au poste de commande les intérêts fondamentaux de notre peuple en termes d’abord de paix, de stabilité et de sécurité sans lesquelles rien d’autre ne saurait être envisagé y compris le développement et enfin qu’il soit reconnu dans les faits le droit souverain à ce peuple de choisir celle ou celui en qui il veut placer sa confiance.

Mais une partie de l’opposition semble rejeter tout dialogue…

Je peux le comprendre sans compter que c’est un droit démocratique d’accepter ou de refuser. Je ne doute pas que si des actes sérieux et crédibles sont posés sur la voie de cette concertation comme je l’ai dit tantôt, les conditions existeront pour une concertation inclusive. Un rapport de force politique est toujours destiné à s’asseoir à la table de négociation en bonne posture. C’est un acquis qu’on transforme en gain politique tout comme on transforme en but une bonne passe en surface de réparation. Ou la discussion conjure le chaos ou le chaos engendre la discussion. Dès lors que la discussion est inévitable qu’elle soit en amont ou en aval, il paraît plus raisonnable de la tenir avant chaos plutôt qu’après chaos.

Et la population dans tout cela qui rejette et le report et le dialogue avec les manifestations de ce vendredi ?

Allez poser la question au Conseil constitutionnel de savoir pourquoi, alors qu’il était possible de régler le problème des spoliés tout en respectant la date des élections, il s’est abstenu de le faire jusqu’après le 20 janvier. En tout cas, cela a participé du report. Il y a eu des manifestations aujourd’hui. Si les élections devaient se tenir à date sans les spoliés, il y aurait eu aussi des manifestations de rues exigeant des élections inclusives pour eux-mêmes et pour les 900.000 électeurs enlevés du fichier.