NETTALI.COM - Ndiaga Sylla fait partie des plus célèbres experts électoraux du Sénégal, même si son expertise est remise en cause par certains. D’enseignant vacataire de Collège d’enseignement moyen (Cem), il a pu s’imposer dans le milieu électoral pour se tailler le titre d’expert électoral, bien avant même d’obtenir sa licence en Droit public. 

Son nom fait penser au Droit électoral. En matière de politique, son avis est toujours attendu quand il y a polémique sur un sujet. Et sa dernière sortie concerne l’affaire Ousmane Sonko qui peine à recevoir sa fiche de parrainages, malgré la décision du Tribunal d’instance hors classe de Dakar, annulant sa radiation des listes électorales. Né le 7 mars 1971 à Thiès, Ndiaga Sylla a grandi entre les quartiers Mbambara et Keur Abdoulaye Yakhine (Thiès). Petit frère du célèbre politicien Talla Sylla, il est un enfant posthume car étant né après la mort de son père, dont il porte le prénom. Comme bon nombre d’enfants à l’époque, Ndiaga a débuté ses études dans l’école publique. Il a fréquenté l’école primaire de Grand-Thiès. Après son entrée en Sixième, il a été orienté au Lycée Malick Sy de Thiès où il a étudié jusqu’en classe de Première. Membre initiateur d’une grève, en 1992, il a été exclu du lycée avec d’autres camarades.

«A la suite de cette grève, nous avons été traduits en Conseil de discipline et exclus alors que nous devions passer en classe supérieure (Terminale). Face à cela, nous avons fait une grève de la faim. J’ai failli mourir dans cette grève et j’ai fini par être évacué à l’hôpital. C’est ensuite que Bara Sidy Ndiaye a décidé de nous venir en aide en nous proposant de venir étudier gratuitement dans son école privée Le Cayor. Il y avait aussi Mbaye Diouf, ancien Directeur des Chemins de fer, qui nous a proposé le collège Saint Gabriel et avait décidé de prendre en charge tous nos frais de scolarité. Mais finalement, avec la médiation de la Coordination des étudiants de Dakar, nous avons accepté la proposition de Bara Sidy Ndiaye», raconte Ndiaga Sylla. Décrit par son ami d’enfance, Ablaye Dème, comme «une personne très sincère et très honnête. Il ne triche pas et il a un grand caractère. Il est petit de taille, mais très courageux. Ses amis l’appellent ‘’Tiouk’s’’. Il était un grand bagarreur. Il pouvait passer toute une journée à se bagarrer. Il n’avait peur de personne», se souvient M. Dème.

Son échec à l’Ucad et son admission à la Fastef

Après l’obtention du Baccalauréat, Ndiaga Sylla a été orienté au département de Philosophie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Invalidant sa deuxième année, il est recruté comme vacataire en Histo-Géo au Collège d’enseignement moyen (Cem) Amadou Traoré de Dakar. C’est dans ce contexte qu’il a créé le Syndicat des corps émergents dont il était le Secrétaire général. Ensuite, il a été membre de l’intersyndical avec les Mansour Mamadou Diouf et autres. Ndiaga Sylla fait partie des membres du premier bureau du Comité du dialogue social/secteur éducation et formation (Cds/Sef). Encore plus, il a fait l’Enea (Ecole nationale d’économie appliquée) où il a obtenu son diplôme d'ingénieur en Gestion des travaux du développement urbain. Poursuivant son aventure, Ndiaga Sylla est allé à la Faculté des sciences et technologies de l’éducation et de la formation (Fastef- ex École normale supérieure) pour obtenir le Certificat d'aptitude à l'enseignement des collèges d'enseignement moyen (Cae-Cem). Dans ce secteur, il a eu à diriger le syndicat d’enseignants Adept (Alliance pour la défense de l’école publique et des travailleurs), participant à l’épanouissement des enseignants.

Une formation en Leadership féminin et développement local au National démocratic institute  (Ndi) lui a permis de travailler avec le Cosef (Conseil sénégalais des femmes). Selon Rokhyatou Gassama, Consultante internationale et présidente du Conseil Sénégalais des femmes (Cosef), Ndiaga Sylla a fait une formation d'observateur pour l'intégration du genre dans le processus électoral et une formation en leadership et prévention des conflits électoraux en Afrique de l'Ouest à l'Institut Gorée. Sans oublier la formation/sensibilisation sur les handicaps d'accessibilité universelle et sur l'audit des bureaux de vote et aussi une formation sur la gestion de logistique de l'observation électorale.

Son parcours politique et sa transformation en membre de la société civile

Dans le domaine politique, Ndiaga Sylla a commencé à militer au Lycée pour la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (Ld/Mpt) que dirigeait à l’époque le professeur Abdoulaye Bathily. Ensuite, il a été vice-président du Mdj (Mouvement des jeunes). Au bout de deux ans, il a démissionné pour devenir membre fondateur de l’Alliance Jëf-Jël de son grand frère, Talla Sylla, en 1997. Le 13 octobre 1998, il est nommé Secrétaire exécutif national chargé des élections de Jëf-Jël. Ndiaga Sylla a enfin été premier vice-président chargé de la vie politique de ce parti, avant de quitter la politique en 2014.  «Quand il faisait de la politique, il était toujours du côté des opprimés et des faibles. Il est très modéré. Il était un opposant radical, mais à partir des années 2012, il a cherché à tempérer un peu son ardeur et sa rigueur pour essayer d’être quelqu’un de très relatif jusqu’à ce qu’il abandonne la politique pour se lancer dans la société civile. Je fais partie des gens qui l’ont conseillé à quitter la politique parce qu’il n’était pas dans la peau d’un politicien», confie Dr Ahmadou Gaye, universitaire et ancien membre du Comité de Veille et de Suivi.

Membre de la société civile, Ndiaga Sylla fait partie des fondateurs du Groupe de recherches et d'appui-conseil pour la démocratie et la bonne gouvernance (Gradec), en y occupant le poste de Coordonnateur du département Démocratie et processus électoral. Il est également membre du Comité national de dialogue social. En 2010 déjà, il était membre du Comité de veille et de suivi institué par le Président Abdoulaye Wade pour assurer le suivi de la Mission d'audit du fichier électoral, membre de la société civile. «Ndiaga Sylla est une personne compétente et très intelligente. C’est quelqu’un de très passionné et qui apporte ses contributions pour faire avancer notre démocratie et notre système électoral. Il a une expertise électorale avérée et forgée sur le terrain», témoignage Ababacar Fall, Secrétaire général du Gradec, ancien membre du Comité de Veille et de Suivi à la Mission d'audit du fichier électoral, membre de la société civile.

Les doutes sur son titre d’expert électoral

Membre de la Plateforme des acteurs de la société civile pour la transparence des élections (Pacte), Ndiaga Sylla a été, pendant deux ans, président de la Commission révision des listes électorales, production et distribution des cartes électeurs. Il souligne que l’actuel Directeur général des élections, Thiendella Fall, siégeait dans sa commission comme Directeur des opérations. Dans cette commission, c’est Ndiaga Sylla qui planifiait toutes les missions du Comité de veille de l’intérieur comme de l’extérieur. «Je suis allé au Canada et aux États-Unis pour superviser les élections, ainsi que dans tous les départements du pays», confie-t-il. Président fondateur de Dialogue citoyen pour la consolidation de la démocratie et la paix (Dialogue citoyen), Ndiaga Sylla porte aujourd’hui le titre d’expert électoral. Il a créé son propre cabinet dénommé Ceelect (Cabinet d'expertise électorale). Malgré ses expériences électorales, son titre d’expert suscite des doutes chez certains politiques. Suite à la sortie de Ndiaga Sylla qualifiant d’irrégulier le Décret n⁰2023-2152 portant nomination des membres de la Commission électorale nationale autonome (Cena), le Professeur en Droit, Ismaïla Madior Fall, l'a contredit. Selon Ndiaga Sylla, ce décret viole le principe de la permanence de l'organe de contrôle et de supervision des élections et son corollaire, la clause de la fin et du renouvellement des mandats (art. L.4 et L.7 du Code électoral).

En réaction à cette sortie, Ismaïla Madior Fall a tenu à le rectifier. «Vous n'avez pas qualité et intérêt à agir. Seul l'intéressé, auquel l'acte, en l'occurrence individuel, ferait grief, a intérêt à agir, pourrait le contester par la voie de l'excès de pouvoir. On n'est pas en matière d'élection locale dont un électeur peut contester la régularité. Votre initiative groupale ne saurait juridiquement prospérer car ceux qui sont appelés à se joindre à votre initiative, tout comme vous, n'ont pas intérêt à agir car aucun de vos droits n'a été ni individuellement ni collectivement préjudicié. L'auto-proclamation d'expert en droit électoral ne donne pas le droit de dire ce qu'on veut», dit Ismaïla Madior Fall. Interpellé sur cette casquette qui serait usurpée, selon ses détracteurs, l’expert électoral autoproclamé se défend :  «Il n’existe pas une université au Sénégal qui forme des experts électoraux. Le Droit électoral est transversal et ça touche plusieurs types de droits, y compris le Droit international. La substance du Droit électoral c’est la jurisprudence. Je reconnais qu’il y a des modules créés pour avoir la certification d’expert électoral. D’ailleurs, c’est ce qui m’a poussé à aller étudier le Droit public à l’Institut supérieur de Droit de Dakar (Isdd). J’ai eu ma licence et je suis en train de boucler mon Master 2. Parce que pour avoir le titre d’expert électoral au niveau international, il faudrait un diplôme en Droit. Et quand j’ai acquis ce diplôme-là, j’ai gagné le poste d’Expert juridique de la Mission de suivi électoral de l'Union européenne au Sénégal (mars-avril 2022). L’Ue m’a encore recruté pour être le seul expert électoral national de sa mission au Mali. C’est l’ancien ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, qui est le premier à me recruter en qualité d’expert électoral à la suite du référendum de 2016», fait-il savoir.

«Il a cherché à légitimer son titre d’expert électoral en faisant une formation en Droit public»

L’Enseignant-chercheur en Droit et en sciences politiques, Dr Ahmadou Gaye, affirme qu’en matière d’expertise électorale, «ce qui différencie Ndiaga Sylla des universitaires qui ne font que la théorie, c’est la pratique du droit électoral. Il a cherché à légitimer son titre d’expert électoral en faisant une formation en Droit public. Je suis son professeur de Master et je constate qu’il a acquis la plupart de son expérience dans son engagement politique et syndical ainsi que dans ses recherches. Il n’y a pas une école qui forme des experts. Il suffit d’avoir un diplôme et d’aller déposer tes dossiers au niveau de l’ordre qui va statuer sur ton expertise après un stage dans un cabinet. L’ordre des experts n’est pas une école, c’est une compétence avérée reconnue par ses pairs. C’est quelqu’un qui est très généreux dans son savoir. Il a un parcours très atypique». Pour son doyen en expertise électorale, Ousmane Badiane, «l’expertise de Ndiaga est reconnue, mais cela ne signifie pas que tout ce qu’il dit est incontestable. Il faut comprendre que le droit est une interprétation. Ce n’est pas de la mathématique. Chacun peut interpréter selon sa vision. Parfois des experts peuvent avoir des divergences sur un sujet. A chaque fois qu’il fait une contribution, je lui envoie un message pour donner mon point de vue. Mais cela n’enlève en rien son expertise», raisonne l’expert électoral Ousmane Badiane.