NETTALI.COM -  "Prytanée militaire de Saint-Louis, 100 ans après : histoire, bilan, opportunités et perspectives pour le Sénégal et l'Afrique", est le thème débattu au Musée des civilisations noires de Dakar, le mercredi 20 décembre, dans le cadre des festivités marquant les 100 ans d’existence de la célèbre école. En présence de plusieurs anciens enfants de troupe (AET), le ministre Serigne Mbaye Thiam, animateur de la conférence, a interrogé l'histoire, tout en explorant les pistes de l'avenir du Prytanée militaire de Saint-Louis.  Une conférence co-animée en virtuel par professeur Thioub, historien et modérée par le Général Abdoulaye Fall. 

"Aujourd'hui le Prytanée a assez fait ses preuves en tant qu'institution sous régionale, avec toutes les nationalités qu'il accueille. Mais, nous pouvons encore aller plus loin, ratisser encore plus large en nous adressant à tous les pays de la CEDEAO. Ainsi le Ghana, le Sierra Leone, le Nigéria, etc pourraient y faire leur entrée", a commenté le ministre de l'eau et de l'assainissement, Serigne Mbaye Thiam.

Selon lui en effet, "au-delà de l'élargissement, d'une meilleure prise en charge de la question panafricaine, nous pourrions avoir en même temps un bac bilingue avec l'introduction, de facto, de l'anglais. Cela ne pourrait qu'être encore plus bénéfique pour les enfants de troupe, car leurs compétences, avec l'introduction de l'anglais qui est incontournable dans le monde moderne, vont sans doute s'accroître".

Dans sa communication, l'ancien Enfant de Troupe n'exclut même pas une féminisation du Prytanée militaire qui commencerait par la seconde dans une logique d'introduction des jeunes filles de manière douce.

Une féminisation que ne semble pas partager un de ses cadets, puisqu'il y entrevoit une manière de casser l'originalité du Prytanée. Celui-ci se demande d'ailleurs pourquoi ne pas maintenir la situation en l'état, en faisant intégrer ces filles à une école d'excellence telle que Mariama Ba, étant entendu que, même les pensionnaires hommes du Prytanée actuel, ne deviennent pas forcément des militaires. Il n'exclut pas non plus une autre piste, "un Prytanée féminin", soulevant au passage la difficulté de l'encadrement de jeunes filles mêlées à des jeunes hommes à bas âge et qui peut s'avérer compliqué.

Serigne Mbaye Thiam n'a pas dit que cela puisqu'il a en outre insisté sur les compétences de vie "que pourrait davantage offrir cette prestigieuse institution", pour ne plus "cantonner uniquement les apprenants aux leçons et autres enseignements militaires".

Dans cette logique de réformes, l'ancien ministre de l'Éducation a aussi prôné une meilleure prise en compte des enseignements digitaux.
"Il est évident que le Prytanée ne peut plus être ce qu'il a été, il y a 10 ou 20 ans. L'évolution du monde impose un changement de paradigmes. Nous devons aller au-delà de l'informatique, parlons d'éducation numérique. Aujourd'hui l'intelligence artificielle est là et elle bouscule les codes. Les nouvelles générations issues du Prytanée doivent impérativement être formées à ces outils".

Revenant sur les motifs qui ont poussé beaucoup d'élèves à rejoindre le Prytanée militaire, le ministre Thiam, affirme qu'il s'agit pour beaucoup d'attraction pour la tenue avec les défilés du 4 Avril et le prestige.

Le Général Abdoulaye Fall rassure

Modérateur de la conférence, l'ancien chef d'Etat-major Général des Armées à la retraite, Abdoulaye Fall  a tenu à rassurer face à un public qui a soulevé certaines inquiétudes dont l'avenir du Prytanée dans 50 ans ou encore la pertinence de parler encore de Prytanée militaire alors tous les ressortissants ne seront pas forcément des militaires dans la vie. "Tout d'abord je tiens à rappeler qu'il n'a jamais été dit que tout élève qui entre au Prytanée, va forcément continuer sa carrière dans l'armée (...)", a laissé entendre le Cemga à la retraite.

Concernant l'avenir du Prytanée dans un demi siècle, le général Abdoulaye Fall invite les AET à être moins pessimistes. Selon lui, certes le Prytanée ne sera plus comme il était à l'époque, mais va garder ses valeurs tout en suivant l'évolution du monde qui s'impose à tous.

Toujours dans l'ordre des perspectives, l'avis de changer le vocable "Enfant de troupe" a été débattu. Un argument fondé sur l'idée selon laquelle, l'on entre au Prytanée en étant enfant (10-12 ans), mais qu'on en sort avec le Bac (17-19 ans).

Le professeur Thioub remonte aux origines de la création du Prytanée

Sur le plan purement historique, l'ancien Recteur de l'Université Cheikh Anta Diop, Ibrahima Thioub est un peu revenu sur la genèse du Prytanée militaire. Son argumentaire se résume comme suit : "Créé en 1923 juste après la première guerre mondiale, le Prytanée est né d'un souci de la métropole de former militairement et techniquement des officiers sur place pour l'AOF. Il faut aussi rappeler que les premières promotions du Prytanée étaient des enfants de militaires, de chefs de cantons ou encore de notables".

Makhtar Cissé : "L'avenir du Prytanée est dans son passé" 

"J'ai l'impression qu'on demande trop aux enfants de troupe. Le Prytanée, c'est une belle école, mais c'est une école. Et quand on parle d'école, c'est pour transmettre du savoir et aider à forger des valeurs. Ce qui fait la particularité du Prytanée, c'est l'aspect militaire. Sinon, c'est un Lycée d'excellence. De mon point de vue, l'avenir du Prytanée, il est dans son passé. Ce n'est pas un jeu de mots, ce n'est pas pour faire de l'esprit, c'est une conviction. Pour moi, l'avenir du Prytanée militaire il est dans son passé.

Pourquoi je le dis ? L'éducation va évoluer, la transmission du savoir va évoluer, les contenus vont évoluer. Le monde est devenu aujourd'hui un monde de connaissances où la frontière passe entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Ça c'est capital. Les moyens d'acquisition des connaissances ont changé avec l'informatique, l'intelligence artificielle. Aujourd'hui, les enfants vont faire des choses que vous ne pouvez même pas imaginer. Donc forcément le Prytanée va suivre cette marche. Parce que nous ne sommes pas en dehors de la société, en dehors du monde. Les réformes à faire dans l'éducation, que ce soit au Prytanée ou ailleurs, ce sont les mêmes réformes que nous devons faire dans notre système éducatif. Mais on fait trop du bourrages de crânes. On apprend trop de choses inutiles. ... Des choses qui ne servent pas à grand chose. On laisse de côté des matières fondamentales comme les mathématiques, l'anglais... Mais pourquoi ces valeurs sont importantes

C'est ça qui fonde l'école. Le Prytanée militaire est une école panafricaine, je pense qu'il faut le maintenir. C'est ça qui fait le charme, la richesse, l'avenir du Sénégal. Le Prytanée est école de formation militaire avec des valeurs. Cela c'est fondamental. Parce que ce que vous avez de moins important à gagner en sortant du Prytanée, c'est le Baccalauréat mention très bien. Le Prytanée ce n'est pas un Lycée, mais une école de la vie. Ce vous avez de plus à gagner, c'est de pouvoir tutoyer vos anciens (aînés) et avoir des amis que nous n'avez pas croisé au Prytanée. Moi, mes meilleurs amis enfants de troupe ne sont pas forcément dans ma promotion. J'en ai que je n'ai pas trouvé au Prytanée et d'autres qui étaient en 6ème quand j'étais en 1ère (...) C'est ça le Prytanée, c'est ça le charme. Au delà des promotions, il y a un esprit qui nous réunit, un esprit de solidarité, le sentiment d'avoir vécu les mêmes choses, les mêmes épreuves. C'est pour cela que la vie sociale au Prytanée est fondamentale. Le fait de participer au scoutisme, de faire du théâtre, la solidarité, l'humilité, apprendre à faire la cuisine, faire la corvée des blocs (ndlr - nettoyage des toilettes)...Ce sont des choses extrêmement importantes que vous apprenez et qui vous poursuivent pour la vie. Et c'est sur ça qu'il faut mettre le paquet. Il ne faut pas que le Prytanée perde cela.

Il ya dix ans, quand j'étais au Prytanée, je rendais visite aux élèves. Un de mes aînés du Prytanée était le directeur d'école. Il m'a accueilli au croisement de l'école avec deux enfants de troupe à bord de son véhicule. J'ai failli retourner. Je me suis étonné (...) Deux élèves dans la voiture du commandant de l'école, c'était imaginable à notre époque.

C'est vrai que le monde évolue, mais il y a des fondamentaux qui doivent rester pour qu'on apprenne plus de rigueur, plus de respect et c'est ça qui fera le plus et non le Bac plus. Ça, ils peuvent l'avoir à Blaise Diagne ou ailleurs. Le plus important c'est d'en faire une école d'hommes"

Entre instauration d'une prépa et l'introduction de matières technologiques et économiques 

D'autres intervenants n'ont pas manqué d'évoquer leur souhait de voir enfin créer une prépa militaire au Prytanée, de manière à davantage préparer les Enfants de Troupe à davantage renforcer leurs capacités après le Bac et plus accéder aux grandes écoles.

De même est demandée l'intégration des matières technologiques et économiques pour rendre l'enseignement plus complet dans un monde où l'on s'oriente plus vers les métiers scientifiques et techniques plus en phase d'ailleurs avec un développement économique et social du pays qu'il faut orienter dans ce sens. Une autre manière aussi de permettre à l'école de pouvoir compétir dans les matière techniques et économiques lors du Concours général, où le Prytanée et Mariama Ba avec des séries très réduites, sont lésées par rapport aux autres écoles comme le lycée Maurice Delafosse ou Limamoulaye, alors qu'il n'existe pas un système de pondération qui équilibre les résultats par rapport au nombre de matières.

Une conférence en somme très enrichissante avec des propositions et idées originales développées par Serigne Mbaye Thiam, qui ne manqueront pas d'être consignées dans un document synthétique, de manière à être soumise dans une logique d'évolution positives de l'école qui doit opérer un virage, 100 ans après. C'est en tout cas le souhait de tous les intervenants et ceux qui ont assisté à cette conférence.