NETTALI.COM - Après une période d’apaisement, Barthélémy Dias reprend du service. Le maire de Dakar tire sur le régime de Macky Sall qu’il accuse de vouloir dépouiller sa mairie et de torpiller la candidature de son leader, Khalifa Sall. Assiste-t-on à la fin de l’accalmie après un semblant de rapprochement ?

Il y a peu, on aurait pensé que Barthélémy Dias avait rendu les armes. Et déposé sa rancune aux pieds du Président Macky Sall, lequel semblait bien le lui rendre. On aurait facilement parié sur un enterrement de première classe de leur adversité politique. Lundi, 1er Mai 2023, à l’occasion de l’ouverture du 6ème Forum mondial sur l’économie sociale et solidaire qui se tient pour la première fois en Afrique, le Président Macky Sall lance à son hôte, Barthélémy Dias, maire de Dakar et organisateur de l’événement, une boutade comme il les affectionne : «Je dirai à ton père que tu as bien travaillé.» La salle explose de rire. Elle applaudit de joie. Derrière les rideaux, une accolade entre le Président Macky Sall et Khalifa Sall, une poignée de main, tout sourire, avec Habib Sy, président de la Conférence des leaders de Yewwi Askan Wi. L'on avait vite fini de parler de décrispation entre le Président et la coalition d’opposition. Yewwi Askan Wi (Yaw) dément et précise que Barthélémy Dias a eu l’amabilité d’inviter (…) Habib Sy, au nom de la coalition et Khalifa Sall, en tant que maire honoraire de la ville de Dakar et que selon les règles de civilités républicaines, des poignées de main ont été échangées entre tous les participants, les services de communication du Palais (…) se sont empressés de rendre publiques ces images, mais «il n’y a aucune signification de rapprochement.»

En réponse, Barthélémy Dias dira publiquement que c’est lui qui a pris la responsabilité, en sa double qualité de député-maire de la ville de Dakar, d’inviter officiellement le président de la République du Sénégal, Macky Sall, à l’ouverture officielle de la cérémonie de ce 6è forum, tout en précisant qu’il a invité Ousmane Sonko, mais que ce dernier a refusé de venir. «Je prends acte. Mais je pense qu'on doit faire preuve d'élégance», regrettait le maire de Dakar. La tension est vive entre les deux.

Autrefois, comme deux larrons en foire, s’entendant à merveille sur quasiment tous les sujets qui touchent la chose politique, le pacte qui lie Barthélémy Dias à Ousmane Sonko, farouche opposant de Macky Sall est rompu, quand le maire de Ziguinchor sort pour dire que dans Yewwi, certains jouaient au théâtre et avaient un rôle dans le scénario et que le dialogue national n’avait qu’un seul objectif : le sortir du jeu politique. Barthélémy Dias rétorque :  «Il n'y a qu'une seule personne qui joue au théâtre, ici. La manipulation a trop duré, le mensonge a trop duré. (...) La politique de la pensée unique ne passera pas. (…) Sonko devrait m’appeler pour me dire que ce dialogue visait à le liquider et me dire qu’il n’était pas d’accord depuis le début. C’est une attitude irresponsable.»

Plus simple, Barthélémy Dias avoue que Sonko est au courant de toutes ses initiatives pour un dialogue avec le pouvoir. Le maire de Dakar qui ne croit plus au combat de rue, appelle Sonko à plus de maturité. L’échange de propos aigres doux par presse interposée entre les deux prend des jours. Sonko se radicalise. Barth’ se montre plus conciliant avec le pouvoir de Macky Sall. Il est traité de ‘’traître’’ par les affidés de Sonko. On l’accuse de s’être rapproché de Macky Sall, qu’il s’est adouci pour faire passer la candidature de Khalifa Sall. Même s’il a toujours nié, prétextant qu’il était droit dans ses bottes, fidèle à ses principes et convictions, la réalité est têtue, Barthélémy Dias n’est plus aussi virulent contre Macky Sall. Sa voix n’était plus audible dans la scène politique. Il était plus concentré sur sa mairie. Jusqu’à vendredi dernier, quand il a fait face à la presse pour dénoncer les crocs en jambe qu’il subit dans la gestion de Dakar et aborder le dossier Ndiaga Diouf sur lequel la Cour suprême se penche le 22 décembre prochain. Le timing et le contexte le dérangent.

«Ce régime a décidé de ne pas compétir, leur stratégie, c’est éliminer». C’est bien Barthélémy Dias qui le dit, en référence à une tentative de sabotage de la candidature de son leader, Khalifa Sall. Les hostilités, ont-elles repris, après le pacte conclu au dialogue national dont Barthélémy réclame l’initiative ? Cheikh Guèye, responsable de Taxawu Sénégal, bat en brèche. Selon lui, il n’y a eu ni deal, ni rapprochement. «C’est des fantasmes. Ce que Barth’ a fait chaque Sénégalais devait s’en féliciter. Il ne l’a pas fait pour lui ou pour l’intérêt de sa coalition, mais pour les Sénégalais. Il prend de l’âge, Barth’ de 2023 ne peut pas être le même que celui des années précédentes. II s’est rendu compte des limites de la rue. Il a mûri, il est devenu entre-temps le maire de Dakar», a dit, vendredi dernier, Cheikh Guèye à l’émission Jakaarlo de la Tfm. N’allez surtout pas dire cela à Ousmane Sonko, lui qui a parlé de compromis et de compromission dans la relation Barth-Macky.

«Barthélémy est dans la surenchère politique et ça annonce toujours des négociations souterraines»

Après le beau temps, place à la pluie. L’affaire Ndiaga Diouf est venue donc rompre le gentlemen's agreement entre Barthélémy Dias et Macky Sall, à la veille de la Présidentielle de février 2024. Mamadou Sy Albert, analyste politique est convaincu qu’on peut bel et bien parler de reprise des hostilités, parce qu’il a réellement eu une période d’accalmie. Il dit : «Barth’, depuis qu’il a commencé à avoir un conflit ouvert avec Ousmane Sonko, a pris ses distances par rapport à Yewwi et au Pastef, en même temps qu’il prenait ses distances, il s’est rapproché du Président Macky Sall et c’est ce rapprochement qui a justifié la participation de Khalifa Sall au dialogue national. Apparemment, c’est lui qui a négocié la participation de Khalifa Sall au dialogue. Barth’ a même dit qu’il est à l’origine du dialogue. Ça montre qu’il s’est rapproché de Macky Sall en tournant le dos à Pastef et Yewwi. On est à quelques mois de la Présidentielle, il sait qu’il traine des casseroles avec l’affaire Ndiaga Diouf qui est entre les mains de la Justice. Barth’ veut vider ce dossier parce que c’est le bras droit de Khalifa Sall, c’est lui le second de Khalifa, politiquement, c’est important pour lui, en même temps, c’est lui le maire de la capitale. S’il se projette d’ici à la Présidentielle et après la Présidentielle, le contentieux judiciaire peut le rattraper à tout moment.»

Toujours dans son analyse, Mamadou Sy Albert estime que Barthélémy Dias sait que tout est politique dans le dossier et qu’il doit le régler sur le champ politique. «Barthélémy est dans la surenchère politique et la surenchère annonce toujours des négociations souterraines. Il sait qu’il y a un volet politique dans l’affaire Ndiaga Diouf. Il sait que s’il perd son poste de député ou de maire, c’est d’abord lui que ça va affaiblir et par ricochet, Khalifa Sall. Il n’aura pas le nombre de députés requis pour le parrainage parlementaire, c’est de la surenchère politique. Est-ce qu’il y aura renforcement, rapprochement ou on ira vers le clash ? Le timing est politique parce qu’on est dans une année électorale, on attend quelque chose de lui. On ne sait pas les termes exacts de la surenchère, de son rapprochement avec Macky Sall. Il y a des risques, si le procès ne lui est pas favorable. S’il quitte l’Assemblée nationale, ce serait une énorme défaite politique pour lui. On pourrait s’attendre à une reprise des hostilités entre Barthélémy Dias et Macky Sall.»

M. Sy croit savoir qu’en un moment, Barth’ s’est sacrifié pour Khalifa Sall. «Il a géré l’intérêt électoral de Khalifa Sall sans penser à lui alors que politiquement, il avait tout à gagner en gardant son alliance avec Pastef et Sonko parce que Taxawu Sénégal à Dakar, c’est Barthélémy Dias. Il pouvait avoir un avenir très important après 2024, malheureusement, il voulait un gain électoral avec Khalifa Sall, tout en sachant que sa mairie ne sera pas bloquée. Il n’imaginait pas que Macky Sall pouvait faire un retournement d’alliance avant la Présidentielle. Dans une négociation, si une partie n’est pas satisfaite, elle peut résilier tout accord. Macky Sall est assez rusé, assez habitué à ce genre de caresse dans le sens du poil de la bête, mais quand il te prend réellement, il n’hésite pas quand il s’agit de manœuvre politique, Idrissa Seck et les autres ont vécu ça.»

«Barthélémy Dias prend les devants en poussant un cri d’orfraie»

Sur le papier, ce qui devait apparaître comme un pacte gagnant-gagnant pourrait être nocif à Barthélémy Dias et il semble l’avoir compris. Journaliste et analyste politique, Amadou Diouf s’en explique : «Barthélémy Dias est en train de tirer la couverture de son côté parce qu’en politique, ce n’est qu’un jeu d’intérêt. Ses intérêts politiques ou les intérêts de sa coalition qu’il partage avec Khalifa Sall dans Taxawu Sénégal peuvent le pousser à adopter une position ou une autre. La réaction de Barthélémy Dias aujourd’hui peut être considérée comme une réaction de survie politique. Si ce dossier penche en sa défaveur, si la condamnation est confirmée, il peut perdre son poste de député et ça, il le comprend très bien, c’est pourquoi, il prend les devants pour lancer un cri d’orfraie, alerter l’opinion afin de dire, voilà on essaie de nous écarter et par digression, il dit que c’est leur coalition qui est visée. C’est juste une bataille politique qu’il est en train de mener par rapport à un dossier qui dure depuis la période Abdoulaye Wade.»

Selon lui, Barthélémy se bat pour garder ses postes, sa coalition, par rapport à des positions politiques et des strapontins qu’il ne veut pas perdre. «Ce n’est pas qu’il était proche du pouvoir, il n’a jamais été proche du pouvoir. Il n’a jamais été proche de Ousmane Sonko, ni de personne. Barthélémy est proche de ses intérêts. C’est un homme politique, c’est normal. Barthélémy roule pour lui-même. Si à un moment donné, s’aligner avec Macky Sall était une position politique plus favorable, il l’a fait. Bien avant, il était aux côtés de Sonko, après il s’est écarté. Aujourd’hui, il s’écarte de Macky Sall, mais il y a toujours un fil rouge, c’est-à-dire ses intérêts qui justifient ses alliances. En politique, comme dans un Etat, il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts. C’est sous ce prisme qu’il faut voir la réaction de Barthélémy Dias qui est tout simplement en train de défendre ses propres intérêts.»

Selon lui, la nature des relations Macky-Barth’ dépendra de la suite judiciaire de l’affaire Ndiaga Diouf. «Si la Cour confirme la condamnation de Barthélémy Dias, il va se radicaliser, c’est évident. Si la Cour infirme, on pourrait voir un homme beaucoup plus conciliant envers le pouvoir. Certains ne vont pas se retrouver dans le raisonnement de Barth’, c’est difficile pour les hommes politiques d’être constants parce que quelqu’un disait que ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent qui tourne et le vent emporte la girouette. Ce que Barth’ fait n’est pas un fait isolé dans le landerneau politique. Les hommes politiques fonctionnent de la même manière. On voit un homme politique, suivant ses intérêts du moment, prendre des positions et le lendemain prendre des positions contraires. Les gens peuvent le considérer comme quelqu’un de versatile. Sa crédibilité va en prendre un sacré coup, les gens vont se dire qu’il a un langage dur, mais que tout tourne autour de sa personne.» Le 22 décembre n’est plus loin.