NETTALI.COM - Ibrahima Fall à l’état civil, Ibou Fall de son nom de plume ou encore Aladji Ibou Fall pour DJ Boups avec qui il officie à l’émission « Xew Xewu Jamono » sur I-radio/I-TV, est d’une autre race de journalistes-chroniqueurs. Signe particulier du personnage, il a ce don pour livrer des analyses aussi inattendues que déroutantes aux auditeurs, télespectateurs et aux milliers d’internautes qui suivent l'émission postée sur la chaîne Youtube d'I-radio.

Non pas que ses analyses plaisent à tout le monde, mais bien parce qu’elles sont faites dans un style particulier qui les rendent si originales. Des analyses comme on n'en voit pas partout sur les autres médias. Elles sont à la fois froides, sans calcul, ni parti-pris, mais avec des mots simples, mais factuelles, non sans une certaine placidité mêlée parfois à du sarcasme. Elles finissent d’ailleurs par en dérouter plus d’un. Dj Boups et Mamadou Kandji co-animateurs de l’émission s’étonnent d’ailleurs souvent des prises de position du chroniqueur et ne se privent point de le relancer, voire d’engager le débat avec lui. Des tics langagiers et corporels, Fall n’en manque pas. Comme ce fameux haussement d’épaule pour dire : « c’est comme ça hein » ; ou ce petit bruit dépit du bout de sa bouche ; ou encore ce « houlaa » d’insistance. Jamais de passion et d’excès avec lui. Toujours cet air serein, mêlé parfois à un rire.

Mais ce cher Ibou n’en a cure. Que ce qu’il dit plaise ou non, c’est le cadet de ses soucis. Il ne cherche pas non plus à plaire dans son apparence. Et son style vestimentaire parle pour lui. Ibou n’est pas dans le code vestimentaire classique ou guindé. La mise toujours simple et sobre, il aime à arborer un t-shirt et d’un pantalon. Surtout ce t-shirt blanc et bleu qu’il affectionne tant et qui semble être un des éléments de son identité.

Sur la question des factures salées d’électricité qui a défrayé la chronique, il n y a guère longtemps, le journaliste-chroniqueur n’a qu’une réponse surprenante à fournir : « le seul combat qui vaille, c’est de payer ses factures ». Et pourtant DJ Boups et EL Hadji Mouhamadou Kandji s’attendaient à ce qu’il dise ce que bon nombre de Sénégalais pensent sur le sujet. Dans le genre, « c’est trop cher en effet ». Celui-ci estime même que ceux qui ont du courant sont privilégiés, là où d’autres Sénégalais veulent de l’électricité depuis l’indépendance, mais ne peuvent pas en bénéficier. Le chroniqueur va plus loin puisqu’il pense qu’on a affaire à une relation commerciale dans laquelle, un client signe un contrat avec une entreprise qui fournit un service et qui présente une facture tous les bimestres. Une manière de dire qu’il faut juste s’acquitter de ses factures et passer à autre chose, estimant que la qualité de vie a un coût. Le seul vrai combat, précise-t-il, est de bien gagner sa vie pour pouvoir payer ses factures.

Ibrahima Fall fait, à la vérité partie de la race des journalistes libres, indépendants et pas affiliés à un quelconque camp politique. Pas comme ces journalistes partisans, subjectifs et instrumentalisés qui manipulent les faits et orientent l’info. Que ceux qui pensent que, parce qu’il critique leur leader de parti, qu’il est du camp d’en face, se trompent lourdement. Il peut le lendemain faire le contraire.

Ibou Fall n’est pas non plus comme ces chroniqueurs d’un genre nouveau, surgis de nulle part, sans background aucun, et dénués de toute expertise dans quelque domaine que soit : ni en économie, ni en droit et encore moins dans les faits politiques. Ceux-là qui ont causé tant de torts aux Sénégalais, au quotidien entretenant tant de confusions et brouillant tant d’esprits. Ils n’ont à la bouche que des opinions alors que celles-ci sont du domaine du peuple. Qui n’en a pas d’ailleurs ?

De bons illusionnistes devant l’éternel, bon nombre de ces chroniqueurs qui essaiment nos plateaux télé, relaient dans beaucoup de cas, des positions politiques.

Chroniqueur, un titre qu’on met à toutes les sauces de nos jours. On le devient à la vérité après de longues années d’expériences dans la presse en gravissant des échelons, tout en étant spécialisé dans des domaines précis ; ou alors, l’on est un expert reconnu dans un domaine donné : économie, banque, finance, histoire, droit, médecine, science politique, diplomatie, relations internationales, etc.

Sa légitimité en tant que chroniqueur, le journaliste la tire d’une grande expérience dans la presse pour avoir vécu beaucoup d’évènements politiques. Pas comme un Pape Djibril Fall qui, à peine sorti d’école, est devenu chroniqueur. Il faut beaucoup plus de background et de faits d’armes que cela. Pas seulement une langue bien pendue. L’on a bien vu où Pape Djibril a atterri. Ce qui veut dire que son agenda était tout tracé.

Journaliste, écrivain, nourri aux lettres classiques (latin-grec), Ibou Fall est d’abord passé par l’écriture en ayant publié, - dans un pays où la norme de production est devenue ces fameux bouquins de candidature politique, - huit (8) ouvrages parmi lesquels un sur Senghor, un recueil de poésie, « Sénégalaiseries », « confidences », etc. Figurez-vous qu’il s’est même essayé à la bande dessinée dont la première, « Boy Dakar », a été lancée en 1987.

Mais Ibou est surtout passé par la presse écrite, ce domaine où le journaliste a besoin d’être un peu plus structuré parce que l’écriture nécessite beaucoup de qualités, dont un talent certain. Roi du calembour, il manie la langue française avec beaucoup d’aisance. Ce qui ne manque pas d’influencer son style à l’oral. Ce qui différencie fondamentalement Fall des autres, c’est qu’il nage à contre-courant du  style journalistique classique et baigne dans un univers caractérisé par la satire et le sarcasme. Sa plume est caustique, son style est décapant. Il appartient à cette lignée de journalistes qui refusent les codes.

"Le Témoin", "Le Cafard libéré", puis "Sopi" en 1989 ; en 2000, le journal "Tract", 2001 "Frasques", "Chocs" en 2010, "Banc Diakhlé" en 2011 et "le P’tit railleur" en 2013. Son parcours est loin d’être un long fleuve tranquille. Ibou n’est pas la race des journalistes sages. Même en tant que patron de presse, il a eu à changer de fusils d’épaule. Des changements qui n’entament en rien son expérience riche et variée.  L’homme, pour le résumer, a fait le tour de la question en matière de journalisme où le fait de s’être frotté à l’écriture, la radio, la télé et l’internet, le rend si complet et redoutable. Ce qui donne à son style, un concentré de beaucoup de choses à la fois. Il est un historien des faits, c'est sûr. Ainsi qu'un peintre de la société sénégalaise en ce sens qu’il connaît le Sénégalais, aime à parler de lui et de ses "Sénégalaiseries" dans ses textes.

Ibou est aussi un vieux de la vieille qui sait se jouer de ses détracteurs. Les tourner en dérision. Au ridicule. Ceux-là qu’il appelle son « saga club » ces insulteurs des réseaux sociaux en désaccord avec ses prises de position, il ne rate jamais l’occasion de leur faire un clin d’œil en début d’émission. Une manière de les railler à longueur d’émissions comme l’évoquait tantôt le titre de son très sarcastique journal d’antan, « le p’tit railleur ».

Le journaliste a aussi pour ainsi dire cette qualité rare, le courage, à notre époque de clivages politiques où beaucoup de journalistes, d’hommes politiques et d’acteurs de la société civile se sont terrés de peur d’être insultés. Imperturbable et un brin détendu, Ibou Fall dit souvent ce qu’il dit avec un certain calme, sans jamais la moindre hésitation et encore moins de la passion. Il est surtout déroutant.

Lorsque le très sympathique Dj Boups l’interroge sur les tournées économiques du président Sall, il le qualifie de « directeur de campagne » d’Amadou Ba, estimant que celui-ci cherche à  justifier son choix parmi d’autres candidats de son camp, en le soutenant. Mais celui-ci voit toutefois d’un mauvais œil, la nomination d’Amadou Ba au poste de premier ministre et en même temps de candidat de Benno, jugeant que les Sénégalais vont toujours voir dans des actes posés, une campagne déguisée, surtout qu’elle se mène avec les moyens de l’état.  Amadou Ba, à son avis, ne peut rien expliquer aux Sénégalais en dehors du fait qu’il veut gagner les élections, précisant que son gouvernement ne fait qu’expédier les affaires courantes, terminer les chantiers, sans toutefois pouvoir dégager de perspectives à long terme.

Notre politique économique, il la résume par un fait bien simple qui consiste à déposer nos ressources au port de Dakar en attendant que les occidentaux nous vendent les produits finis à des prix exorbitants. L’on n’a pas, selon lui, rompu avec l’économie coloniale puisque nous n’avons pas été formés à exploiter nos produits, après que les Occidentaux nous ont fait comprendre qu’on est pauvres et incompétents. Au regard de notre position géographique et de l’importance de nos ressources, le chroniqueur est d’avis qu’on aurait pu importer de la main d’œuvre en ne laissant pas un centimètre de terre arable. Pour lui, tout est une question de volonté et de créativité. Citant l’économie maritime, il pense qu’entre la pêche, les chantiers navals, il y a de quoi créer des milliers d’emploi. Ibou Fall parle de problème de management dans la gouvernance.

Interrogé sur les différentes candidatures, le chroniqueur est un peu plus sévère. Il nous apprend par exemple que ce pays a de sérieux problèmes, parlant ainsi du choix du « moins mauvais candidat », estimant que le niveau du débat est très bas, que la scène politique est envahie par les incompétents ; que ceux qui postulent sont les moins bons ; que les meilleurs sénégalais avec de la probité sont restés chez eux pour s’occuper de leurs affaires.

Pour lui, la politique est une affaire trop sérieuse pour être confiée à n’importe qui. C’est une affaire d’élite, juge-t-il.

De la société civile sénégalaise, il dira que tout ce qui les intéresse, c’est le 3ème mandat de Macky Sall.

Des scènes de pillage durant les manifestations de mars et juin, il qualifie leurs auteurs de "voleurs". Car estime-t-il une manifestation nécessite une autorisation, un motif et encadrement pour exprimer son mécontentement. Quant aux jeunes manifestants, ils attendaient un leadership du qu'ils n'ont pas eu et qu'ils ont trouvé ailleurs. Mais pense-t-il leur énergie a été mal utilisée et mal canalisée. Fall pense que les Sénégalais aiment être dirigés. Ce qui rend ce pays pas si difficile à gouverner.

Quant à la société Sénégalaise, il croit savoir qu’on n’a pas un sens moral aigu. On est laxistes, avoue-t-il, donnant l’exemple de Sénégalais qui commettent des détournements d’argent et qui se voient défendre par d’autres Sénégalais comme s’ils n’avaient rien fait. Ce qu’il pense, c’est qu’il faut des institutions très fortes qui inspirent le respect. Dans notre société, les gens se garent sur le trottoir, les feux sont grillés, constate-t-il. « A quel moment, on va respecter quelque chose », se demande le chroniqueur qui fait remarquer que dès lors que les institutions sont laxistes, tout est permis. Celui-ci pense d’ailleurs qu’on n’a pas le sens du bien public et que ceux qui cherchent le pouvoir veulent pour la plupart s’accaparer des biens publics.

Lorsque le très pondéré journaliste Mouhamed Kandji l’interroge sur la nouvelle posture d’Ousmane Sonko, alors que Guy Marius Sagna, qui lui a rendu visite en prison, nous a appris qu’il fait du sport, ses blagues habituelles, lit le Coran, etc, la réponse qu’il sert est assez surprenante pour l’animateur de l’émission. « C’est trop tard pour faire de la tactique », fait savoir Fall qui pense en effet que pour quelqu’un qui a eu 15% à la présidentielle, qui est devenu député aux législatives et a gagné la capitale régionale à Ziguinchor, l’élection est la seule voie pour arriver au pouvoir. Il n’en existe d’ailleurs pas d’autres selon lui au Sénégal. Il croit même savoir qu’Ousmane Sonko s’est trompé de combat, de pays et a voulu accéder au pouvoir par la force, se demandant au passage ce qui lui est passé par la tête.

Le chroniqueur pense même que tout au plus toutes ces affaires de justice, que cela soit l’affaire Mame Mbaye Niang comme Adji Sarr qui ont valu au leader du Pastef, cette condamnation par contumace, la dissolution de son pays parti et les 7 lourdes charges qui pèsent sur lui, il les a lui-même créées, alors qu’il devait s’abstenir de rentrer dans certains travers. Pire, Ibou Fall pense que c’est la raison d’état qui risque d’être appliqué au Pastef dont le leader s’est attaqué à tous un système.

Quand on lui parle du parrainage de Diomaye Faye et de ses chances, il croit savoir que la seule vérité est celle des urnes qui dépend des Sénégalais.

Le corporatisme dans la presse, il le voit autrement que par une défense des journalistes entre les mains de la justice parce qu'ils font leur travail à leur manière. Ceux-là doivent selon lui, assumer la conséquence de leurs actes. Il en veut pour preuve d’avoir été, en son temps (journal Frasques) convoqué 4 ou 5 fois à la police, mais n’avait pas eu besoin d’ameuter les journalistes pour le défendre.

Pour Ibou Fall, les délits de presse n’existent pas dans le métier car c’est la déontologie du journaliste qui protège ce dernier.  Celui-ci pense d’ailleurs que lorsqu’on exerce correctement son métier, l’on ne transgresse pas la loi. Pour lui la diffamation, l’injure et la diffusion de fausses nouvelles ne font pas partie du métier de journaliste. Quand Boup lui fait la remarque selon laquelle il le trouve bizarre d'avoir une telle posture. Celui-ci lance : « je ne suis pas dans le troupeau en train de bêler avec les moutons. Je ne suis pas un mouton ».

Fall pense d'ailleurs qu’un journaliste n’a pas vocation à ne mener ses investigations que sur le même sujet, il doit pouvoir travailler sur beaucoup d’autres sujets. Ceux qui ont des plans de carrière, des engagements personnels, cela les regarde, ce n’est pas son problème. Le corporatisme, Ibou Fall ne le voit finalement que sous l’angle de la défense des journalistes, des droits voisins et sur les combats liés au modèle économique de la presse.

Ses prises de positions dans leur globalité montrent à la vérité que le chroniqueur de I-Radio est connu pour être équilibré. Il n’épargne personne puisqu’il n’hésite pas à critiquer la gouvernance de Macky sall, déplore la posture de l’opposant Ousmane Sonko et ne fait pas dans la langue de bois, tout en respectant l’équilibre dans ses analyses.

Ibou fait assurément partie de cette race de journalistes qui exercent ce métier sans doute pour gagner sa vie comme tout le monde, mais aussi avec beaucoup de passions,  guidé qu’il est par un certain sacerdoce.

Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Ibou Fall est tout simplement une lumière qui scintille dans cette brume journalistique sénégalaise où beaucoup de journalistes et chroniqueurs ont glissé dans la politique ou le "mercenariat", alors qu’on attend du journaliste ou du chroniqueur, qu’il traite les faits et en tenant compte de la vérité de son expertise.

Ibou est ce qu’on appelle assurément un journaliste dans l’âme. Il est de ceux-là qu'on doit citer en exemple parce qu'il montre ainsi, avec sa posture, aux jeunes générations, que le journalisme peut être la vocation d’une vie, et qu’ils doivent se battre pour ne pas laisser le terrain à ceux qui n'ont plus rien à y faire. Soit parce qu'ils sont démasqués, soit parce qu'ils y sont entrés par effraction pour des objectifs peu louables.

Alassane Samba Diop et ses associés, en choisissant Ibou Fall comme chroniqueur et l'archiviste Mbaye Thiam qui alternent durant la semaine, dans cette émission radiophonique matinale, montrent ainsi la voie à suivre qui n'est pas celle des chroniqueurs incultes, sans expertise aucune, sans faits d'armes qui racontent des inepties à longueur d'émissions.

Le Groupe E-média a sans aucun doute réussi un savant dosage avec une telle émission, en alliant bonne humeur, éclairages lucides et divertissement instructif d’où est en plus exclue toute passion.

Le mérite du succès d'une telle émission revient aussi à ces deux personnages très agréables et sereins à qui le chroniqueur Fall fait face : Dj Boups et El Hadji Mouhamadou Kandji.