NETTALI.COM - De 2012 à 2023, le Président Macky Sall a nommé huit (8) Directeurs de Cabinet. Une instabilité incompréhensible à un poste stratégique.

Abdou Aziz Mbaye, Mor Ngom, Abdou Aziz Tall, Mouhamadou Makhtar Cissé, Oumar Youm, Augustin Tine, Mahmoud Saleh, Abdoulaye Daouda Diallo. Successivement, ils ont occupé le poste de Directeur de Cabinet (Dircab) du président de la République. En une dizaine d’années de pouvoir, le Président Macky Sall a eu huit (8) Dircab différents. Nommé par le chef de l’Etat, le Dircab est son premier collaborateur. Sur le site Internet de la Présidence, on renseigne qu’il est chargé de «l’assister dans tous les domaines et supervise les actions relatives à la sécurité. Il prépare les décisions et arbitrages du Président et le tient informé de leur mise en œuvre. Il est présent au Conseil des ministres, aux Conseils présidentiels et aux Conseils interministériels, et participe aux séances de travail du président de la République. Recevant délégation de signature, il contrôle les actes relevant de sa compétence, notamment ceux qui doivent être signés par le Président». Un rôle stratégique et on ne peut plus important. Il est différent du Chef de Cabinet «qui assure le suivi des relations entre le Président, la société civile et les confessions religieuses, et gère toutes les questions personnelles que lui confie le chef de l’Etat». Le retour de Mouhamadou Makhtar Cissé suite au dernier remaniement, au poste qu’il avait déjà occupé durant quelques mois en 2014, est une preuve, si besoin en était encore, de la grande instabilité à la Direction du Cabinet présidentiel.

Reflet de l’instabilité, des hésitations et changements d’humeur du patron

Pourtant, cela ne devrait pas être le cas, loin de là. «Le Dircab est généralement un homme de confiance, le premier collaborateur du Président ou du ministre, celui qui vient avec lui et repart avec lui, soutient Pathé Ndiaye, ancien Directeur du Bureau organisation et méthodes (Bom). D’habitude, quand un ministre quitte un département, il part avec son cabinet et le nouveau vient avec le sien. Etant défini comme un poste de confiance, normalement il ne devrait pas y avoir d’instabilité, à moins que cette instabilité soit le reflet de l’instabilité du chef, que ce soit le Président ou le ministre. Les autorités qui changent constamment de Directeur de Cabinet font montre d’une instabilité dans leur vision, ou alors c’est au niveau de celui qui doit mettre en relief cette vision et ces orientations.» Conseiller en organisation de classe exceptionnelle, Pathé Ndiaye rappelle que feu le Président Léopold Sédar Senghor n’a eu que deux Dircab durant presque tout son magistère, son successeur Abdou Diouf également. «Donc, s’il y a une instabilité, c’est peut-être dû à l’instabilité dans le caractère de l’autorité, aux hésitations ou aux changements d’humeur du patron.»

A côté du Dircab ‘’classique’’ ou ‘’administratif’’, il existe également le Dircab politique. «Le président de la République est assisté également d’un Directeur de Cabinet politique, chargé des relations du président de la République avec les formations politiques. A ce titre, il prend connaissance du courrier politique adressé au chef de l’Etat et prépare des projets de réponse. Il peut recevoir, dans son domaine de compétence, délégation de signature et disposer d’un Directeur de Cabinet politique adjoint qui a rang de Directeur de Cabinet ministériel», lit-on sur le site de la Présidence. Une distinction que M. Ndiaye ne comprend pas. Car contrairement à ce que pense la plupart, le poste de Dircab n’a rien d’administratif. «Je ne comprends pas cette dichotomie, ce partage du Cabinet présidentiel en deux. Un Directeur de Cabinet ‘’administratif’’ ne doit pas exister, parce qu’il y a déjà le Secrétariat général de la Présidence, qui est chargé de l’Administration de la Présidence», explique-t-il. De tous temps, depuis Senghor, il n’y a jamais eu un Cabinet administratif et un Cabinet politique. Le Directeur de Cabinet est un poste politique, si on lui donne des tâches administratives, c’est sûr qu’il va piétiner sur les attributions du Secrétaire général de la Présidence. C’est la même chose dans les ministères, c’est le Secrétaire général qui s’occupe de l’Administration et non le Dircab. C’est le Sg qui assure la continuité du ministère, quel que soit le ministre en place. Le ministre peut partir avec son Cabinet, mais le Secrétariat reste généralement en place.»

Des nominations de recasement

Babacar Gaye fut Directeur de Cabinet politique du Président Abdoulaye Wade. Lui non plus ne trouve pas d’explication probante à l’instabilité notée à ce poste sous Macky Sall. «Tel que je vois les personnes nommées à ce poste par le Président Macky Sall, on a l’impression que ce sont des nominations de recasement. Les cas d’Abdoulaye Daouda Diallo, qui aurait refusé de siéger dans un Gouvernement dirigé par Amadou Bâ et qui a hérité du poste de Dircab, est assez illustratif. Sinon le Dircab aurait pu être un poste inamovible, c’est-à-dire un poste assez stable comme l’a été celui de Ousmane Tanor Dieng du temps du Président Abdou Diouf, par exemple. Idrissa Seck aussi a assuré la fonction de Dircab du Président Abdoulaye Wade, étant pratiquement le numéro 2 du régime, avant de devenir Premier ministre. D’ailleurs, je pense que c’est après lui que la fonction a été dévalorisée, du point de vue de l’importance de l’occupant.» Selon l’ancien membre du Parti démocratique sénégalais (Pds), le Dircab de Macky Sall n’a pas eu l’influence que les Dircab de Senghor, Diouf ou Wade ont eue. «C’est peut-être lié à la personne du Président Sall, ou alors à la qualité du personnel politique qui est autour de lui, il n’y avait peut-être pas assez de personnalité d’envergure, mais on n’a pas senti un homme vraiment fort à ce poste sous Macky Sall. Cette instabilité peut aussi être liée au fait que le Président Macky Sall a la particularité d’être toujours au centre de l’Etat. Je ne l’ai jamais senti partager le pouvoir, ce qui fait qu’il n’a pu avoir que des collaborateurs de moindre envergure.»

Dircab, un poste difficile à gérer ? Pas tant que ça, selon Pathé Ndiaye, mais les deux hommes doivent être proches. «Il faut que l’autorité et le Dircab aient vraiment des atomes crochus. Le Dircab doit comprendre ce que son boss veut. Il doit être très proche de lui, parce que si ça ne colle pas, la collaboration ne sera pas pérenne. Mais tout dépend de l’homme, de sa détermination et de la clarté de la vision du Président.» Babacar Gaye est du même avis. «Tout dépend de ce que veut le patron, ça dépend aussi de la personnalité de celui qui est nommé. En tout état de cause, le Dircab n’est que l’homme de main du Président, il n’a pas de pouvoir en tant que tel. Il a peut-être une certaine influence due à sa proximité avec le chef de l’Etat, mais ça s’arrête-là», indique M. Gaye.