NETTALI.COM - Après sa tournée à Matam, Mme Aminata Touré, candidate à la présidentielle de février prochain, est revenue sur le programme qu’elle réserve à cette localité du Fouta mais également sur le choix du porte-étendard de la coalition présidentielle, Amadou Ba, les enjeux des prochaines élections, les frustrations au sein de l’APR, l’opposition...

Mme Aminata Touré, en tant que leader du mouvement "Mimi 2024" vous venez d’effectuer une tournée dans la région de Matam. Quel bilan global tirez-vous de votre séjour dans cette partie du pays ?

 Aminata TOURE - C’était une tournée de proximité dans les trois départements de la région. La campagne n’ayant pas encore débuté, je me suis conformée à la loi. Et ça c’est très important. Donc, nous avons eu à rencontrer les populations et à discuter avec elles en présence de nos responsables sur place. Nous sommes allés jusque dans les cuisines de nos sœurs pour constater les difficultés de leurs tâches au quotidien. Il est vrai que quand on reste dans les villes on ne se rend pas compte de l’énormité des inégalités. Nous avons vu des femmes préparer les repas avec le bois de chauffe. Ce qui peut occasionner des maladies ou les aggraver surtout pour celles qui sont asthmatiques. C’est pourquoi il urge de travailler pour généraliser la modernité. Nous avons discuté avec des éleveurs et des agriculteurs. Le constat est que le potentiel de la région est sous-exploité alors que les opportunités existent. C’est une zone qui peut être assimilée à un désert économique. C’est pour moi l’occasion de féliciter nos parents de la Diaspora sans qui la situation serait plus catastrophique. Pour vous en donner une idée, l’élevage et l’agriculture sont toujours pratiqués de façon ancestrale alors qu’on pouvait les moderniser. C’est d’autant plus désolant si on sait que la zone dispose de suffisamment de terres et d’eau. Dansle domaine minier, les conditions d’exploitation du phosphate sont entourées de nébuleuse avec zéro impact sur les populations d’où l’urgence d’un audit. Dans la réforme constitutionnelle de 2016, il est clairement indiqué que les populations ont un droit de regard et de contrôle sur leurs ressources naturelles. Ce qui n’est pas le cas. A partir de ce moment, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des problèmes comme c’était le cas récemment à Kédougou.

La mouvance présidentielle a toujours considéré Matam comme son "titre foncier" au plan électoral. Avez-vous constaté que ce slogan est une réalité dans la zone?

Il n’y a pas de titre foncier ! C’est même un langage qui, à mon avis, ne respecte pas les populations auxquelles il est destiné. Je considère qu’il ne saurait y avoir de droit de propriété nulle part. La réalité du terrain est la seule qui compte. Pour le cas de Matam, les populations sont dans une pauvreté telle qu’elles sont prêtes à prendre leurs responsabilités. C’est à elles de voter en toute liberté après avoir estimé si le pouvoir a bien répondu à leurs attentes ou pas. C’est une région qui doit être traitée d’égale dignité par rapport aux autres où il existe une diversité ethnique et une hospitalité exemplaire. Par conséquent, conscientes des enjeux de l’heure, ces populations voteront sur la base de programmes. Donc la notion de titre foncier n’y existe pas du tout.

L’étape de Ourossogui a été perturbée par des délégués de quartier qui voulaient s’opposer à votre venue. Que s’est-il réellement passé ?

Je peux vous dire que c’est vous-mêmes de la presse qui nous l’avez appris ! On marchait tranquillement à Ourossogui, accueillis par nos militants et une famille très respectée et très connue dans la zone qui est celle du Dr Abdoul Ly. Maintenant, il paraît que c’est le ministre de la Communication qui serait derrière tout cela. J’ai envie de lui dire qu’il devrait plutôt s’occuper de ses tâches gouvernementales. Heureusement qu’il s’est bien gardé de parler puisqu’en tant qu’avocat, il sait très bien les conséquences des menaces de ce genre. De toutes les façons, ce sont des déclarations malheureuses qui ne militent pas en faveur du renforcement de l’unité nationale. En passant je rappelle que ma mère est originaire de Podor. Alors, imaginez si mes parents étaient descendus se battre contre eux. Pour les délégués de quartier je profite de l’occasion pour leur rappeler qu’ils n’ont pas un rôle politique et je plaide pour qu’ils soient bien formés pour comprendre cela. Et puis en tant qu’ancien Premier ministre la meilleure attitude serait de venir m’accueillir, me souhaiter la bienvenue et retourner chez eux plutôt que de manifester pour s’opposer à ma venue. Il n’y a eu aucun incident. C’était juste de l’agitation politique pour se faire entendre jusqu’à Dakar.

Quel programme comptez-vous réserver à Matam dont vous dîtes que c’est un désert industriel ?

Mais c’est tout le pays qui est un désert industriel à part Dakar qui concentre 90% des usines ! Pour la région de Matam, le tout premier acte que je compte y poser est sa connexion avec le reste du pays par la réseau ferroviaire. Ensuite, nous allons moderniser les principales activités que sont l’agriculture et l’élevage. Voilà une zone qui dispose de toutes les opportunités pour sortir de la pauvreté et qui reste malheureusement confrontée à un problème d’exploitation des produits comme le mil, le riz, le maïs et les légumes. Certains de ces produits peuvent être exploités en grand nombre et transformés à partir des unités industrielles. C’est aussi valable pour l’élevage qu’il faut rendre intensif sans délai. Vous savez que, lorsque le cheptel fait plusieurs kilomètres à la recherche de pâturage, la qualité de la viande s’en fait ressentir. Or on aurait pu avoir de la viande de qualité exportable et du lait comme le font le Brésil et l’Argentine. Cela est très possible. Il suffit de bien former les jeunes dans ces filières et mettre les moyens qu’il faut. C’est la même chose pour le cuir qui peut servir à beaucoup de choses. Donc nous envisageons de mettre la région à niveau sur le plan industriel en nous appuyant sur ces produits. Pour la santé, le premier constat est le déficit de structures et le manque d’équipements de base. Ce qu’il faut corriger à tout prix. Aussi, du fait de l’éloignement des lieux d’habitation les uns des autres on a prévu l’instauration de la santé mobile et la densification des structures de santé de façon accélérée en insistant sur la prévention. Dans le domaine de l’éducation, on mettra l’accent sur l’apprentissage à partir des langues locales pour éviter aux élèves un double apprentissage à savoir la langue française d’abord puis la matière. Ceci, après avoir bien sûr comblé le gap de l’insuffisance des établissements scolaires mais également procédé à la révision du statut des enseignants religieux. Toujours dans ce domaine, il est prévu la construction de l’Université de Matam qui portera le nom de Cheikh Oumar Foutyou Tall ou de Thierno Souleymane Baal. S’agissant des femmes, à qui je rends un vibrant hommage pour leur bravoure, elles ne seront pas oubliées puisque nous envisageons de les regrouper en coopératives pour leur faire bénéficier de financements à partir de la «Banque des Femmes» selon des critères autres que politiques. Nous avons la même ambition pour le sport qui est traité en parent pauvre dans la région. Je pense que l’heure est arrivée pour Matam de pouvoir participer à toutes les compétitions nationales et cela ne sera possible qu’avec la construction d’infrastructures sportives modernes, suffisantes et diversifiées mais également de grands hôtels modernes. D’ailleurs cela permettra à la ville de Matam de déposer valablement sa candidature pour accueillir une poule au cas où le Sénégal organiserait la Coupe d’Afrique des Nations en 2027. Tout ceci corrélé avec l’exploitation des phosphates de la zone dans des conditions transparentes avec des retombées positives pour les populations va contribuer à la lutte contre la pauvreté et favoriser la relance de l’économie de la région.

 Amadou Ba a été finalement choisi comme candidat de la mouvance présidentielle à l’élection de février prochain. Pensez-vous qu’il soit le meilleur profil pour relever le défi?

Le seul défi c’est le changement. A ce niveau je ne crois pas que le candidat du Président Macky Sall puisse l’incarner. M. Amadou Ba n’est que la tenue de camouflage de M. Macky Sall. Voter pour lui c’est valider une troisième candidature vigoureusement contestée du Président or le pays aspire au changement. Je ne fais pas partie de ceux qui disent que le président Macky Sall n’a rien fait. On ne me prendrait même pas au sérieux. Mais le temps est venu de passer à un niveau supérieur et de régler les problèmes puisqu’il en existe quand même surtout en termes de bonne gouvernance et de renforcement de la démocratie. Les 1.000 milliards de francs du fonds Covid-19 sont là et on ne peut pas les passer sous silence. Nous avons aussi des milliers de jeunes en prison qu’il faut libérer. D’ailleurs, il faut que le candidat du Président nous dise ce qu’il compte faire puisque c’est lui, Amadou Ba, qui était Premier ministre lorsque des manifestations ont occasionné une vingtaine de morts reconnus par le gouvernement. Il y a également la condamnation de Ousmane Sonko que je considère illégale. Dès l’instant que le juge a rejeté les deux chefs d’accusation il aurait dû rentrer chez lui le même jour. M. Amadou Ba doit s’exprimer sur ces questions.

 Est-ce que c’est la raison pour laquelle vous l’avez invité à un débat public dès qu’il a été choisi par le président Macky Sall ou est-ce un défi ?

Non pas du tout. Je considère que la démocratie doit avancer. Nous devons arriver à un niveau où les populations doivent comprendre les enjeux. Sur ce rapport, elles ont besoin d’écouter les candidats pour se faire une idée de leurs programmes lorsqu’elles iront aux urnes. Nous devons rompre avec les choix basés sur les achats de consciences ou la distribution de l’argent à tout vent. Je ne cherche aucunement à le défier. N’oubliez pas qu’il était mon ministre quand j’étais chef du gouvernement! Lorsque j’étais tête de liste de BBY, il était mon second. Donc, je n’ai aucun intérêt à défier celui qui a toujours été derrière moi. Je l’invite simplement à un débat pour qu’il nous dise quelle est sa vision et les ruptures qu’il compte apporter par rapport à ce qui se fait. Je le répète : Amadou Ba président, vous aurez le même système de gouvernance. Ce n’est pas en faisant la Une des journaux au quotidien que le problème va se régler. Il faut que les candidats débattent. C’est cela la nouvelle culture politique qu’on doit amener. Et vous de la presse vous avez un rôle important à jouer. Vous devez nous aider à éclairer l’opinion sur nos offres programmatiques. Donc moi, Aminata Touré, je suis prête à débattre avec n’importe quel candidat.

Que pensez-vous des frustrations constatées dans le camp présidentiel après le choix porté sur Amadou Ba ?

Du temps de Wade, Amadou Ba avait causé beaucoup de problèmes à Abdoulaye Daouda Diallo comme fonctionnaire. Aly Ngouille Ndiaye était de Macky 2012 avant de rejoindre l’APR. Pendant tout ce temps, Amadou Ba n’était pas là. Donc, je comprends leurs frustrations. Mais ce ne sont pas tellement mes oignons. Moi, je me concentre sur ma candidature en allant vers les populations pour leur expliquer mon programme. Et je dois dire que j’ai constaté une aspiration fondamentale pour le changement.

A quelques mois de l’élection présidentielle avez-vous un message à lancer à l’opposition?

L’opposition doit mettre en place une plateforme pour des élections libres, transparentes et inclusives. Nous devons nous retrouver sans délai pour ensemble défendre la bonne tenue des élections. Qu’il n’y ait pas d’élimination de candidats et que ces élections soient bien contrôlées. Il faut aussi qu’on se batte pour la libération des détenus politiques. Le responsable de Mimi 2024 de Tambacounda a été arrêté devant chez lui. Voilà où est-ce que nous en sommes! Donc c’est un ensemble de tâches qui nous attend et auquel on doit s’atteler dès à présent.

Le Témoin