C’ est ce matin, jeudi 24 août 2023, que la grande famille des médias locaux entame sa séance d’exorcisme entre quatre murs à la Maison de la Presse Babacar Touré. On appelle cela des Assises. L’appellation prête à sourire, et donne le sentiment d’un couteau qui se retourne dans les plaies béantes des médias, quand on sait à quel point la presse est à terre.

En réalité, ce n’est pas que la presse qui se roule dans la poussière et étale ses limites et ses insuffisances depuis bien des années : c’est tout le pays qui s’effondre graduellement, et qui largue, valeur après valeur, les dernières armes morales qui sauvent en nous depuis si longtemps ce qui peut encore l’être. Les médias n’inventent rien, ils reflètent juste l’état de leur univers. Nous autres, Sénégalais, au fil des décennies, sommes devenus ces si médiocres gagne-petit à l’orgueil mal placé, friands de raccourcis, d’approximations et si enclins à subsister à grands renforts de veuleries et d’expédients… Question impie : peut-on vraiment sauver les médias ? Sommes-nous encore capables de leur insuffler du panache et de la superbe au cœur d’une société de misère morale et intellectuelle qui produit du fait divers comme vie politique et vous sert de l’obscurantisme en guise d’aventure spirituelle? Quand bien même de talentueux journalistes rempliraient les salles de rédaction, quelle sorte d’actualité pourraient-ils bien fournir à un public d’ignares, d’incultes et de paresseux de la comprenette ?

A part deux femmes voilées auxquelles leur turbulent mari manque follement après une vingtaine de jours d’absence, on a quoi d’autre qui parle à l’émotion de la faune des villes, des steppes et de la savane? A ma droite, un quarteron de leaders de l’opposition qui font un aller-retour jusque dans le rude Baol pour transporter en triomphe une boite de dattes, et un greffier à peine recruté et déjà en exil au Mali. En face, à ma gauche, ça ne vole pas vraiment plus haut : le peuple des épicuriens et de la courtisanerie retient son souffle dans l’attente que le président sortant daigne mettre fin au suspense de sa candidature par défaut préférée. Ce n’est pas le meilleur qu’on attend chez ces gens-là mais le moins mauvais à propos duquel on devra se résigner à lécher les bottes (et je suis poli !) en priant qu’elles ne soient pas trop crasses. C’est dire à quel point notre brûlante actualité est passionnément enrichissante…

Ne désespérons tout de même pas du genre humain : le Sénégal du foot se vautre depuis quelque temps sur le toit de l’Afrique, presque toutes catégories confondues, tandis que les “Lionnes” du basket ratent la dernière marche du sommet de la pyramide continentale mais se rattrapent dans le monde francophone. En effet, ça peut faire des gros titres quelques jours, quand le moral est au plus bas, pour fouetter le sentiment patriotique mis à mal ces dernières années. Assurément, la couverture de l’actualité est du niveau des influenceurs auxquels il suffit de diffuser une vidéo ou placarder une sulfureuse image sur leur mur des lamentations pour déclencher les ragots passionnés de nos cervelles sous-développées. Quand, en plus, ces braves lobbyistes de seconde zone ont le pouvoir ineffable de distiller des audios cochonnes, le peuple des mauvais coucheurs les adule, les vénère, se prosterne : ils fournissent l’indispensable nourriture médiatique à cette populace héroïque planquée derrière ses écrans et ses claviers, et qui se rassasie des grands débats de la place publique où l’on rivalise dans le scabreux art de ciseler des insanités. Certes, tout n’est pas triste : il y a Titi qui menace les cougars de son nouveau quartier de leur chiper Aladji Ass.

Ce truculent épisode pourrait déboucher sur des épousailles people ou un crime passionnel. Patience, la suite viendra… En attendant, on aurait pu compter sur quelque ânerie de Pawlish, nouvelambassadeuritinérant de Jamra - Sàm Djiko Yi, mais avec son nouveau train de vie, le p’tit prince du “Wakh’i dof” commence à manquer de sujets de son niveau. Quant aux métamorphoses d’Ouzin Keïta qui ne roule plus aucune barrique, elles ne choquent plus personne. En un mot comme en cent, ça va commencer à se tourner les pouces sérieusement dans les rédactions, jusqu’aux prochains faits divers électoraux. Dieu merci, nos Assises sont là pour noussauver del’ennui…

PAR IBOU FALL