NETTALI.COM - C’est parti pour les assises des médias qui seront lancées aujourd’hui jeudi à la Maison de la presse par la Coordination des associations de la presse (Cap). Conscients des manquements qui gangrènent la profession, les acteurs ont décidé de tenir ce conclave pour une meilleure prise en charge de leurs préoccupations.

Entre les coupures de signal, les emprisonnements de journalistes, les injures et les attentats contre des médias, la presse sénégalaise, prise entre mille feux, n’a jamais été aussi mal-en-point. Dans cet environnement hostile à tous points de vue, elle se bat pour sa survie, non sans se remettre en cause, à travers notamment l’organisation d’assises des médias, dont la cérémonie de lancement aura lieu aujourd’hui à la Maison de la Presse.

Pour le secrétaire général du Synpics, Bamba Kassé, cette rencontre vient à son heure. Il déclare : “Ces assises étaient une nécessité et il faut se réjouir qu’elles aient été initiées par les acteurs eux-mêmes. Ce sont les acteurs qui acceptent de se remettre en cause, de s’arrêter pour réfléchir sur le devenir de notre modèle. Elles arrivent dans un moment où le travail des médias est fortement remis en cause. Et ce n’est pas spécifique au Sénégal. Ne serait-ce que pour ces raisons, ces assises méritent d’être tenues et nous allons essayer d’adresser toutes les problématiques utiles pour le rayonnement des médias et de la démocratie.” À propos du modèle sénégalais, Bamba Kassé estime qu’il est nécessaire de se pencher sur ses insuffisances, ses obsolescences, sa viabilité, ainsi que le rôle qui doit être celui des médias dans la construction de la démocratie. Le modèle sénégalais, estime M. Kassé, est aujourd’hui dévoyé.

“On ne sait plus qui fait quoi dans ce modèle. Je pense que c’est la critique principale et elle entièrement fondée, à mon avis. Il y a beaucoup d’imposture dans les médias sénégalais. Imposture dans l’organisation même de l’entreprise sénégalaise de presse ; imposture du point de vue de la fonctionnalité des rédactions de presse ; imposture du point de vue de l’influence… Voilà autant de questions qui doivent être correctement prises en charge”, analyse le SG du Synpics, non sans s'interroger sur notre rapport avec l’information. “Est-ce que ce qu’on donne aux Sénégalais tous les jours c’est de l’information ? Ce sont des questions à se poser pour améliorer la qualité de nos contenus”. Aujourd’hui, selon les chiffres officiels, la presse sénégalaise compte 45 journaux enregistrés par le ministère, 28 chaînes de télévision, 50 radios commerciales et 200 communautaires. La plupart peinent à se conformer aux conditions minimales exigées par le Code de la presse pour toute entreprise.

Dans une contribution intitulée “La nouvelle racaille de la presse”, le journaliste Mbaye Sadikh faisait un diagnostic sans complaisance de certains maux qui gangrènent le secteur, où des médias naissent comme des champignons dans la méconnaissance totale des règles qui régissent le métier. “Au Sénégal, disait-il, pour enseigner à des étudiants en journalisme ce qu’il ne faut pas faire dans cette profession, pas besoin d’une longue charte sur l’éthique et la déontologie. Il suffit, selon lui, de leur montrer certains journaux. Entre attaques personnelles, connivence, manque de rigueur, l’absence d’équilibre, tout y passe. Dans cet article qui peint merveilleusement le paysage médiatique sénégalais, l’auteur démontre, exemples à l’appui, comment certains médias sont en train de foutre le bordel dans le métier pourtant si noble, sous le regard impuissant ou complice de tous les acteurs, aussi bien des médias que de l’État. Ce type de presse que Mbaye Sadikh considère comme la nouvelle forme de racaille est venue s’ajouter aux nombreux maux que traversait déjà la presse sénégalaise. Sur la caractéristique de cette racaille, il explique : “Ce sont ces ‘journaux’ nés à un an de la Présidentielle de 2024 et qui disparaîtront quelques mois, voire quelques semaines après l’élection… Ce qu’il faut préciser sur ces journaux, c’est qu’ils sont lancés par des journalistes qui n’ont généralement jamais occupé des responsabilités dans les médias. De plus, beaucoup d’entre eux n’ont pas d’ours, cette carte d’identité d’un journal qui renseigne sur le directeur de publication, les rédacteurs, les locaux, l’imprimerie... Et lorsque ces ours existent, un journaliste professionnel peut lire une vingtaine de noms de ces canards sans reconnaitre un seul confrère…” La vérité, selon Mbaye Sadikh, est qu’ils n’ont pas de rédaction. “À la limite, une seule personne peut écrire tous les textes. Si textes il y en a, car certains vous diront même que pour certains supports, il n’y a que la une, ni PDF, encore moins papier. Résultat : ils sont invisibles dans les kiosques et dans la rue. Malgré une intense circulation des PDF des journaux, ils ne sont jamais sur la liste, sinon rarement”, fustige M. Sadikh.

Il ajoute : “Avec ces médias, il n’y aura ni citoyen éclairé ni démocratie approfondie. Ils sont de véritables tueurs à gages et l’arme sera pliée une fois la cible disparue. Il suffit de regarder la une de ces canards pour s’en convaincre.” Pour la plupart de ces médias, informer le public est le cadet des soucis. L’important, c’est surtout de trouver celui ou celle qui va être à la une le lendemain. Dans une société où le paraitre a tendance à prendre le dessus sur l’essence, cette racaille d’un genre nouveau ne manque pas de clientèle. Ils sont, en effet, nombreux, hommes politiques comme hommes d’affaires ou membres de la société civile, à débourser pour paraitre à la une d’un journal, peu importe sa crédibilité. En vérité, le jeu en vaut peutêtre la chandelle parce que pour quelques sous, on peut voir sa photo en première page avec un énorme titre ; laquelle une sera largement partagée dans les réseaux sociaux, grâce à la revue des titres. Et tout le monde est satisfait. Le commanditaire a vu sa photo largement diffusée avec un bon commentaire ; le média s’en tire avec quelques sous, qui permettent de gagner son pain. Et quand on est assez bien introduit et un peu sérieux, on peut même espérer la signature d’une convention avec une société publique ou un ministère. Avec quelque chance, on peut même espérer sa part dans la répartition de l’aide à la presse au même titre que les entreprises avec des rédactions. Dans un tel contexte, difficile de ne pas essuyer des critiques d’un public qui ne connait pas grandchose à l’écosystème des médias, de même que des hommes politiques et acteurs de la société civile en quête de popularité. De l’avis du président de la Convention des jeunes reporters du Sénégal, il faut admettre que certaines critiques sont légitimes et justes.

Malheureusement, souvent, certains utilisent les dysfonctionnements dans le milieu de la presse pour émettre des critiques injustifiées. “Nous sommes preneurs de toutes les critiques. Quand on accepte d’être journaliste, on accepte de s’exposer. Nous ne saurions donc refuser les critiques. Malheureusement, il faut aussi le reconnaitre, si certaines de ces critiques sont justes, la plupart du temps, les journalistes sont accusés à tort. Certains veulent que nous épousions forcément les mêmes positions qu’eux, ce qui est impossible. Nous sommes là pour le public, pas pour des partis politiques. Ça doit être clair”, soutient Migui Marame Ndiaye, qui estime que de manière générale, la presse sénégalaise est assez responsable, malgré les difficultés et certaines dérives qui sont surtout l’œuvre de quelques intrus. Selon le président de la CJRS, il est temps de revenir aux fondamentaux du métier, et cela devra nécessairement passer par un assainissement du milieu, mais aussi par la formation des professionnels. Et c’est justement le but, entre autres objectifs, des assises. Par ailleurs, le président Migui a également insisté sur l’urgence de revoir les conditions de travail et la sécurité des jeunes reporters, en rendant effective la législation pertinente en matière de travail. “Il ne sert à rien de voter des lois si on n’est pas capable de les respecter. Nous espérons que des solutions seront définitivement trouvées pour lutter contre la précarité”, fulmine le journaliste à la RTS, qui appelle également de tous ses vœux la mise en place de la Haute autorité de régulation pour veiller au bon fonctionnement du secteur. “Ces assises, souligne-t-il, vont nous permettre de définir une vision globale à moyen et long terme, afin de faire du secteur de l’information et de la communication un levier important dans le processus de consolidation de la démocratie pour le renforcement des valeurs de paix et de solidarité”.

Revenant sur les critiques contre les médias et les journalistes, Bamba Kassé a souligné que les professionnels doivent éviter de tomber dans le piège de restreindre le travail des professionnels de l’information à la chose politique. “La presse n’a pas à être pro-pouvoir, elle n’a pas non plus à être pro-opposition. Elle est propublic, dans son acception la plus large, dans son acception la plus diverse. C’est ce public qui doit être notre seul baromètre. Vouloir restreindre la perception qu’on se fait des médias au simple ressenti des hommes politiques, c’est tomber dans le piège et il faut surtout l’éviter”.