CONTRIBUTION - On aurait pu se réjouir que l’actualité politico-judiciaire de notre pays ramène la République au cœur du débat public, tant il est légitime que l’on se retourne vers les fondamentaux lorsque nos certitudes vacillent. Et assurément, la République, en tant que mode organisationnel sur lequel nous avons « décidé » d’adosser notre vivre-ensemble, est un pilier fondamental. Mais c’était sans compter sur notre incroyable habilité à dépouiller toute chose de sa substance pour en faire un instrument d’assouvissement d’intérêts privés et partisans.

Depuis plusieurs semaines, on assiste à un ballet d’intellectuels, allant de simples anonymes, avec une petite notoriété sur les réseaux sociaux, aux plus grands trafiquants d’influence de ce pays, chargés de nous chanter le tube de la République en danger par le fait d’un seul homme et de son parti. Les décisions politiques intervenues ce lundi 31 juillet 2023, arrestation de Ousmane Sonko et dissolution de PASTEF, nous donnent à voir l’objectif que visait ce narratif.

L’exception sénégalaise comme règle

L’une des faiblesses du néo panafricanisme, outre les niaiseries habituelles sur la nécessité de s’unir, c’est de nier les identités qui se sont formées depuis les indépendances, voir même durant la période coloniale. Parmi celles-ci, il en est une qui me paraît bien sénégalaise : elle procède d’une forme d’autosatisfaction qui préjuge qu’en toute situation, il y aurait une exception sénégalaise. Ça n’aurait pas été pour me déplaire, mais hélas, ça ne correspond aucunement à la réalité.

Il en est ainsi de cette vague de contestations qui, partout dans le monde, remet en cause les institutions et leurs règles de fonctionnement. Elle est souvent l’œuvre de classes sociales laissées pour compte ou qui ne se sentent pas considérés par les règles en place. Elle trouve dans les réseaux sociaux et plus généralement dans l’anéantissement des distances par la technologie un puissant catalyseur, à la fois parce qu’ils organisent de manière inespérée la « convergence des luttes » mais aussi parce qu’ils sont une extraordinaire fabrique d’opinion avec tout ce que ça engendre comme dérives. Enfin, elle est souvent incarnée par des figures politiques de qui on exige avant tout, et peut-être même après tout, ne serait-ce que théoriquement, d’être l’exacte opposée de ceux qui incarnent l’autorité actuelle. Ils seront populistes, nationalistes, fascistes pour les uns ; révolutionnaires, anti systèmes, espoirs de redistribution des cartes pour les autres. Deux manières de voir pas aussi disjoints qu’il n’y parait. Seule la perspective et la temporalité les séparent parfois.

Cette vague, qui a frappé dans la péninsule arabique, aux Etats Unis, en Amérique du Sud, en Europe et plusieurs fois sur le continent africain, d’aucuns voudraient nous faire croire que, tel le fameux nuage de Tchernobyl, se serait arrêtée aux frontières du Sénégal. Et pour nous en convaincre, ils préfèrent réécrire une partie de l’histoire, les conséquences, ignorant naïvement ou malhonnêtement les causes de tout ceci.

Voici donc débarquant sur tous les médias mainstream, y compris ceux pilotés par des journalistes autrefois connus pour leur rôle de défenseurs des libertés - rétrospectivement, des leurs surtout – la bande à Yoro Dia nous expliquant que la République du Sénégal serait en danger du fait des agissements d'Ousmane Sonko et des siens. Ses ouailles, biberonnées aux méthodes de la gauche française colonialiste, renchérissent avec les accusations de fascisme, un anathème parmi d’autres qui vise avant tout à discréditer son adversaire ou à tout le moins, l’obliger à passer son temps à s’en défendre. C’est une méthode connue et usitée qui gangrène désormais le débat public avec son lot de qualificatif qui emprunte au kyste plus que la rime : fasciste, sexiste, raciste, machiste, populiste … Etc. De quoi occuper tous les cancérologues du monde sur plusieurs décennies.

La République ou l’arrêt public ?

C’est une bien curieuse façon de défendre la République que de fermer les yeux sur ses renoncements, sur les atteintes aux libertés, sur les violences institutionnelles, sur l’adoubement de milices privées… Etc. Nous avons eu droit à des plaidoyers hollywoodiens suppliant le président de la République de tenir parce que nous étions au bord du précipice sans un traître mot sur toutes ces situations où à minima les droits d’individus ont été bafoués.

Il est vrai nous avons frôlé le K.O. et continuons de flirter dangereusement avec. Mais contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, ce qui menace la République ce ne sont pas ceux qui, dans le sillage de ce qui se fait ailleurs, ont le souhait légitime, souvent utopiste et parfois outrageux de remettre en cause la manière dont nos institutions sont incarnées. Les vrais coupables sont à chercher du côté de ceux qui considèrent que la République est un jeu de rôle dans lequel tout est acceptable dès lors que cela émane de l’autorité. Et parmi ceux-ci une frange encore plus perverse qui considère la République comme un paravent pour préserver les [dés]équilibres sociaux qui leur sont largement profitables. Les ennemis de la République ne sont pas ceux qui la contestent, mais ceux qui la dressent injustement contre une partie non-négligeable du peuple.

Assurément, la République reconnaîtra les siens ! Ceux-là qui l’acceptent comme mode d’organisation de notre démocratie, qu’ils se satisfassent de ses imperfections ou non, qu’ils souhaitent contester ses incarnations ou pas. Si tant est qu’elle est ce qu’elle doit être, il va de soi qu’elle n’aura aucunement besoin de défenseurs opportunistes. Mais pour cela, il lui faudra répondre, en toute intégrité, de son épithète principale. Car oui, notre république se dit avant tout démocratique. Et la démocratie ne s’accommode ni de l’autoritarisme, ni des dérives liberticides, y compris au nom des combats les plus légitimes. Bien au contraire. L’honneur d’une République démocratique est de ne pas transiger, quelle que soit la situation, sur ses principes notamment de libertés et de justice. Celle de ceux qui prétendent la défendre et de la jauger à l’aune de ces principes et non de leurs intérêts privés et autres conflits personnels. Les principes nous coûtent. C’est en cela qu’ils ont de la valeur.