NETTALI.COM - Qui aurait pu prédire un tel niveau de confusion et de désordre au Sénégal ? Le spectacle qui se donne à lire, est tout simplement ahurissant. Plus rien n’est sacré et important. Tout est chahuté. Aucun pan de la société n’est épargné, pas même les autorités religieuses ! La vérité est qu’un tel niveau d’affrontement, de mémoire de Sénégalais, n’a jamais existé sous nos cieux. Pas même entre le père Wade et le fils Macky Sall, convoqué à l’époque à la Sûreté urbaine pour un supposé blanchiment de capitaux. Idrissa Seck a été certes emprisonné dans le cadre des chantiers de Thiès, mais à l’arrivée, lui et Me Wade, son père spirituel, avaient réussi à se reconnecter.

Les relations heurtées entre Me Abdoulaye Wade et Idrissa Seck d’une part, Me Wade et Macky Sall d’autre part, n’avaient pas connu un tel niveau d’hostilités. La vérité est que le pape du Sopi savait être “gaindé” (lion) et lièvre “leuk” à la fois. Il avait aussi cette capacité de manier les bonnes vertus de la discussion et laissait toujours une ouverture pour désamorcer la « bombe » avant qu’elle n’éclate, au prix souvent de sa crédibilité politique. C’est cette posture qu’il partageait avec des hommes à l’intégrité reconnue, tels Maguette Thiam, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, etc. et qui a rendu possibles les différents gouvernements d’union que le Sénégal a connus dans les années 90 et 2000. C’est aussi cela la différence fondamentale entre le “Bleu en chef”’ de la période des braises et les nouveaux caïds de la pègre politique.

Les jeunes d’aujourd’hui sont rebelles et cela peut se comprendre aisément. Qui ne l’était pas à la même époque et à leur âge ? Qui se rappelle de son niveau de maturité lorsqu’il fut jeune et de la facilité avec laquelle, il pouvait se faire manipuler à l’appât de lendemains meilleurs ?

Changement d’époque, changement de réalité. Avec Internet et les réseaux sociaux, dans un monde où l’information circule à une vitesse grand V et se partage dans des flux ininterrompus, incontrôlables, souvent sans filtre, ni recul, le risque de manipulations est devenu très grand avec le cortège de fake news. Les conséquences des actes posés, sont difficiles à appréhender.

Dans un passé récent, les jeunes intégraient le monde de la politique par le biais des partis politiques et subissaient des formations en tant que militants avec une certaine discipline de parti. Tout cela n’est plus de mise aujourd’hui. Ceux-là se contentent désormais d’exprimer leur ras le bol, peu importe la manière et les moyens. Ils sont fougueux et le paradigme musculaire semble avoir pris le dessus sur tout le reste.

Depuis en effet qu’a été inaugurée l’ère du dégagisme, le phénomène semble être allé en s’amplifiant. L’on ne se préoccupe plus vraiment de savoir qui pour succéder à celui qu’on veut voir plier bagage. L’on dégomme juste pour mettre l’homme politique du moment, vu en messie, sans pour autant prendre la peine de voir qui il est réellement, quel est son niveau de moralité et ses réseaux d’amis, sans oublier son entourage. S’il en est ainsi, c’est parce que nos candidats à la magistrature suprême se présentent devant les électeurs avec des jeux de masques si corsés qu’on les prendrait pour de doux agneaux. Cette règle est d’ailleurs vraie sous nos tropiques comme ailleurs.

Mais une fois installé au trône, voilà que les masques tombent un à un, pour montrer souvent un visage bien loin de la première perception que nous en avions. Le président Macky Sall lui-même était perçu comme un « doux » d’entre les « doux », sans main de fer. Nous savons aujourd’hui que malgré certaines qualités réelles, il sait être redoutable et impitoyable. Les citoyens doivent savoir que les politiques ne leur disent pas tout. Et qu’ils oublient bien souvent de signaler à leurs « militants bien aimés » qu’ils ont un tel homme d’affaires comme ami qui finance en catimini leur campagne et qui est calculateur et futé pour se faire rembourser ensuite en marchés sonnants et trébuchants, après l’élection.

Il est tout aussi vrai, qu’au-delà des masques qui finissent par tomber, ceux qui sont au pouvoir, finissent par révéler au grand jour leurs limites, l’usure dans l’exercice du pouvoir et un plafonnement dans une gestion du pouvoir à leur guise, à un point tel que la seule option pour ceux qui veulent les voir partir, c’est de se débarrasser d’eux. Par n’importe quel moyen. A n’importe quel prix. Ceci explique donc cela.

Donc l’on comprend bien que les postures actuelles et même passées, puissent sans nul doute trouver leur essence dans l’affaissement du niveau des politiques (comme des autres secteurs d’ailleurs de la vie nationale) au point que le seul génie déployé, est de type musculaire. C’est une sorte de carence qu’on cherche à camoufler avec la poussière de la meute.

La vitrine démocratique sénégalaise a éclaté depuis belle lurette. En mille morceaux d’ailleurs. Mais était-elle aussi solide qu’on le pense ? Une démocratie ne peut en réalité nullement se suffire d’élections qui se déroulent tous les 7 ans voire 5 ans. Une démocratie, ce sont à la fois une séparation des pouvoirs dans laquelle chacun d’entre eux peut arrêter l’autre, en étant indépendant l’un de l’autre, sans toutefois exclure une collaboration. Une démocratie, ce sont aussi des partis politiques légalement constitués et financés suivant un système de financement transparent, contrôlé mais dans un système partisan où ceux qui aspirent à récolter les suffrages des citoyens sont suffisamment représentatifs parce qu’ils auront obtenu un pourcentage critique (5% par exemple) lors d’élections passées afin de ne pas encombrer les prétendants sérieux. Un tel système aurait par exemple pu permettre d’éviter la multitude de partis et ce système de parrainage si décrié. Être démocrate aussi, c’est aussi être respectueux des institutions. Et bien d’autres critères à remplir.

L’équation des candidatures, la cause de tous les problèmes

Hormis les candidatures de Macky Sall, Khalifa Sall et Karim Wade qui suscitent des interrogations, celle d’Ousmane Sonko, même si elle n’est pas pour l’heure compromise, est celle qui est la cause de tout ce brouhaha et cette division sans précédent de la société sénégalaise. En effet dans les dossiers judiciaires d’Ousmane Sonko, ce derniers, ses partisans et une partie de l’opinion voit une main politique. Les précédents Khalifa Sall et Karim Wade qui ont été les seuls à finir en prison dans un lot d’autres acteurs politiques épinglés dans des rapports, ont fini de créer une jurisprudence qui, aujourd’hui, entraîne toutes sortes de suspicions qui accréditent une certaine thèse visant à écarter des adversaires politiques. Et le pire, c’est qu’au regard du niveau de pourrissement dans le traitement de ce dossier de viol, il devient de plus en difficile de faire croire à une opinion aussi divisée, en une justice qui serait là en simple redresseuse de tort. Et même dans l’affaire Mame Mbaye Niang, malgré le lapsus reconnu par Sonko, une partie de l’opinion est en désaccord pour une condamnation qui rendrait inéligible le candidat Sonko.

Dans le même temps, dans le camp du pouvoir, les arguments les mieux partagés, sont ceux qui vont dans le sens de se demander s’il faut, sous le prétexte qu’Ousmane Sonko serait un candidat populaire, il faudrait faire fi des plaintes d’autres justiciables. C’est la question que se posait Karim Kofana, ministre du commerce et porte-parole du gouvernement à « Grand Jury » de la RFM de ce dimanche 19 février.

En effet, une condamnation même à 3 mois avec sursis, devenue définitive dans le cadre du procès en diffamation, rendrait le leader de Pastef inéligible.

L’équation de l’inéligibilité

Une question d’inéligibilité d’ailleurs soulevée à l’émission « L’air du temps » sur I-Radio de ce même dimanche 19 février et au cours de laquelle, la socio-anthropologue Anne de l’Université Assane Seck évoquait une loi héritée de la France et qui a évolué dans le cas de sanctions pénales.
En France, la question qui s’est posée, était de savoir si le législateur peut prévoir de rendre inéligible les personnes condamnées pour certains faits précis de façon automatique, par exemple des manquements au devoir de probité (corruption passive, prise illégale d’intérêts, concussion…) ou des faits de provocation à la haine raciale.

La réponse était positive de 1964 à 2010, puisque le Code électoral prévoyait certaines inégalités de la sorte. De 1995 à 2010, son article L. 7 interdisait par exemple d’inscrire sur les listes électorales les personnes coupables de concussion, corruption, trafic d’influence, favoritisme, prise illégale d’intérêts, détournement de biens, intimidation contre les personnes exerçant une fonction publique, ou de recel d’une de ces infractions.

Cette conception des choses a toutefois été remise en cause en 2010 par une décision du juge constitutionnel, sous l’effet conjugué des aspirations des citoyens à être davantage associés à la prise de décision publique et, peut-être surtout, de la dénonciation par les élus de l’excessive judiciarisation de la vie publique.
Mais dire que la loi ne peut plus prévoir d’inéligibilité automatique à la suite de certaines condamnations, ne veut pas dire que toute inéligibilité est impossible en matière pénale. L’article 131 – 26 2è du code pénal permet en effet au juge de faire de l’inéligibilité une peine complémentaire. Sa durée ne peut alors en principe excéder dix ans en cas de condamnation pour crime et cinq ans en cas de condamnation pour délit.

Par exception, l’article 131-26-1 permet au juge de porter cette peine d’inéligibilité à « dix ans au plus à l’encontre d’une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits ». L’article 131-26-2 du code pénal impose en outre « le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité » à l’encontre de toute personne coupable de délits de violence, discrimination, escroqueries, terrorisme, manquements au devoir de probité, fraudes électorales, etc.

Cette solution est constitutionnelle puisque l’article précise que « la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine prévue […], en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».

Ces dispositions posent ainsi la question de savoir, qui du juge ou du corps électoral doit arbitrer les qualités des personnes se présentant ou voulant se présenter à une élection politique au niveau national (ou même local).

En 2004, un ancien premier ministre avait été condamné à un an d’inéligibilité en appel contre 10 en première instance. Tandis que les juges du premier degré avaient implicitement estimé qu’il leur revenait de s’opposer à la candidature (que chacun pensait probable à l’époque) de l’intéressé à l’élection présidentielle de 2007 en procédant à une application mécanique de la loi, les juges d’appel avaient, eux, tout aussi implicitement considéré que la décision de l’élire ou non devait revenir aux électeurs.

Les hostilités ont débuté

Aujourd’hui, les procès se succèdent pour Ousmane Sonko. Si celui en diffamation initié par le ministre du tourisme Mame Mbaye Niang suit son cours, il a pour l’instant subi deux renvois ; quant à celui pour viol dans lequel, le leader de Pastef est renvoyé devant la chambre criminelle, il avait attaqué devant la chambre d’accusation de la cour d’Appel avant d’être finalement rejeté.

Les avocats d’Ousmane Sonko ont pour l’heure décidé d’user de batailles de procédures et jouer la montre en faisant un recours au niveau de la Cour suprême. Mais pendant ce temps Ousmane Sonko fait feu de tout bois et s’active sur le terrain politique dans un face à face électrique avec le camp du pouvoir. C’est désormais du œil pour œil, dent pour dent, entre Ousmane Sonko et le camp du pouvoir qui ne veut plus voir ce dernier en roue libre, au cœur de la république. Ce sont en effet une course-poursuite sans fin et une surenchère verbale sans précédent qui ont lieu. Ousmane Sonko organise un rassemblement énorme à Keur Massar, le pouvoir riposte par un meeting monstre à Pikine, plus précisément à Jeedah Thiaroye Kaw. Lors du conseil des ministres décentralisé à Thiès, Macky Sall fait une démonstration de force en mobilisant toute la région et en multipliant les inaugurations jusqu’à Mbour et Tivaouane. Il fait un détour par Saint-Louis et s’offre un bain de foule à Bango, l’un des fiefs de Mansour Faye, sur le chemin du lancement du Centenaire du Prytanée qu’il présidait.

Réponse du berger à la bergère, Ousmane Sonko, après avoir prié à Touba, suite à l’interdiction d’un rassemblement à Mbacké, brave l’interdit. La ville de Mbacké est pris d’assaut, des stations d’essence sont saccagées et des commerces pillés. Des manifestants sont arrêtés. Bref on est en plein dans la confrontation.

La suite, on la connaît. Les autorités religieuses de Touba, par la voix de Serigne Abdou Khadre s’en mêlent et déplorent les événements de Mbacké tout en promettant de ne plus voir se reproduire une telle défiance. Le marabout se retrouve lui-même attaqué dans un contexte où des voix se sont élevées pour dénoncer une volonté de discréditer les chefs religieux. Bref on nage en plein délire.

Jeudi 16 février, sur le chemin du retour de son procès pour diffamation, Ousmane Sonko se voit extirper de son véhicule avant d’être embarqué dans un fourgon en direction de son domicile. La vitre de son véhicule est cassée. Le pouvoir n’entend plus le laisser drainer des mouvements de foule dont les conséquences pourraient être imprévisibles. Ce qui était arrivé en mars sur la route du tribunal, suite à l’arrestation d’Ousmane Sonko, le camp du pouvoir ne veut plus le voir se reproduire.

Le président de la République, Macky Sall, s’est en tout cas voulu clair : l'Etat ne va pas faiblir dans sa mission de maintien de la paix.
Ousmane Sonko non plus n’entend pas se laisser faire et campe sur ses positions quant à sa motivation à ne pas finir comme d’autres. Et ses actes démontrent chaque jour à souhait qu’il ne se laissera pas abattre sans combattre. « S’il ne fait pas attention ou il s’entête ou touche un membre de cette coalition, le peuple va le sortir du palais et le trainer dehors dans la rue, comme les autres dictateurs des autres pays. Qu’il sache raison garder”, a déclaré Sonko lors de la célébration des 25 du Pur.

Une situation de crispations et de confrontation qui ne laisse en tout cas présager rien de bon. Surtout que des slogans assez virils se multiplient pour traduire la confrontation qui n’est pas prête de faiblir. Entre Gatsa Gatsa, T… Sa G… et Thiaw sa Khiir, la violence est en train tout simplement d’être banalisée !!!!