CONTRIBUTION - Arrestations intempestives, injures, appels à la violence, menaces, défiance à l’endroit des institutions, et bien d’autres fléaux – tous imbriqués les uns aux autres - sont devenus la règle dans le champ politique sénégalais. La société se fracture. Le débat d’idées cède la place à une rigide animosité entre factions.

Ce tableau sombre n’est pas nouveau : la surenchère et les dérives sont indissociables de l’histoire politique du Sénégal. En revanche, ce qui inquiète, c’est la proportion sans précédent qu’a prise la perte de confiance de beaucoup de citoyens à l’égard du système judiciaire. Banaliser un tel état de fait serait une option dangereuse puisque nier l’existence d’un problème, c’est refuser de lui trouver une solution.

On ne répétera jamais assez que la manière avec laquelle le dossier Karim Wade avait été géré, les accusations à la base de l’emprisonnement de Khalifa Sall suite à sa décision d’être candidat à la présidentielle de 2019, la vague d’arrestations actuelle de membres de l’opposition et de la société civile, sont tant de facteurs qui parasitent le jeu politique en cours. D’autant plus qu’au même moment des sympathisants du camp du pouvoir, soupçonnés d’être coupables d’infractions, ne sont pas inquiétés ou bénéficient facilement de liberté provisoire. Tout au moins, ce sont là des perceptions largement partagées.

Si on ajoute à cela des signaux qui indiquent une probabilité de candidature du Président Macky Sall en 2024, on se rend compte que le ras du vase est en passe d’être dépassé. Les thèses des tenants du pouvoir pour justifier cette candidature éventuelle sont choquantes et relèvent de l’arrogance, voire du parjure, notamment lorsque l’actuel Ministre de la Justice, légisticien de la réforme constitutionnelle de 2016, s’y met. En effet, le pacte de 2016, au cœur de la campagne de Benno Bokk Yakaar pour le Oui au référendum, disait clairement que le Chef de l’Etat ne pouvait nullement être candidat en 2024 s’il était réélu en 2019. Le concerné lui-même l’a dit aussi bien en français qu’en wolof. Dès lors, chercher des subterfuges juridiques, parler de Conseil constitutionnel ou encore invoquer le souhait de la base, sont autant de justifications inacceptables.

La jeunesse sénégalaise a besoin de repères, de modèles d’intégrité morale. Elle est en droit d’attendre le bon exemple du « premier des Sénégalais ». Et est-il besoin de rappeler que l’arbitraire engendre la révolte ?

Monsieur le Président, dites fermement aux flagorneurs qui veulent vous engager dans une voie qui va salir la « page de votre histoire » que vous n’enverrez aucun dossier de candidature au Conseil constitutionnel en 2024. C’est ce que vous aviez promis aux Sénégalais en 2016. La décision est avant tout la vôtre. Nul ne devrait pouvoir vous obliger à faire ce que vous n’avez pas envie de faire, car j’ose espérer que votre engagement de 2016 était sincère. Il y va de votre crédibilité, de la quiétude du pays et du legs que vous allez laisser à la postérité.

Quant à ce qu’il est convenu d’appeler l’« Affaire Sweet Beauté », l’on comprend parfaitement la ligne de défense adoptée par Ousmane Sonko et ses partisans, en tenant compte de tout ce qui a été rappelé plus haut. Toutefois, aucune personne de bonne foi ne peut nier que seuls les deux protagonistes savent réellement ce qui s’est passé au salon de massage. Certes, si on se fie à ce que les uns et les autres ont exhibé sur la place publique, les incohérences les plus frappantes sont du côté de Adji Sarr. Mais cela est-il une raison suffisante pour exiger d’un juge d’instruction, qui en sait sans doute plus que beaucoup d’entre nous, de rendre un non-lieu ? Le Sénégal a-t-il atteint le niveau désespérant où la rue rend les verdicts ? L’histoire a montré plusieurs fois que le manque de perspicacité d’une partie prenante d’un procès a été à la base d’erreurs judiciaires. L’intime conviction de citoyens autres que le juge ne saurait ni condamner ni acquitter un justiciable, sous peine d’installer l’anarchie, au sens le plus négatif de la doctrine.

Si l’objectif de Sonko était d’alerter, en vue d’un procès équitable, il a eu raison de le faire et l’objectif a été atteint. En revanche, il créerait un précédent dangereux s’il mettait à exécution son refus de comparaître. Adji Sarr aussi a des droits. Et le juge sait désormais que l’opinion suit et attend des conclusions claires et convaincantes.

Ce dossier a déjà versé trop de sang : quatorze jeunes Sénégalais y ont laissé la vie. Et le plus choquant est que ce drame semble être rangé aux oubliettes des faits divers. On n’en parle plus ou très peu. A-t-on le droit de sacrifier d’autres enfants de ce pays – souvent issus des milieux défavorisés -, au nom du maintien ou de la conquête du pouvoir ?

Nul n’a le droit de faire basculer ce pays dans la violence.

Dr Diom Wouro Bâ