NETTALI.COM - Il a encore beaucoup de chemin à parcourir, le pays de Senghor avant de véritablement être élevé au rang de démocratie majeure. L’affaire de cumul de mandats de Birame Soulèye Diop vient de nous prouver à quel point la démocratie sénégalaise recule ; mais également que la démocratie au sein des partis politiques ne se porte pas mieux.  

La sortie de l’administrateur de Pastef sur le cumul de mandat dont il bénéficie, est tout simplement malheureuse. En atteste la levée de boucliers qui l’a suivie sur les réseaux sociaux. Birame Soulèye aurait pu, à dire vrai, épargner une telle sortie de route, au jeune parti en construction qu’est le Pastef. Surtout à un moment où son président Ousmane n’a pas encore fini de débattre dans ses ennuis judiciaires dans le cadre de l’affaire de supposé viol l’opposant à Adji Sarr.

Numéro 2 et administrateur du parti, il est devenu maire et député, à la faveur des élections et du vote des militants, sympathisants et autres sénégalais favorables à la coalition YAW et l’inter coalition formée avec Wallu. Mais le hic est que Diop n’accepte pas une quelconque pression venant d’une bonne partie de ceux-là qui ont voté pour lui et qui lui enjoignent de lâcher un de ses mandats. Sa posture et même la réponse qu’il sert, sont révélatrices d’une volonté manifeste de rétropédalage alors qu’il s’était déjà inscrit dans une logique de lâcher un de ses deux mandats. En tout cas suivant l’accord interne au parti sur le sujet.

Interpellé sur le sujet, celui-ci s'est emporté dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, estimant qu'il n'y a pas au Sénégal une loi qui interdit le cumul de mandats. Diop ne s’en est pas limité là puisqu’il a aussi précisé que les statuts du Pastef qui datent de 2014, ne parlent pas de cumul de mandats. L’administrateur du Pastef est même d’avis que les textes déposés en 2017, puis 2022, n’interdisent pas d'être maire et député.".

Mais là où le peuple de Pastef ne le suit plus, c’est lorsqu’il dérape : "Ce n'est pas parce que les gens sont sur les réseaux sociaux à dire que je dois démissionner que je vais le faire. Quand je menais campagne auprès des populations de Thiès-Nord, personne n'est venu nous aider. Ceux qui sont sur les réseaux sociaux, n'ont pas voté. Le moment venu, nous ferons notre choix." "Personne, je répète bien, personne ne nous imposera un choix. Le moment venu, je ferai mon choix et j'informerai qui de droit. Mais personne ne nous imposera une quelconque règle à suivre.", a conclu celui-ci visiblement inscrit dans une logique de bras de fer.

Tout ce qu'il ne fallait pas dire aux yeux de certains qui ont décidé de se payer du Birame Soulèye, jugé non seulement « arrogant » mais en plus « irrespectueux ». Il a affiché du mépris aux gens des réseaux, et ceux-là ont décidé de lui faire sa fête dans ce lieu assimilable à la rue, où tout et n’importe et quoi peut sortir sans contrôle aucun.

Très en verve, militants, sympathisants et internautes libres veulent laver l’affront. Aussi, ce sont des commentaires tous azimuts qui ont fusé de partout. Des plus moralisateurs aux plus acerbes et même insultants.

Une impression de rétropédalage que beaucoup ont du mal à accepter puisque l’interdiction de cumul des mandats semble être élevé au rang de principe auquel nul ne devrait déroger. Fût-il même numéro 2 du parti ! L’hostilité vis-à-vis du leader, est à son comble et certains demandent même qu’il présente ses excuses.

Il faut toutefois dire que la question du cumul des mandats, donne du grain à moudre à Ousmane Sonko et son parti. Le Pastef peine en effet à trancher le débat depuis l'installation de la 14e législature. Dans cette nouvelle Assemblée, deux éminents membres de Pastef (Birame Soulèye Diop et Cheikh Aliou Bèye) cumulent les mandats de maire et de député. Ce que beaucoup de militants n'entendent pas laisser passer. Certains ne cessent d'ailleurs d'interpeller Ousmane Sonko qui en avait fait une promesse de campagne lors de la présidentielle de 2019.

Tout ceci montre en réalité qu’une nouvelle ère est en train de s’ouvrir et que les jeunes qui militent et soutiennent Pastef, sont en quête de changement et de rupture dans un environnement sénégalais où la démocratie partisane fait cruellement défaut. Ils veulent s’éloigner des pratiques en cours dans les partis connus que sont ceux de Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Abdoulaye Wade, Rewmi et même de  Macky Sall qui s’est montré intraitable avec ceux-là qui ont voulu aller à l’encontre de sa candidature au sein de l’APR. La nouvelle génération veut ainsi, avec cette affaire, mettre fin à cette forme de politique politicienne qui n’accorde pas de la sacralité à la parole donnée et aux promesses. Elle ne veut plus se comporter en fan’s club ou fanatiques avec des chefs qui imposent leur volonté et décident de manière unilatérale, sans toutefois consulter leur base.

Cette levée de boucliers est sans aucun doute le signal d’une volonté de changement de paradigmes. Comment peut-on vouloir combattre Macky Sall qui a promis tant de choses qu’il n’a pas respectées et poser des actes similaires ? Bon nombre de slogans et de déclarations du président Sall sont aujourd’hui rangés dans les placards à cafards. « la gestion sobre et vertueuse », « la partie avant le parti », la question du 3ème, la Crei, notamment.

Difficile d’ailleurs de comprendre comment cumuler entre ses mains, à la fois un poste de député et de maire, et vouloir être efficace dans l’exercice d’une des fonctions ? Seulement à la condition de ne pas exercer sérieusement l’une d’elles. Il semble d’ailleurs que la fonction de maire soit si ardue pour une ville frondeuse comme Thiès, qu’elle exige que son édile se dévoue corps et âme à son service. Ville très politique et convoitée, elle peut basculer du jour au lendemain. Une raison supplémentaire pour davantage de concentration dans la gestion de sa commune.

Au-delà, le possible suppléant de Birame Soulèye Diop, Amadou Ba, est diplômé en droit et peut bel et bien le remplacer à l’hémicycle. Très actif sur le terrain du droit, il est un habitué des plateaux et des joutes verbales et peut parfaitement tenir la dragée haute dans ce lieu de débats qu’est l’’hémicycle. Il peut de même fortement contribuer à l’évolution de nos textes de lois.

Birame Soulèye est passé à côté en posant un acte boulimique, un acte d’accaparement ainsi qu’un manque notoire d’humilité en faisant preuve d’une grande arrogance et suffisance. Il ne se rend certainement pas compte que c’est parce qu’il y a eu des militants, sympathisants et d’autres Sénégalais que la coalition Yeewi askan wi a pu percer et être au niveau où il est, au point même de pouvoir être au coude à coude avec la coalition Benno à l’assemblée nationale.  Sa posture ne révèle en réalité, au grand jour, que sa vraie nature.

Birame Soulèye ne représente pas heureusement tout le Pastef. Mais aux yeux d’une certaine opinion, il plombe d’une certaine manière l’image du parti, tant le moment pour poser des actes d’une telle nature, est mal choisi. Que les militants et sympathisants se soient levés comme un seul homme pour dire non au cumul des mandats, est un acte de liberté, de rupture  et de démocrate à saluer. Comme quoi quand les militants luttent pour l’érection d’une démocratie partisane, c’est tout à leur honneur et celui de la démocratie aussi. Car les partis politiques sont les premiers jalons à démocratiser avant d’arriver à une vraie démocratie.

La liberté de la presse : l’autre épine dans le pied de la démocratie sénégalaise

Une autre affaire a toutefois eu lieu avant l’affaire Birame Soulèye. Elle est en réalité partout car elle fait tâche au cœur de la république et de la démocratie sénégalaise.  Elle obscurcit même le tableau de la liberté de la presse qui bénéficiait jusqu’ici, d’un grand boulevard d’euphorie, avant que le placement sous mandat de dépôt du journaliste Pape Alé Niang, ne vienne interrompre le cycle de l’accalmie. Macky Sall avait pourtant fait savoir en octobre 2015 sur une chaîne de télévision française qu’ « on ne verrait jamais durant sa gouvernance », « un journaliste mis en prison pour délit de presse », ajoutant que « les journalistes n’ont aucun risque au Sénégal. ». Il avait même conclu pas un « Ça, je le dis très clairement et je ne serai pas démenti. » Ah les politiciens et leurs déclarations !

La vérité est qu’à chaque fois que l’on pense avoir franchi des caps démocratiques, l’on sombre à nouveau dans la rétrogradation. Comme qui dirait, faire deux pas en avant et vingt pas en arrière.

La mobilisation en vue de la libération du journaliste ne faiblit pas, même si les autorités gouvernementales restent sourdes aux nombreux appels à la libération immédiate et sans condition du journaliste. Et ce, malgré l’internationalisation du combat. Des organisations, telles que Reporters sans frontières, le Réseau ouest-africain des défenseurs des droits humains (ROADDH) s’en sont mêlées. Et la dernière à rejoindre le combat, c’est le Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Depuis New York, la coordinatrice du programme Afrique, Angela Quintal a demandé aux autorités « d’abandonner toutes les charges retenues contre le journaliste » et de lui «  permettre d’exercer son métier librement, sans futur harcèlement et réformer les lois du pays pour s’assurer que les actes de journalisme ne sont pas criminalisés. ».

Le comité, selon Momar Diongue qui s’exprimait à la Maison de la presse, s’est engagé à inscrire le Sénégal sur la « liste rouge » des pays où les journalistes sont malmenés et/ou sont en danger » d’ici le 1er décembre 2022, si cette libération n’est pas effective.

Vendredi 18 novembre, c’est une grande mobilisation qui a été organisée en vue de la libération du journaliste.

Alors que le combat s’internationalisait, le ministre du Commerce, porte-parole du gouvernement, avait sur la chaîne française TV5, tenté d’atténuer la portée de l’offensive de la CAP dans le combat en faveur de la libération du journaliste. Karim Fofana estimait en effet qu’accuser « des personnes à tort, diffuser de fausses nouvelles et des documents classés « Secret défense », cela ne se fait pas. Dans la profession du journaliste, c’est ce qu’on appelle « démarquer l’information », faisant remarquer qu’il est inconcevable, dans une République, de prendre un document officiel, classé « Secret défense », de le mettre sur la place publique ou encore tenter de saper le moral des troupes militaires. »

Mais auparavant, c’est le ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique, Moussa Bocar Thiam, qui s’était prononcé sur la divulgation d’un contrat douteux estampillé « Secret défense » entre le ministère de l’Environnement et un trafiquant d’armes, pour menacer les auteurs.

Difficile en effet de croire que ce ministre puisse encore continuer à insister sur un « secret défense» qui n’existe que dans sa tête. Le texte en question ne prévoit en réalité d’exceptions pour la passation de marchés publics que pour le ministère de l’Intérieur et le ministère des Forces armées.

Le pire est qu’après les accusations de la journaliste de la chaine francophone TV5, plutôt que d’ouvrir une enquête, le gouvernement s’est empressé de démentir l’info sans arriver à convaincre. Résultat des courses, celle-ci avait balancé d’autres accusations plus graves d’une gigantesque surfacturation. C’est certainement pour éteindre ce départ d’incendie en train de se propager que le ministre et porte-parole du Gouvernement était monté au créneau pour exercer un droit de réponse.

A entendre Karim Fofana débiter ses vérités auxquelles il est le seul à croire, l’on se demande quand est-ce que nos gouvernants auront, ne serait-ce qu’un peu de respect pour leurs administrés. User de la politique de l’autruche, c’est le jeu auquel se livrent quotidiennement nos gouvernants dans pareils cas. Et plus le temps passe, plus ils s’enfoncent. Sacré gouvernement de combat avec ses combattants perdus en plein combat, sans les armes affutées pour les extirper de ces tirs journalistiques tous azimuts.

Après tout, personne n’est au fond dupe. Le Sénégal est loin d’être le pays le plus transparent au monde !