NETTALI.COM - Entre le journaliste et l’information, c’est une vraie histoire d’amour, mais aussi de dépendance. Le mot « information » tire ses racines du verbe latin «informare» qui signifie «donner forme à» ou «se former une idée de» ou pour faire plus simple, une définition basique dit ceci : «renseignement ou événement qu'on porte à la connaissance d'une personne, d'un public». Si l’information ne change jamais de visage, le journaliste, lui, peut changer la nature de celle-ci, même si la première obéit à des règles strictes.

Tenez par exemple dans l’histoire du remplacement de Phillippe Bohn à la tête d’Air Sénégal, beaucoup de sites d’informations en ligne ont relayé l’information. Ils se sont pour beaucoup, contentés de copier l’information dans des sites à forte notoriété ou jugés crédibles. Et pourtant forte notoriété ne rime pas forcément avec crédibilité ; un journal jugé crédible peut tout aussi se tromper sur une info. Il fallait dans ce cas précis, évidemment donner l’information parce qu’on la détient ; mais aussi et surtout faire part de la raison de ce remplacement, si on la connaît ; mais encore dire qui allait le remplacer si possible et expliquer les conséquences de ce changement en termes de perspectives d’évolution pour la compagnie. Et c’est ce qu’on appelle une information complète.

Certains supports se sont même lancés dans des supputations, s’empressant de donner l’explication selon laquelle, c’est la panne récente ayant poussé Air Sénégal à louer un avion, qui a eu raison de l’éviction du français ! Heureusement que le communiqué de presse émanant du service de communication, à la teneur quoique diplomatique, a mis fin aux supputations, envoyant Phillippe Bohn au rang d’administrateur, alors que d’aucuns disaient qu’il était viré, mais plus avec l’intention de traduire leurs sentiments personnels quant à leur envie de voir M. Bohn « se faire virer ». Le journalisme demande de la distance et la froideur, et aussi point de méchanceté !

Une information sur l’affaire Air Sénégal qui était finalement devenue, dans ce court moment, une sorte d’os à ronger pour ces carnassiers de journalistes qui se sont pour la plupart, jetés dessus, comme des affamés, sans recul, ni recoupements.

Une attitude désormais répandue chez nos confrères qui, dans bon nombre de cas, relève de la paresse à cause du règne du copié collé érigé en mode de fonctionnement ; et parfois sans scrupule, certains poussent l’audace jusqu’à mettre «exclusif» voire «urgent», alors qu’ils n’ont aucunement la paternité de l’information. Conséquence, lorsque le producteur d’un scoop se trompe, c’est tout une chaîne de supports qui s’écroulent. Dans certains cas, des bouts de phrases traînent à l’intérieur d’un texte, sans que le «copieur-colleur» ne s’en rende même pas compte. Il a juste une info ailleurs et tentait de la réécrire !

Copier une information sans se poser la moindre question, quant à la véracité partielle ou totale, voilà une posture bien bizarre. La paternité d’une information à l’heure du net, pose une grande équation. Un lecteur habitué par exemple à visiter un site par habitude et réflexe, découvrira une information sur son site préféré comme l’unique source, pour peu que le gestionnaire du site soit moins scrupuleux et ne cite pas la vraie origine. Et parfois, ce sont même des quotidiens, au moment du bouclage, voire des radios ou télévisions qui reprennent des informations, en s’appropriant une information déjà bien torturée sur le net, sans même prendre la peine de citer la source, en jouant sur leur impact en tant que support de notoriété pour faire croire qu’il est l’auteur du scoop.

L’affaire des 94 milliards est à ce titre révélatrice du déficit de recoupement dans le travail journalistique au Sénégal. Ousmane Sonko livre une information au public et les journaux la relaient, telle une meute et n’essaient même pas de pousser un peu plus, leur curiosité. Bizarre. Très peu ont en tout cas essayé de recouper l’information pour savoir comment il était possible que 94 milliards soient accaparés de cette manière-là, dans un pays aussi pauvre ! L’affaire est en tout cas bien grosse pour mériter qu’on s’y attarde un peu. Mais au lieu d’une investigation sérieuse, la plupart des journalistes a préféré être une caisse de résonnance : «Sonko a dit ceci, Mamour Diallo a répondu cela» ; ou alors on se lance dans des déclarations telles que : «le procureur doit s’autosaisir». On attendait plutôt des journaux qu’ils se saisissent de l’affaire. Et lorsque ceux-ci font correctement leur travail, il devient difficile à la justice de se dérober. Ne sont-ils pas tous des acteurs incontournables de la démocratie ?

Si l’investigation, une obligation dans le métier du journaliste, demande de la patience, et de la transpiration, elle permet à la démocratie de se renforcer. Edwy Plenel, l’ancien du journal «Le Monde» et fondateur du très redouté «Médiapart» ne se gêne d’ailleurs jamais pour rappeler aux journalistes qui critiquent ses méthodes, ce rôle de la presse. Ces chroniqueurs d’un genre nouveau qui occupent les plateaux télé, déversent des opinions face à des téléspectateurs médusés et charmés par leurs belles paroles qui, au fond, ne sont que des opinions, leurs opinions. Ceux-là sont animateurs, littéraires, essayistes, etc. Et si Plenel a obligé la justice à s’intéresser à l’affaire Cahuzac, c’est grâce aux investigations menées de main de maître par «Médiapart» ; si l’affaire Benalla a permis d’écarter ce dernier des sphères du pouvoir en France, c’est bien parce que père le fondateur de «Médiapart» s’est employé à débusquer le gars de son trou.

Plenel dérange et fait ce que les autres ne font pas. Le très médiatisé et célébre Eric Zemmour qui est passé, de journaliste du Figaro, à chroniqueur chez Ruquier, puis essayiste et animateur de sa propre émission Z & N (pour dire Zemmour et Naulleau), n’est pas parmi ses fans. Chroniqueur de son état, Zemmour, à l’opposé du fondateur de «Médiapart», possède aujourd’hui sa tribune où, au lieu de produire un travail journalistique, déverse des torrents d’idées xénophobes et racistes et anime même des conférences devant des publics d’extrême droite, défendant ses thèses sur fonds de bribes d’histoires compilées. De journaliste, il est devenu chroniqueur, historien puis star. Eh oui le journalisme, ça mène à tout. Et même Star !

Des stars, il y en a aussi dans nos médias, sous nos tropiques, surtout sur nos plateaux télés car le reste du contingent des journalistes de la presse écrite, radio et internet, est invisible. Ces stars des médias sont fabriquées par la magie de l’image : spécialistes de la revue de presse animée, politologues, électrons libres médiatiques qui naviguent de plateaux en plateaux, consultants, communicants, sociologues, analystes politiques, coach, conseillères en séduction, communicateurs traditionnels, etc. à la science parfois approximative, confuse et fourre-tout.  Il suffit juste d’apparaître à la télé pour devenir une star, même en travaillant gratuitement. Impossible dès lors de prendre les bus, les «Ndiaga Ndiaye» et parfois même, on commence à nourrir le complexe de monter dans un taxi.

Les téléspectateurs sont à ce point fascinés par la magie de l’image, de ceux qui y apparaissent : des animateurs sans culture, la présentatrice belle comme une déesse mais sans formation, le chroniqueur à la langue bien acérée mais sans faits d’armes précis, etc. Dans la rue, on les aborde, ils prennent des selfies avec leurs admirateurs du moment. Et pourtant, on aurait bien aimé connaître leurs faits d’armes, leurs reportages primés, leurs interviews phares décrochées et menées de mains de maîtres, leurs investigations…

Le grand public est à ce point si féru d’opinions, de belles paroles, de sensationnel qu’il ne sait plus distinguer ce qui est une vraie info de ce qui est une opinion. Il adule les grandes gueules, boit leurs paroles, leurs citations, tient pour argent comptant ce qu’ils disent. Il aime le sensationnel, les révélations quelles qu’elles soient. Et ceux-ci surfent impunément sur cette vague. La célébrité est à ce point intéressante qu’il faut être indifférent !

Sur les plateaux télé, on a droit à de petites questions, terre à terre pour des interviews qui devraient être de grandes parce que l’interviewé en face, est une mine d’informations ! Pourquoi des politiques ayant une certaine envergure, acceptent-ils de se faire interviewer par des journalistes au cursus scolaire dérisoire ? Parfois, c’est du populisme ou simplement une question de cible populaire qu’on viserait. On voit parfois à l’œuvre, ces journalistes interviewant, sur la base d’ouvrages écrits par l’interviewé, alors que l’interviewer n’a ni le niveau, ni la capacité de comprendre ce qui y est écrit. Et les relances hasardeuses qui rompent le fil des questions, on n’en parle même pas. La méconnaissance des faits politiques et historiques, le déficit de culture générale, la non maîtrise des questions économiques et juridiques, l’indigence du niveau de français, sont à ce point si criards qu’on se demande ce que certains font là.

Le travail journalistique est à ce point dévoyé que des journalistes en arrivent parfois à mettre en cause une personne dans un supposé scandale, oubliant de recueillir sa version. Où est passé l’équilibre ? « Nous avons tenté en vain de joindre Monsieur X, mais… » Parfois c’est une affaire de sous qui est derrière. Des combats par procuration, combien de journalistes en ont menés ? Ils prêtent des intentions à des politiques, surtout en ce qui concerne des positions de pouvoir et en arrivent parfois à mettre des mots dans la bouche de personnes fictives, juste pour donner du contenu à leurs écrits ou récits (il est vu comme…, on lui prête de vouloir…). Certains usent même de dénonciations anonymes pour pondre leurs articles ! Et la victime de dénonciation ? On croit rêver.

Mais Heureusement que dans cette brume épaisse, il y a des lumières, ceux qui illuminent le métier, de leurs plumes, leurs paroles mesurées et nuancées,  leur éthique, leur souci de l’équilibre, mais aussi de leur transpiration dans la recherche d’infos, de leur patience et de leur souci du recoupement. Ils ne sont hélas pas bien nombreux dans cette profession infiltrée et qui attend encore désespérément le vote du nouveau code de la presse pour amener un semblant d’ordre.

Le journalisme est un métier, une science, ses techniques s’apprennent. Ce n’est point de la littérature (même s’il faut bien écrire), ni du spectacle, encore moins quelque chose qui s’improvise. Il paraît si accessible aux autres que même ceux qui sont en situation d’échec scolaire ou universitaire, viennent y déposer leurs baluchons. La faute à ces journaux poreux à tous les souffles et à ces écoles qui pullulent sans détenir l’expertise de la formation. Si le journalisme ne nécessitait pas une formation, ça se saurait. S’il y avait des stars, ça se saurait aussi. Mais heureusement qu’il n y a qu’une star dans ce métier, l’information, la vraie.