NETTALI.COM - Dans cette affaire d’enregistrement et de reconnaissance des entreprises de presse qui a soulevé une polémique sans précédent, deux logiques s’affrontent. Une première logique, celle d’auditeurs de radios, d’internautes et même de journalistes, tels que le doyen Bakhoum ou encore Daouda Mine qui ont appelé de leurs vœux, une régulation des médias, se fondant sur la loi, mais aussi sur de la justice dans le cas des journalistes ; une seconde logique, celle de femmes et d'hommes de médias, tels qu’Amadou Diouf, Maïmouna Ndour Faye, Mamoudou Ibra Kane, Ibou Fall et bien d'autres qui y voient une logique de sélection ainsi qu’une « déclaration de guerre ».

Mamoudou Ibra Kane, le président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps) n' y est d'ailleurs pas allé par quatre chemins pour voir dans cette affaire d'enregistrement, une logique de sélection de médias dans la mesure où plusieurs organes tels que 7TV, SenTV , « Le Quotidien » ont été écartés, soulignant qu’« il y a beaucoup d'entreprises de presse qui sont là depuis plusieurs années et qui sont même antérieures à l'adoption du code de la presse de 2017, qui ne sont pas aujourd'hui « reconnus » par le ministre de la Communication ». Une situation qu’il relie à « des positions politiques contre les médias au Sénégal.»

Maïmouna Ndour Faye, dans une posture va-t-en guerre, a quant à elle, avoué ne pas être surprise, faisant savoir qu’« il y a un agenda en cours », selon lequel, « ils vont sélectionner les journalistes autorisés à exercer et à parler et faire taire toutes les voix discordantes ». Elle s’en était d’ailleurs prise au Cnra « qui n'a pas mis, selon elle, à la disposition du ministère de la communication des informations, à savoir l'autorisation de diffuser en tant que 7tv, le cahier de charges et le contrat de diffusion avec la télévision du Sénégal ? ». Et même le Cored en a pris pour son grade pour avoir laissé faire alors qu'il siégeait.

Le chroniqueur Ibou Fall a lui assimilé ce qui se passe à une « déclaration de guerre » Aussi, at-il plaidé pour la liberté dans l’exercice du métier de journaliste, une fois avoir obtenu son registre de commerce et son Ninea chez un notaire. Fall n’a pas été toutefois loin de penser que c’est l’exercice de la profession qui s’est dégradé par manque d’ambition des journalistes pour ce métier. Pour lui, les hommes de médias ne se sont pas donnés les moyens de faire un saut qualitatif et se sont souvent adossés à leurs relations avec l’Etat et c’est ce qu’ils paient aujourd'hui.

Poursuivant, il a aussi fait savoir que « tant que vous avez des affinités avec les politiques d’en face, vous pouvez négocier avec eux. Mais lorsqu’ils sont hostiles… » Il pense même que « hommes politiques vous lèchent les bottes lorsqu’ils ont besoin de vous, mais dès qu’ils accèdent au pouvoir, ils vous regardent de haut»

Une relation pas très apaisée entre la presse et le nouveau régime

Entre les politiques et certains médias, la nature des relations n’a pas toujours été très claire, même s'il ne faut point se faire d’illusions, que de Senghor, Diouf en passant Wade et Macky Sall, aucun régime n’a jusqu’ici, à dire vrai, milité en faveur d’une presse forte. De même sous le nouveau régime, les relations avec la presse, ne sont pas un long fleuve tranquille. Si certains médias ou plutôt certains journalistes sont vus, à tort ou à raison, comme hostiles au nouveau régime (Madiambal Diagne, Bougane Guèye Dany, Maïmouna Ndour Faye, Cheikh Yérim Seck, etc), la posture des tenants du régime actuel, il faut le souligner, n’est pas des plus bienveillantes. Elle est plutôt adossée à une logique visant à considérer ces journalistes et patrons de presse comme les représentants de la presse tout entière, alors qu’ils ont juste été propulsés par leur notoriété respective, sans oublier leurs voix qui portent. Que ces médias, propriétés des patrons de presse précités, soient recalés, a pu laisser penser chez certains, à un règlement de comptes, même si l’on ne peut être tout à fait affirmatifs là-dessus.

Et s’il y a eu un raidissement dans les rapports entre les autorités actuelles et la plupart des entreprises de presse, c’est bien parce que des acteurs des médias se sont, à un moment donné, sentis visés par le pouvoir actuel qui s’est inscrit dans une logique d’attaques et de généralisation visant à saper leur image et à les mettre en mal avec l’opinion, en présentant les patrons de presse comme de mauvais citoyens qui ne paient pas leurs impôts.

Le Premier ministre Ousmane Sonko n’avait-il pas à un moment ouvertement déclaré n’avoir pas de compte à rendre à la presse ? Eh bien, c’est ce cher Ousmane Sonko qu’on a pourtant vu, il n’y a guère longtemps, aller à la rencontre de la presse, tel un sniper, pour dire tout le mal qu’il pense de la gouvernance de Macky Sall. C’était ce fameux-jour où il balançait grave les chiffres de 2019 à 2023 qui seraient maquillés. On a aussi récemment vu ses partisans se bousculer sur les plateaux télé pour faire le service après-vente de l’Agenda 2050, qui a remplacé le fameux projet avec lequel, l’on a bien fait siffler et bourdonner. Des hommes de presse avisés voient en effet une sorte de logique instrumentale entretenue par la pouvoir avec les médias, qui consiste à aller vers eux lorsqu'on veut faire une communication d'envergure, puis à déclencher à nouveau les hostilités dès qu'on a fini de s'en servir.

Les autorités n’ont-elles pas suspendu les contrats publicitaires et gelé les paiements des publicités déjà consommées, tout en demandant le règlement de la dette fiscale de la presse à des entreprises, alors que pendant ce temps, certains comptes étaient bloqués avec des entreprises sous le coup d’avis à Tiers détenteur ? Une situation qui a mis en difficulté la presque totalité des entreprises qui comptent sur la publicité (la source de revenus la plus importante) qui se sont mises à accumuler des arriérés de salaires. Un acte interprété comme une volonté claire d'affaiblir ces entreprises.

N'oublions pas également que les patrons de presse ont plusieurs fois demandé des audiences au président de la république ? Des demandes qui n'ont pas connu de suite, alors que pendant ce temps, les jeunes reporters avaient été reçus. Et ce jour-là, il avait été question de critiquer les patrons de presse notamment sur la question des impôts et des cotisations sociales. D’aucuns y avaient vu même une volonté d’opposer les reporters à leurs patrons.

L’importance de la presse dans l’approfondissement de la démocratie

La vérité est que si la presse n’avait pas une grande importance pour l’approfondissement de la démocratie, on ne serait pas là à épiloguer sur son sujet. L’expérience nous a suffisamment prouvé son utilité et sa nécessité. Si l’on prend par exemple la couverture de l’élection présidentielle passée, l’on peut s’interroger sur le nombre de Sénégalais qui étaient là à traquer les chiffres, bureau de vote par bureau de vote, à la recherche de la bonne information. La vérité est que des centaines de journalistes avaient été envoyés sur le terrain par leurs organes de presse pour transmettre en direct les résultats et signaler le moindre dysfonctionnement, servant même souvent d’alerte aux autorités, sans aucune assistance publique.

Combien de millions de personnes étaient scotchés à leurs téléphones portables ou radios et télés, à s’abreuver de résultats donnés par ces «valeureux journalistes» sur le terrain ? Et combien ont sursauté de joie, à la publication de ces résultats, avant même que les commissions et institutions légalement habilitées ne le fassent ? Combien cela leur a-t-il coûté de savourer un tel «délice» ? Combien cela nous a-t-il coûté ?

De même durant la période la pandémie Covid 19, c’est la presse qui assurait la sensibilisation en informant sur les cas-contacts, les guérisons, organisant des plateaux-télé et radios avec des spécialistes de la question, rétablissant des faits et démentant des fake news. Pendant ce temps, elle n’avait pas encaissé de recettes publicitaires, laissant la manne à partager aux vendeurs de masques, de gels hydroalcooliques, de respirateurs artificiels, aux hôteliers et aux vendeurs de riz, sans oublier ceux-là qui avaient piqué dans la caisse. La presse agit dans beaucoup d’autres domaines tels que dire aux populations comment leurs deniers sont gérés, etc.

Si on donne ces exemples, c’est juste pour montrer que des détracteurs de la presse, pour des raisons parfois politiciennes et même gratuites, ont beau caricaturer, manipuler, tenter de falsifier l’histoire, ils ne pourront point dénuer aux médias le rôle capital qu’ils ont joué ces dernières décennies, dans l’affermissement de la démocratie, par l’éveil du citoyen, en lui permettant d’accéder, surtout avec les langues locales, aux outils qui lui ont permis d’affûter sa conscience citoyenne.

La presse a besoin d’un modèle économique digne de ce nom

A entendre certains sur les réseaux sociaux parler des médias, on a l’impression que les journalistes sont les hommes à abattre et que les entreprises de presse n’auraient même pas droit à des mesures incitatives et devraient être logées à la même enseigne que les entreprises qui vendent du ciment, des unités de communication ou de l’électricité. Et pourtant, ces détracteurs acharnés de la presse, pour on ne sait quelle raison d’ailleurs, ils lui en veulent tant, n’ignorent pas que d’autres secteurs d’activités de la société, telles que les promoteurs d’écoles privées, les hôteliers et les agriculteurs sont aidés. De même que les Sénégalais dans leur transport, leur achat de médicaments et jusque dans leur alimentation et consommation d’électricité, etc sont soutenus grâce aux subventions.

Qu’on le veuille ou non l’info agit comme un besoin vital chez bon nombre de Sénégalais. Aussi, est-elle attendue tous les jours. La question est au fond de savoir s’il est arrivé que d’aucuns se demandent par quel miracle les productions des programmes des chaines de télé et de radio arrivent à prendre vie ? Ou par quelles acrobaties les pages des journaux aux contenus divers impliquant des coûts de papier, d’électricité, de plaques, d’encre, etc sont-elles imprimées ? Un journal papier coûte toujours 100 francs depuis des années, alors que le prix du papier est passé entre temps de 300 F le kilo (sans parler des intrants) à 700 Francs. L’autre question est de savoir combien de personnes achètent les journaux ? Combien les empruntent ? Combien partagent les PDF des journaux ? Ceux qui regardent la télé sous nos cieux, paient-ils quelque chose ? Sous d’autres cieux, ils sont soumis à une redevance.

La question de la régulation, il est vrai, dans le cas d’une entreprise de presse, se fonde sur l’article 11 de la constitution qui renvoie à une loi d’application. Et même si la création d’un organe de presse pour l’information politique, économique, culturelle, sportive, sociale, récréative ou scientifique, est libre et n’est soumise à aucune autorisation préalable, l’alinéa 2 du même article dispose en effet que le régime de la presse est fixé par la loi. Et la loi 2017-27 portant code de la presse, fixe un certain nombre de critères pour disposer d’une entreprise de presse et parmi lesquels, l’enregistrement au ministère de la communication, disposer d’une rédaction fonctionnelle avec au moins 3 journalistes dirigée par un directeur de publication ayant capitalisé 10 ans d’expérience, dans la collecte, le traitement et la diffusion d’informations et d’un rédacteur en chef ayant capitalisé 7 ans d’expérience.

Il ne saurait dès lors être question de réfuter la régulation, mais le fait est que cette demande d'enregistrement suivie de reconnaissance aurait juste du se faire suivant un timing approprié, tout en intégrant des critères essentiels tels que la détention d’une carte de presse (un critère rempli par tous les organes de presse, y compris de premier plan). L’appliquer aurait eu en réalité des conséquences plus désastreuses, si on en croit Daouda Mine. Ce qui veut dire que l’affaire a été d'une certaine manière faite dans la précipitation puisque la commission de délivrance de la carte de presse n’a pas siégé depuis plusieurs mois, faute de budget. De même, une régulation digne de ce nom, aurait requis que le Cnra se mue en Harca, de manière à prendre en charge l’ensemble de la presse (radios, télévisions, presse écrite, presse en ligne…). La question est plutôt de se demander comment on peut réussir une régulation en n’impliquant pas les acteurs eux-mêmes ?

Mais au-delà, ce dont la presse a surtout besoin, c’est d’un modèle économique qui la rendra plus autonome et profitable, plutôt que ces aides de l’Etat qui ne font que perpétuer une dépendance, même si ce sont des deniers des Sénégalais. Faire passer l’aide à la presse de 1, 9 milliard à 4 milliards  (dont 2 milliards de plus qui est un nouveau fonds qui sera mis à la disposition de la presse et qui seront collectés auprès de Canal +) n’est en réalité qu’une vraie fausse solution. Et le chroniqueur Ibou Fall l’explique si bien qu’il pense que l’économie de la presse ne doit pas reposer sur des aides, soulignant au passage, que « pour narguer les journalistes, ils ont informé que l’aide à la presse passe à 4 milliards». Il conclura au passage, que « c’est encore une manière insidieuse de tenir ceux qui dépendent d’eux ». « La presse, selon lui, ne doit pas vivre d’aide. On ne peut pas monter une entreprise et ne pas savoir comment gagner de l’argent. Une entreprise, c’est pour faire du profit. »

Un bon modèle économique, c’est en tout cas ce qui est souhaitable pour la presse qui ne peut réclamer ses droits sans l’aide de l’Etat qui doit l’y accompagner, si celui-ci est vraiment mu par une volonté de renforcer le 4ème pouvoir.

Le constat est que les contenus de la presse sont de plus en plus pillés et utilisés sous son nez et sa barbe, alors que cette dernière aurait pu en tirer des droits voisins et des dividendes importants.

D’autres types de mesures incitatives pourraient aller dans le sens d’imposer une TVA réduite. En France par exemple, où l’on semble mieux comprendre l’importance de la presse dans les progrès démocratiques, celle-ci bénéficie par exemple d'un taux de TVA dit « super réduit » de 2,1 % contre 20% dans le régime commun, en plus d’autres soutiens sur le papier journal, le transport, la modernisation de la presse, etc

Sur la question du modèle économique, des documents issus des Assises de la presse existent et il ne serait pas inutile de les dépoussiérer.