NETTALI.COM - La proclamation des résultats provisoires faite, l’heure est au décryptage du verdict sorti des urnes le 31 juillet dernier. Verdict riche en enseignements pour une classe politique obligée de décrypter le message lancé par le citoyen-électeur.

Ce n’est désormais plus un secret. Sauf cataclysme venant du Conseil constitutionnel, c'est la coalition Benno Bokk Yaakaar qui est arrivée en tête des législatives avec 82 sièges dans la prochaine Assemblée. La coalition du Président Macky Sall est talonnée par Yewwi Askan Wi (56 députés) et Wallu Sénégal avec ses 24 sièges. L’inter-coalition Yewwi-Wallu née du fameux "Plan Déthie Fall" compte donc 80 députes. Une percée historique. Une première au Sénégal. Les trois sièges restants (l'Assemblée nationale compte 165 députés) sont partagés entre Bokk Gis Gis Ligguey (1), Aar Sénégal (1) et "Les Serviteurs" (1). Les coalitions Bunt Bi et Natangué askan wi ont zéro sièg.

Le premier enseignement que livre le scrutin du 31 juillet, des législatives, c’est que malgré toutes les supputations, les abstentionnistes restent bien majoritaires au Sénégal. De moins en moins de Sénégalais prennent la peine d'aller voter. Ce sont 4.078.883 Sénégalais qui ont boudé le vote. Soit un taux de 53,36%. De quoi évidemment se poser des questions sur les raisons de cette abstention, et pour qui ceux-là auraient voté. 

Cette abstention est-elle liée à la spécificité du vote ? S’est-il agi d’une désaffection vis-à-vis de la classe politique? Est-ce la conséquence d’un processus électoral chaotique ? Autant de questions que l’on peut raisonnablement se poser. Seule certitude : ceci est révélateur de la complexité du comportement des électeurs toujours bien difficile à prévoir. Mais c'est aussi le signe qu’il existe un boulevard de progression dans l’expression des Sénégalais. En d’autres termes, le jeu reste tout ouvert. Plus de la moitié des inscrits ne s'est pas exprimée. Même si un taux de participations à 100% n'existe dans aucune démocratie.

En votant dimanche, les Sénégalais ont envoyé un autre message. Ils n'ont voulu donner la majorité à aucune des coalitions en compétition. Benno est en tête mais ne pourra contrôler l'Assemblée nationale sans négocier avec au moins un des faiseurs de roi que sont Pape Diop de Bokk Gis Gis, Thierno Alassane de la coalition Aar Sénégal ou encore le journaliste Pape Djibril Fall des "Serviteurs". Autrement dit, avec une marge de manoeuvre aussi faible, Macky Sall va devoir manoeuvrer ferme d'abord pour le contrôle du bureau de l'Assemblée nationale, mais aussi pour faire certaines lois. Pis, des défections ne sont pas à exclure aussi bien du côté de l'opposition que de la mouvance présidentielle.

Si Benno Bokk Yaakaar est obligée de faire les yeux doux à Pape Diop de Bokk Gis Gis principalement, le bloc Yewwi-Wallu ne pourra survivre sans faire preuve d'une grande capacité de manoeuvrer afin de garder unies ses différentes composantes. Au-delà, la lecture que certains observateurs ne manquent pas de faire, ce sont d’autres types de manœuvres qui pourraient voir le jour.

Pour certains, cette nouvelle ère peut aussi donner le top de départ de la saison 3 des négociations entre Abdoulaye Wade et Macky Sall après Conakry et Massalikul Jinaan. Il est connu que l’ancien président n'a jamais abandonné son rêve de voir son fils Karim Wade revenir dans le jeu politique et devenir président de la République. La possibilité d'accorder l'amnistie à Karim Wade et Khalifa Sall pourront bien faciliter cette nouvelle ère. hypothèse qu'il faudrait peut-être relativiser. En matière politique, il faut surtout éviter les conclusions hâtives. C'est connu.

Autre grille de lecture, le verdict sorti des urnes le 31 juillet dernier prouve au moins un fait. Le bilan de Macky Sall et ses réalisations, aussi flamboyantes soient elles, ne suffissent pas pour séduire l'électorat. C'est plutôt le "pour ou contre un 3e mandat", selon de campagne de Yewwi askan wi, qui a fait mouche. Qui connaît ces suppléants élus ? Personne. Enfin presque. Il suffit de faire un micro-trottoir pour se rendre à l’évidence que la coalition n’a même pas eu besoin de présenter ses candidats. Et si le coup a si bien marché, c'est parce que la politique, malgré les apparences, à horreur du flou aussi artistique soit-il. Le "Ni oui ni non" de Macky Sall a entre autres, été l’interstice par lequel se sont exprimées les frustrations de tous ceux qui ne veulent pas entendre parler de troisième mandat.

En vérité, aucune machine de guerre ne pouvait contrecarrer le raz-de-marée du 31 juillet dans un pays comme le Sénégal. Surtout lorsque les cartes sont aussi confuses sur la table. La défaite à la Médina, malgré la jonction entre Bamba Fall et Cheikh Ahmed Tidiane Ba qui se disputaient la victoire lors des locales (9414 voix contre 8356 pour Cheikh Bâ de Benno) n’a pas produit d’effets. Ils ont été battus ensemble. Un signe manifeste de l’échec de la politique de débauchages mené ces derniers mois par le chef de l'Etat lui-même.

Ce qui prouve que le débauchage, les augmentations de salaires opportunistes voire de la dernière minute, les bourses de sécurité familiale XXL, les distributions d’argent dans les quartiers... ne constituent pas le bon chemin à emprunter. Le forcing non plus. Les Romains ne disent-ils pas que l’erreur est humaine mais que le fait de persister dans l’erreur est diabolique ? Une maxime à méditer par Macky Sall. 

Dans un de ses récents éditos, le journaliste Mahmoudou Wane donne un enseignement intéressant en politique : "En vérité, nous apprend-il, il n'y a jamais de chemin en politique. L’on expérimente en fonction de ce que notre cerveau nous souffle comme vérité, mais le problème est que ce petit engin est très souvent mauvais conseiller. Et personne ne détient le monopole de la vérité. Chaque fois d’ailleurs que quelqu’un se sent assez outillé pour se passer des autres, c’est le commencement de la chute. Le problème justement avec le Président Macky Sall, c’est qu’il a  trop peu d’esprits libres à ses côtés pour lui dire tout gentiment, avec tout le respect qui lui est dû : 'Monsieur le Président, à mon avis, je pense très sincèrement que vous faîtes fausse route'.  Bonjour donc la fausse route !"

La conséquence de tout cela, c'est que malgré tous les commentaires victorieux et fanfaronnades entendus côté Benno et qui ne sont en réalité qu’une politique de l’autruche, Macky Sall a perdu 43 députés d'une législature à une autre. De 125 députés lors de la 13e législature, Benno n'en compte désormais que 82. La question est maintenant de savoir ce qu’en pensent les 53, 36% de Sénégalais qui ne sont pas allés voter.