NETTALI.COM - A l’heure de la surenchère politicienne, tout se passe comme si les cerveaux des politiciens cessaient tout d’un coup de fonctionner. Le passé est subitement effacé de leurs disques durs. Eh bien, ils ont en commun, nos chers concitoyens, cette fâcheuse tendance à l’amnésie quand ça les chante, surtout lorsqu’il s’agit de se souvenir d’actes critiquables posés aux heures de braise de l'opposition, une fois arrivés au pouvoir. Ils n’ont même plus la décence de ne pas opposer à leurs adversaires du moment, ce qu’ils avaient commis comme méfaits en tant qu’opposants.

Pire, ceux qui arrivent au pouvoir ne s’embarrassent guère de faire la morale aux opposants dans le sens de les exhorter à être plus républicains et plus respectueux des lois et des institutions. Et pourtant, la vérité est qu’au moment où ces tenants actuels du pouvoir s’opposaient et résistaient vaillamment face à des misères que leur faisait le pouvoir en place, tout était bon à dire et à faire. Mimi Touré adepte des propos acerbes et des réponses sèches, devrait bien méditer sur cela. Ses propos et ceux de beaucoup d’autres membres de la coalition BBY contre la sortie d’Ousmane Sonko appelant à une "insurrection assumée", sont assurément à mettre sur ce compte-là.

Aurait-elle oublié, cette chère Aminata Touré, qui avait il n' y a guère longtemps des rapports si conflictuels avec Macky Sall avant de revenir à la raison, que le président Wade a vécu pire en étant traité de « terroriste» et accusé d’avoir « recruté des mercenaires », en son temps.

Aucun opposant n’a d’ailleurs subi autant de lynchage que lui. Me Wade, l'opposant d’antan, en avait tellement bavé, un quart de siècle durant, avant de devenir président de la République sur le tard. A un moment même, il s’était même retiré en France avant que les faiseurs de roi de l'époque, Bathily, feu Dansokho et consorts ne lui demandent de rentrer au bercail afin de poursuivre le combat. Dieu sait qu'il en avait subi des assauts, combien de fois répétés, de Macky Sall. Il savait bien dénoncer et user des médias pour se victimiser. Mais la qualité de Me Wade était heureusement de savoir encaisser et de se montrer stoïque. Figurez-vous que l'actuel président avait même menacé de le déloger du palais.

Me Wade lui-même en avait aussi fait voir de toutes les couleurs à Diouf. Il donnait même, à un moment donné la recette aux manifestants pour affronter les forces de l'ordre  qui consistait à les affronter et à leur renvoyer leurs lacrymogènes et autres. C'est comme qui dirait, "chacun, son tour chez le coiffeur".

Au regard de la manière dont la politique se conçoit et se pratique sous nos cieux, on a toujours eu affaire à un concert de dérapages verbaux, de propos guerriers dans les face-à-face avec les pouvoirs en place. Ce qui n’est que la conséquence d’une difficulté notoire pour les opposants souvent poussés à bout, à trouver des réponses appropriées, républicaines face aux tenants du pouvoir qui les entraînent sur des terrains minés avec un jeu politique parsemé de pièges et d'embûches dressés devant eux et où seuls peuvent prospérer les futés, les courageux et les endurants.

Une posture des pouvoirs qui frise l’arbitraire et une forme d'opposition radicale inconciliables qui divisent toutefois les Sénégalais.

Un appel à l’insurrection comme réponse !

Ousmane Sonko à travers est ainsi dépeint à travers les sorties de BBY est dépeint comme un homme belliqueux, irrespectueux des institutions et qui n’utiliserait les jeunes en réalité que comme de la « chair à canon », question de le discréditer aux yeux d’une certaine opinion. Des propos signés Aminata Touré. Mais pour ses partisans et soutiens, le leader de Pastef a compris là où ça fait mal et sait simplement en jouer. Cela a été la motivation de cette sortie kamikaze où il a assumé l'appel à l'insurrection. Comme lorsqu’il fait valoir que Macky Sall ne comprend que les rapports de force.

Thierno Alassane Sall est toutefois loin de confirmer que l’appel à l’insurrection a été la cause de cette décision du Conseil constitutionnel. Invité de « Faram Facce », le mercredi 25 mai sur la TFM, lui et ses camarades de la coalition AAR Sénégal savaient déjà, dès le 21 mai, soient deux jours avant la sortie d’Ousmane Sonko, que le Conseil constitutionnel avait déjà délibéré ; d’autres aussi étaient déjà au courant que la décision prise par le Conseil constitutionnel est favorable à Benno et à Yewwi Askan. C’est du moins ce qu’il nous a appris. Pour l’ancien ministre, ce n’est donc pas la sortie à 23 heures d’Ousmane Sonko, soit la veille, qui a motivé la réunion du Conseil constitutionnel à minuit pour rendre sa décision, le lendemain à 9 heures.

Pour le membre de AAR Sénégal, ce « Bara Yeggo » (deal) milite en défaveur des intérêts stratégiques du pays. Il a en outre estimé qu’il ne peut y avoir d’application favorable de la loi pour les forts. Aussi, a-t-il déploré les médiations d’une certaine société civile qui a demandé aux politiques d’assumer leur rôle d’hommes politiques qui consiste à dénoncer et de leur laisser jouer le leur. L’allusion à Alioune Tine et à d’autres, est évidente, ainsi que l’a précisé Babacar Fall qui dirigeait l’émission. Sall en veut pour preuve que c’est le 22 mai, soit avant la décision du Conseil, que sa coalition a fait sa conférence de presse, étant au courant que des médiations avaient lieu dans le but de valider les listes de BBY et de YAW.

Pour l’ancien ministre, ces derniers ne peuvent pas reconnaître leurs erreurs dans ce parrainage et décider qu’ils participeront sur la base de la force aux élections. Thierno Alassane Sall pense tout simplement que force doit rester à la loi, estimant que les listes non paritaires doivent être purement et simplement rejetées, suivant l’article 149 du code électoral qui est strict puisqu’il n’y a pas de vide juridique. Pour Sall, « c’est Yaw qui a dit que sa lettre n’est pas paritaire. Et ils se sont dits que puisque les autorités les craignent, utilisons des subterfuges. Il y en a qui ont empoigné des policiers devant la Direction générale des Elections, mais sans conséquences (ndlr- Barthélémy Dias). Après, il y a eu l’épisode des démissions pour faire croire qu’il y a un vide juridique et pouvoir remplacer les démissionnaires».

Mais cet appel à l’insurrection d’Ousmane Sonko, l’ancien ministre ne les juge pas pour autant de manière péremptoire car il milite lui-même en faveur de la résistance pacifique, au cas où l’on viendrait à vouloir violer la constitution dans le cadre d’un projet de validation d’un 3ème mandat. Citant l’exemple du Mali où Ibrahima Boubacar Keïta avait été battu par l’opposition avant que le Conseil constitutionnel n’attribue la victoire à IBK, celui-ci nous a appris que ce qui a suivi, c’est une énorme marche pacifique des Maliens contre cette victoire qui a abouti bien plus tard à un coup d’Etat.

Quelle est vraiment la solution pour l’opposant dans un environnement où la loi n’est presque jamais respectée et où le jeu politique est toujours biaisé d’avance ?  La vérité est que l’opposition n’a d’autres choix que de dénoncer ce qu’il considère comme des violations et à manifester face à un pouvoir qui ne lui fait aucun cadeau et qui a surtout compris qu’il faut toujours multiplier les fronts afin de disperser ses forces dans le but de l’épuiser. Mais de là à tenter le coup de l’insurrection, il ne peut être nullement question de casser ou de semer quelque chaos que ce soit. Personne ne le permettra. Mais, au royaume de la surenchère verbale entre gladiateurs politiques, c’est le paradigme musculaire qui semble de plus en plus structurer le débat.

Il est de toute façon inimaginable aux yeux de certains que le parti majoritaire au Sénégal, Benno Book Yaakaar, et la 1ère force de l’opposition Yewwi Askan Wi soient absents de ces législatives. Pour certains membres de la société civile, tels qu’Alioune Tine d’Afrik Jom Center qui avait multiplié ses sorties médiatiques, l’on était face à une impasse politique et une confusion telle qu’on allait tout droit vers l’autodestruction d'un système démocratique.

« Sur la légitimité, la représentativité et la pluralité, ces décisions tiennent la route. Peut-on imaginer une Assemblée nationale où la coalition au pouvoir et la principale coalition de l’opposition politique seraient absentes ? Du point de vue de la représentativité, cela pose problème. Maintenant, lorsqu’on examine les listes sur la question de l’éligibilité, le droit élémentaire de la participation politique est reconnu par la Constitution, les conventions internationales et la décision de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Tous ces textes peuvent justifier la présence des listes de Benno Bokk Yaakaar et de Yewwi Askan Wi. Et après tout, ces décisions devraient apaiser une situation politique presque intenable. », a déclaré Alioune Tine dans un entretien avec le quotidien « Enquête » du 25 mai.

Mais, faut-il pour autant affaiblir la loi comme le souligne Thierno Alassane, selon qui, quoi que l’on fasse, doit être l’arbitre entre les forts et les faibles. Un clin d'oeil aux coalitions éliminées. C’est la raison pour laquelle, il a prôné l’idée selon laquelle, force doit rester à la loi.

Quelle devrait être la posture de Moussa Taye, invité du « Jury du Dimanche » du 22 mai sur I-TV, conseiller politique de « Taxawu » Sénégal, qui n'a pas été tendre avec "les 7 sages" en les qualifiant de « 7 faux sages » au moment où était initié un recours auprès du conseil constitutionnel ? "Moi, ceux que vous appelez les 7 sages, moi je les appelle les 7 faux sages. Si nous voulons aller à des élections tranquilles, nous devons faire en sorte que toutes les listes soient validées. Ça ne me gêne pas moi. Je n’ai pas peur de compétir contre Benno. Au contraire, je veux que Benno soit sur le terrain et qu’on les batte sur le terrain", avait répondu celui-ci à Mamoudou Ibra Kane. Une intervention qu’on mettra surement dans le cadre de la surenchère politicienne.

Difficile en tout cas de ne pas voir une décision négociée aux yeux d’une certaine opinion, comme certains ont eu à la critiquer. A l’émission « Jakarloo », d’avant la décision du Conseil constitutionnel, Bouba Ndour et Charles Faye avaient déploré face à Moundiaye Cissé de l’ONG 3 D dont le discours laissait déjà entrevoir une solution négociée pour valider les deux listes, alors que la loi doit être appliquée de la même manière à tout le monde.

Bouba Ndour avait par exemple relevé la curiosité de vouloir gérer le pays demain et de ne pas être capable de prendre en charge correctement une liste de parrainages. Un argument également valable pour Benno Bokk Yaakaar au pouvoir. Il ne s’en était pas arrêté là, et s’était même demandé comment, veulent-ils (ndlr – les futurs députés) demain pouvoir voter des lois, alors qu’ils ne savent pas confectionner un dossier sur la base de la loi qui recommande la parité intégrale.

Des arguments qu’on peut évidemment entendre et comprendre. La loi est la même pour tous. C’est Benno Bokk Yaakaar qui a institué le parrainage malgré de nombreux désaccords sur la base de la loi. D’où viennent-ils alors que sur la base de cette même loi, l’on ne veuille pas appliquer la loi dans toute sa rigueur ? Il y en a en tout cas beaucoup aujourd’hui pour penser que c’est un arbitrage d’équilibrisme qui a été fait, adossé sur une supposée paix civile à préserver.

« Il est important de faire un plaidoyer, lorsqu’on est témoin d’une logique d’autodestruction perceptible à travers la violence verbale, les menaces et les violences physiques qui ont amené le gouvernement à renforcer la sécurité à la Direction générale des Élections. Pour une première phase de l’éligibilité, un contentieux électoral aussi lourd est du jamais vu. Là aussi se pose le problème de la neutralité de l’Administration, de la commission de réception. Cette phase initiale est censée être une étape d’accompagnement, d’aide à la régularisation des dossiers où il est prématuré de dire que telle ou telle liste est irrecevable. Il n’y a que le Conseil constitutionnel qui devrait avoir le pouvoir de rejeter un dossier», a insisté Alioune Tine dans cet entretien avec Enquête.

Rebondissements : la liste des titulaires de Yaw et suppléants de BBY invalidée

Elle est en tout cas dans tous les quotidiens de ce mardi 30 mai, cette invalidation de la liste des titulaires de Yaw et celle des suppléants de BBY. Il est en effet reproché à la coalition de l’opposition d’avoir déposé une liste incomplète de titulaires. Suite à la notification par le ministre de l’Intérieur de l’inéligibilité d’ un candidat sur ladite liste, la coalition avait le droit de procéder à son remplacement. Malheureusement, au moment de passer à l’acte, ils l’ont remplacé par un candidat qui était déjà sur la liste des suppléants. Il s’est alors posé la question de savoir s’ils avaient la possibilité de corriger à nouveau. La commission chargée de la réception des dossiers avait dit niet. Résultat des courses : la liste est déclarée incomplète.

Ce qui veut dire qu’en lieu et place des titulaires, les amis de Khalifa Ababacar Sall vont devoir compter sur une équipe de remplaçants composée uniquement de suppléants.  En termes plus simples, aucun des leaders investis sur la liste des titulaires ne sera député dans la prochaine législature, si la décision prise par le ministère de l’Intérieur est confirmée par le Conseil constitutionnel. Et la première victime de cette décision n’est personne d’autre qu’Ousmane Sonko qui se trouve à la tête de cette liste déclarée irrecevable. Dans le même lot, il faudra ajouter des ténors tels qu’Aida Mbodj, députée sortante, Cheikh Tidiane Youm, Coordonnateur du Pur, El Hadj Malick Gakou, Déthié Fall (mandataire et député sortant)… Il faudra également mettre dans le lot, les leaders mécontents de leurs positions : Serigne Mansour Sy Djamil, Moustapha Guirassy, Cheikh Tidiane Dièye…

Une décision du ministère de l'intérieur en tout cas bien bizarre et qui fait rire, parce qu'à la vérité, du point de la loi, une liste est à la fois composée de titulaires et de suppléants. Ce qui laisser croire qu'il s'agit d'une décision cavalière visant à couper la poire en deux, mais sans oser rejeter toutes les deux listes. Ce qui revient en quelque sorte à filer la patate chaude au Conseil constitutionnel.

Mais l’on n’en est pas encore au stade de l'invalidation des listes puisque le ministère n'est pas un juge. Mais toujours est-il que Sonko n’a pas renoncé à son projet , lui et ses camarades « promettent une réponse énergique » face à  «cet énième forfaiture et parti pris assumé du ministère de l’Intérieur ». Il comptent ainsi mobiliser  200 000 personnes, vendredi 1er juin.

Hormis ces cas d’irrecevabilité, l’arrêté ministériel a déclaré recevable les listes suivantes : Bokk Gis Gis/Liggey, Naataangue Askan Wi, Alternative pour une Assemblée de rupture, Bunt Bi, les Serviteurs/MPR, la Grande coalition Wallu Senegaal. S’y ajoutent les listes titulaires de Benno Bokk Yaakaar et suppléantes de Yewwi Askan Wi.

À partir de la notification de l’arrêté de publication, les mandataires auront 24 heures pour saisir le Conseil constitutionnel aux fins de contester ledit texte. Ainsi, dès aujourd’hui, les représentants des listes mécontentes pourront saisir la haute juridiction. Celle-ci doit obligatoirement statuer dans les trois jours qui suivent. Les carottes sont en tout cas déjà cuites.

Quel est finalement l'intérêt du parrainage ?

Aujourd’hui, on en est à 8 listes, alors qu’en 2017, l’on en était à 47. Les 15 listes d’avant tri, n’étaient finalement pas grand-chose pour des élections législatives. Surtout si ce parrainage s'est avéré une grosse farce. Et cette histoire de parité, un critère absurde car, ce qu’on cherche au fond pour notre assemblée, c'est après tout une qualité de la représentation. Peu importe au finish qu’elle soit une majorité de femmes ou majorité d’hommes. L’essentiel étant d’avoir les meilleurs hommes et les meilleures femmes.

Un parrainage qui vire en tout cas à la cacophonie totale surtout au regard du charabia juridique avec son lot de jurisprudences convoquées de partout. Il doit en tout cas avoir beaucoup dégoutté les électeurs qui doivent se demander s’il serait désormais utile d’élire des représentants du peuple, s’ils ne peuvent choisir que parmi un groupe de listes dont la recevabilité est loin de sembler juste.

Mais au fond qui est d’accord avec ce système de parrainage ? Ce n’est en tout cas pas AAR Sénégal. Car, en dehors de l’initiatrice qu’est la majorité au pouvoir qui y avait tout intérêt, difficile de voir ses partisans acharnés ! Un parrainage d’ailleurs bien loin de faire l’unanimité, y compris jusqu’au niveau de la Cour de Justice de la Cedeao qui avait demandé sa suppression, au regard de son caractère inopérant sous la forme sous laquelle il a été fait. La suite, on la connaît, Ismaël Madior Fall, conseiller du président en la matière, avait tenté de chahuter la décision de cette cour, relevant des erreurs de droit. C’est un sacré bordel en effet que ce parrainage ! Et l’issue qui est notée, ne fait que renforcer le désarroi des Sénégalais sur l’état actuel de notre démocratie et leur foi en la justice.