NETTALI.COM - Le monde culturel sénégalais est en deuil. Rodolphe Gomis, un des leads vocaux de l’Orchestra Baobab, a perdu la vie. Il s’en est allé laissant derrière lui, la famille de la musique orpheline et sevrée de ses douces mélodies. 

C’est un mythe qui s’éteint. Une légende qui s’en va sur la pointe des pieds. Rodolphe Gomis, plus connu sous le nom de Rudy, a tiré sa révérence à Ziguinchor auprès de sa famille. Avec cette disparition si brusque et brutale, le lead vocal de l’Orchestra Baobab laisse aujourd’hui orphelin le monde de la musique sénégalaise en général et africaine en particulier. Rudy Gomis fait partie de ces noms que le monde musical retiendra à jamais. De la musique, Rudy en avait tous les attributs. Avec son talent, le musicien était un artiste accompli. Son timbre rauque, sa présence sur scène, son jeu unique, son originalité et ses musiques devenues classiques manqueront essentiellement à toute une génération…

«Ses débuts dans la musique»

Le grand public l’a découvert une après-midi d’animation sur la Rts. Une de ces matinées où feu Moïse Ambroise Gomis, confortablement engoncé dans un impeccable costume, distrayait les Sénégalais de leur semaine de labeur. Au menu de la musique d’ici et d’ailleurs, mais surtout d’ici avec une touche d’ailleurs. C’était la belle époque où les sonorités sénégalaises étaient un kaléidoscope de la musique internationale. Plus que tout autre rythme, l’afro-cubain fait danser dans les discothèques et dodeliner dans les rues de Dakar. Lorsque ce jour-là, le célèbre animateur passe cette chanson, elle fait un tabac. A l’écran, un homme aux yeux globuleux, au sourire joyeux et aux gestes facétieux, chante «Gatax» dans plusieurs langues dans un rythme entraînant. Dans le clip aux couleurs de scopitone, des acteurs se trémoussent au rythme de la salsa. L’ensemble constitue un cocktail explosif et entêtant. Rodolphe Gomis vient d’opérer une entrée fracassante dans le cœur des mélomanes d’où il ne sortira plus jamais.

C’est en 1946 que le musicien a vu le jour à Ziguinchor. Issu de l'ethnie Manjak qui a son foyer dans le grand Sud du Sénégal, le chanteur, avec un style unique, a baigné toute son enfance dans les rythmes traditionnels de la verte Casamance. Passionné de musique, Rudy Gomis fut repéré pour ses talents de chanteur et de percussionniste par des politiciens et hommes d’affaires qui étaient alors désireux de lancer le club baobab, un lieu où écouter de la bonne musique. C’est ainsi qu’il intègre le club avec le guitariste togolais Barthélémy Attiso, le chanteur casamançais Balla Sidibé, le saxophoniste Baro Ndiaye et le bassiste Sidathe Ly en 1970. Club qui deviendra par la suite le mythique Orchestra Baobab, une troupe dont le style musical se caractérise par un mélange de sonorités latinos, de rythmes africains et d'influences soul et jazz. Ensemble, les amis inscriront leurs noms dans les annales de la musique sénégalaise. Très soudés, ils ont vécu et traversé beaucoup d’aventures. Les espoirs nés des indépendances africaines du début des années 60, les lendemains qui chantent, les désillusions de la crise économique des années 80 et 90 et le renouveau des années 2000, avec le désir d'une émergence, en marge des critères occidentaux…

«Un timbre unique»

Dans cette troupe où il a évolué pendant plus d’une quarantaine d’années, Rudy Gomis en était un élément central. Le chanteur était très original. L’homme était très attaché à sa terre natale, la Casamance, mais aussi à son ethnie, les Manjak, qui deviendra plus tard, la sève de sa musique alliant ainsi inspirations traditionnelles et fantaisies. Avec facilité, l’artiste poussait la chansonnette dans plusieurs langues, mais jouait à la perfection aux congas. Pour son art, Rudy Gomis donnera tout. Avec ténacité, courage et passion, il aura incarné ces valeurs, le long de son parcours, pour s'imposer comme un parolier et compositeur hors pair. Avec une formation en musique, le chanteur casamançais connaît littéralement la gloire et signe des tubes que les nostalgiques de la chanson afro-cubaine chérissent encore : «Tante Marie», mais aussi «Gatax» et «Yen Say».

«Ses derniers instants, la dernière visite des membres de l’orchestre»

Aujourd’hui, le baobab est déraciné. L’homme est parti à jamais. Dernièrement, il traînait une maladie qui l’empêchait de se déplacer et de poursuivre sa passion qu’était la musique. «Il souffrait énormément. Lors de nos répétitions, il s’essoufflait assez vite. On voyait qu’il n’était pas bien dans sa peau. L’état de sa santé continuait à se dégrader», avoue tristement Thierno Koité, membre de l’orchestra Baobab. C’est comme ça que ses compères lui ont proposé d’aller à Ziguinchor se reposer auprès de son épouse. Toujours aussi proche, malgré le temps qui passe, récemment, l’ensemble du groupe s’est rendu à son chevet. «Nous nous sommes rendus chez lui à Ziguinchor, il y a un mois de cela. Même s’il n’était pas très en forme, on espérait le revoir très vite. Mais le Tout-Puissant en a décidé autrement», confie M. Koité. C’est à l’hôpital de la paix que le chanteur Rudy Gomis s’éteindra à l’âge de 76 ans, laissant derrière lui, une famille et le monde artistique orphelins. Mais, il est tout à fait clair que l’artiste ne meurt jamais. Ses notes, ses paroles, sa réflexion qu’il laisse, après lui, seront la continuité de son être et de sa manière d’être.