NETTALI.COM - Doit-on désespérer de notre démocratie ? Les années passent. Et elle semble reculer, malgré toutes les vertus dont on cherche à la parer. La percée de l’opposition lors des locales du 23 janvier dernier a fait dire à certains membres de la coalition au pouvoir qu’elle est la preuve de la transparence du processus électoral.

Des affirmations que ne partagent guère des membres de l’opposition qui ont, à leur tour, brandi des histoires de transferts d’électeurs et d’achats de conscience, sans oublier les accusations de rétention de cartes d’électeur et l’utilisation des moyens de l’Etat. Une manière de dire qu’il y a dans ce processus, une opacité sciemment organisée pour détourner le vote des citoyens.

Les élections locales du mois dernier ont en tout cas montré que le Sénégal a encore du chemin à faire avant de prétendre être une République digne de ce nom et une démocratie véritable dans laquelle, on ne s’embarrasse plus d’une administration loin d’être neutre et d’un processus électoral aux nombreux écueils. Que ceux qui pensent qu'il suffit de réaliser des alternances pour espérer être une bonne démocratie, se détrompent. Elle ne saurait nullement se suffire à cela. Il y a encore beaucoup de cases à cocher. Par exemple : disposer d’une administration neutre, mener des processus sans en obstruer l’accès par des systèmes de filtres bourrés d’embûches, une presse forte, libre et indépendante, une séparation effective des pouvoirs, une carte électorale inchangée…

Ce que l’on attend de voir se manifester, c'est surtout cette élégance républicaine qui fait tant défaut. Elle manque vraiment et de manière criarde. Bref, cette classe politique manque de classe. Et c’est parfois bien dommage d’entendre parler du «génie politique» de Macky Sall, celui-là qui doit être au-dessus de la mêlée. Surtout qu’il ne repose aux yeux de ceux qui le brandissent que sur des artifices qui ne sont possibles que parce qu’il dispose des moyens de l’Etat, parce qu’il a accès aux forces de sécurité républicaines sur le principe, ou encore parce qu’il bénéficie du dévouement d’une certaine administration. Car, à observer de plus près le déroulement du processus, notamment à travers ces listes d’abord autorisées par les Cours d’appel et ce recours qui a conduit à l'invalidation de listes de l'opposition, suite à la saisine de la Cour suprême par des préfets, il y a à se poser des questions sur l'opportunité d'une telle posture.

Quelle signification a-t-il fallu donner à l’audience accordée à Djibril Ngom au palais présidentiel, suite à l'acte ignoble qu'il a commis en tentant de rendre définitivement forclose la liste de « Yewwi askan wi » dont il était le mandataire à Matam ? Une affaire honteuse et une attitude jamais vue sous nos cieux. Elle a en effet choqué beaucoup de monde. Il y a en tout cas des pas qu'un républicain digne de ce nom ne devrait jamais franchir.

Comment juger cette posture politicienne qui a consisté à vouloir par tous les moyens entacher une percée de l’opposition ? A la publication des résultats et le constat de la perte de grandes villes comme Dakar, Thiès, Kaolack, Ziguinchor, Touba, etc, l'élégance républicaine n'aurait-elle pas voulu que la coalition au pouvoir reconnaisse qu’elle aurait aimé mettre toutes ces grandes localités dans sa besace ? Mais en lieu et place, les Sénégalais ont eu droit à un discours qui est allé dans le sens de dire que l’opposition n'est pas sortie victorieuse dans ces villes, puisque « Benno Bokk Yakaar » ne les avait jamais gagnées auparavant ! La coalition au pouvoir a dû oublier que Yoff était dirigée Abdoulaye Diouf Sarr. Parcelles Assainies par Moussa Sy, ce «gros poisson» que Macky Sall est allé pêcher dans les eaux dans les eaux de « Taxawu Dakar ». La Patte d'oie également. Bref, une sorte de mauvaise foi sans bornes.

Là où le bouchon est poussé bien fort, c'est lorsque la coalition au pouvoir brandit le chiffre de 80% en termes de victoire bien chimérique, comme si toutes les localités avaient le même poids et la même symbolique.

C’est d’abord Seydou Guèye et El Hadji Kassé, connus pour être de bons communicants qui nous apprennent que la coalition Benno Bokk Yakaar a massivement gagné ces élections. Leur argument : Benno contrôle 32 sur 43 départements qui étaient en jeu. Puis, c’est le ministre Abdoulaye Sow, lui aussi une «grande gueule» que Macky Sall est allé pêcher dans les eaux du Pds, qui sort la même rengaine. Macky Sall a, de son côté, expliqué que la majorité qui le maintient au pouvoir, est intacte ; que sur les 45 départements, les résultats provisoires le créditent de 36 à 37 départements. Il a même fait savoir que ce qu’il a perdu, c’est ce qu’il ne l’avait pas.

Dans cette contestation de la victoire de l’opposition, le comble de la malhonnêteté a été d’utiliser le prétexte du vote sanction. N'est-ce pas le problème de « Benno Bokk Yakaar » si elle n'a pas été capable d'investir les bonnes personnes dans les localités où elles étaient susceptibles de gagner ? N’oublions quand même pas cette implication personnelle du Président Sall qui avait demandé d'attendre son feu vert pour les investitures. Non content d’avoir fait campagne avant tout le monde, il a joué un grand rôle dans ces élections qui étaient pourtant locales. Mais au finish, comble de la roublardise, des listes parallèles ont été bénies malgré ces arguments qui consistent à dire que seule celle de Mame Boye Diao à Kolda, a été bénie.

Le recours de Kaolack et la marche pour l'installation de Bengeloun 

Mais c’est surtout l'issue de ces élections et les recours qui ont eu lieu qui laissent un amer goût d’inélégance, de manque de classe. A voir la confusion dans laquelle est plongé le Conseil départemental de Kaolack, suite à la victoire (de « And Nawle, And Ligueey » emmenée par Youssouf Bengelloune), consacrée par le recensement des votes et ce recours à la Cour d'appel de Kaolack qui a décidé du recomptage des votes, il y a à se poser des questions. Des chiens auraient simplement entaché le vote, selon certains journaux qui ont évoqué le motif de ce recours. Comme si ces animaux quoique loyaux, savaient reconnaître les partisans et les adversaires des différents camps. C'est à mourir de rire.

Le camp de Bengelloun et de Serigne Mboup, élu à la ville de Kaolack, en est finalement réduit, vendredi 18 février, à organiser une marche pacifique pour protester contre la non installation du président du conseil départemental, suite aux résultats publiés par le tribunal de grande instance de Kaolack, avec un écart de 1 756 voix. C’est ainsi une marche pacifique qui y a été organisée avec une grande mobilisation de la population du département. La coalition « And Nawlé And Ligueey » entend ainsi donner un ultimatum de deux jours afin que le président du Conseil départemental de Kaolack, Ahmed Youssouf Bengelloun, soit installé. Le maire Serigne Mboup n’y est d’ailleurs pas allé par quatre chemins pour inviter la coalition « Benno Bokk Yakaar » à savoir raison garder et à «arrêter de mêler les affaires politiques et celles administratives».

Ils en sont même arrivés, figurez-vous à faire appel au juge Ousmane Kane, président de la cour d’appel, estimant qu’ il n’avait pas le droit de sursoir à l’installation du président du Conseil départemental de Kaolack, lui faisant comprendre que « ses prérogatives se limitent à recevoir les requêtes et à les traiter dans les délais impartis». Bengelloun croit d’ailleurs savoir qu’en matière électorale, le recours n’est pas suspensif, citant d’autres localités telles que Thiès, Pikine avec Timbo, Mbacké où des recours ont été introduits, mais les nouveaux élus ont été bel et bien installés. Le pauvre, il a été même obligé de préciser être allé aux locales avec une liste différente, mais qu’il est un membre de Benno. Qu’à cela ne tienne ! Si c’est le prix à payer pour ne pas se faire arracher sa victoire !

Le vote usurpé des Médinois

Mais ce qui est déplorer, ce sont ces votes usurpés à la liste de « Guem sa boop » de Bougane Gueye Dany. Dans ces élections, la coalition « Bunt Bi », tout comme celle de Bougane Guèye, avaient fait le pari d’endosser des candidatures. Mais à l’arrivée, cette option a semblé générer de beaucoup de regrets. Daour Niang Ndiaye, ce vieux briscard de la politique, tout comme Bamba Fall qui semble vouloir arrêter sa carrière au stade de maire de la Médina, ont tout reversé dans la besace de Benno. Le premier jure que c’est Bougane Guèye qui lui a demandé de négocier des postes de conseillers avec le maire réélu de Pikine. Pour le second, le prétexte de l’accueil des «Lions» et la communion du monde politique qui en a résulté et son poste de ministre-conseiller de nos jours bien trop banalisé et si peu valorisé, ont fait la différence. Eh bien, l’indéboulonnable maire de la Médina a fait ce qui lui a plu et ne s’embarrasse nullement du qu'en dira-t-on. Tant pis pour l’éthique… Mais, seuls ceux qui ne savent pas décrypter les signes avant-coureurs d'une transhumance perceptibles depuis fort longtemps sont choqués. Bamba Fall était dans un jeu clair-obscur depuis belle lurette.

C'est Cheikh Ahmed Tidiane Ba de « Benno Bokk Yakaar », son adversaire à la Médina avec qui il a eu souvent maille à partir, qui doit être bien amer. Ba s’était beaucoup investi sur le terrain bien avant ces joutes. Mais les électeurs de Bamba Fall doivent aussi avoir beaucoup de rancœur ? C’est un mauvais tour que leur a joué ce maire si terre-à-terre, ce politicien de base et primaire pour qui la fin justifie les moyens !

Le fiasco de Guédiawaye

A Guédiawaye, ce sont des accusations d'achat de consciences qui ont été pointées du doigt par Ahmeth Aïdara et ses partisans, lors de l’élection des membres du bureau municipal. Une élection des 14 adjoints au maire très mouvementée qui a finalement été bloquée. Le préfet qui est revenu sur l'incident du jeudi 17 février avait ainsi fait savoir sur la RFM que l’administration allait prendre ses responsabilités, après avoir constaté le blocage du processus d’élection par le maire Ahmed Aïdara. L’autorité préfectorale Oumar Blondin Ndiaye qui a supervisé le processus, a rejeté toute irrégularité et réfuté toute évocation d'une quelconque parenté au premier degré entre deux conseillers pendant le vote. Conséquemment, il en a déduit que Cheikh Sarr (candidat de Bby au poste de premier adjoint) est arrivé premier avec 44 voix contre 40 voix pour candidat de Yaw, Mor Diaw (Grand parti).

Mais toujours est-il que, dès le lendemain, une passation de service a eu lieu avec le secrétaire général de la mairie, sans la présence du préfet et du maire sortant Aliou Sall.

Dans un communiqué, la section locale du Pds (coalition Walu) qui a cherché à rétablir les faits, est revenue sur les incidents pour indiquer que c’est un manque d’accord sur un poste de 3ème adjoint qui a abouti à ce fait, rejetant tout «achat de conseillers à coups de millions ou de terrains, distillé par la presse et autres médias». A noter que l’élection du premier adjoint a donné les résultats ci-après, si on en croit le même communiqué de la section de Guédiawaye : le candidat Yewwi askan wi a obtenu 40 voix, le candidat de Benno Bokk Yakaar en a récolté 45. Considérant la composition ci-après du Conseil municipal de ville : Yewwi askan wi : 39, Benno Bokk Yakaar : 37, un autre groupe coordonné par Ndiogou Malick Dieng de la coalition Wallu Sénégal : 10.

D’ailleurs, les signataires du communiqué demandent à la coalition « Yewwi askan wi » de Guédiawaye et surtout à Ahmet Aïdara, de composer avec le «Groupe des 10» pour constituer avec eux une force apte à créer la stabilité dans la gestion de la ville de Guédiawaye. Le soutien de Me Wade affiché à la coalition YAW est aussi venu conforter ce soutien.

De quoi nourrir des espoirs pour une issue favorable à cette impasse pour Ahmed AIdara, même si rien n’est encore gagné.

Il faut dire qu'entre Ahmeth Aïdara et Aliou Sall, il existe une animosité qui dure depuis bien longtemps. Et l'animateur de la revue de presse sur Sen TV et Zik Fm ne rate jamais l'occasion d'accabler son adversaire, notamment dans l'affaire Petrotim avec le terme " suul gaz du ko téréé xeen" (enterrer du gaz, ne l'empêchera point de sentir" à la fin de ses émissions. Aïdara a aussi profité de son installation pour accuser Aliou Sall de l'avoir traité de tous les noms d'oiseaux et de lui avoir même dénié le titre de Chérif.

Une situation qui révèle à quel le niveau d'inélégance républicaine et le manque de courtoisie qui ont régné durant la cérémonie du jeudi. Une situation qui n'augure rien de bon pour la suite, si la question de cette élection n'est pas réglée. Pour des observateurs de la scène politique, Aïdara qui est un novice en politique, aurait dû penser à négocier avec les autres conseillers de l'opposition au lieu de céder à l'euphorie, pensant que tout était joué d'avance.

Bref on sort de ces élections locales que l’on croyait bien parties pour être calmes, complètement groogy par l’ampleur des contestations et des complaintes, y compris même à l’intérieur des coalitions. Mais malgré ces couacs persistants, il reste à BBY de confirmer cette victoire tant chantée des locales transposées dans le cadre des législatives prévues en juillet prochain. A l’opposition de montrer qu'elle est capable de conforter ses résultats et s'ouvrant dans le cadre d'une coalition plus large si elle veut compter une majorité dans ses rangs.