NETTALI.COM - 275 millions à la Direction régionale de Louga, 100 millions à la Grande Poste de Dakar, des millions au bureau Poste Escale à Thiès, des millions à Diourbel, une vingtaine de millions à Dakar Etoile. Aujourd’hui, plus d’un milliard de francs CFA à Postefinances, les détournements de deniers publics, supposés ou réels, semblent être érigés en règle de gouvernance au niveau de la société nationale La Poste, avec la bénédiction des plus hautes autorités.

Le procédé est simplement renversant. Des postiers n’en reviennent toujours pas. Dans un pays normal, soutiennent certaines sources qui se sont confiées à ‘’EnQuête’’, le directeur général (de La Poste) aurait été viré illico. Mais à ‘’Ndoumbelane’’ (un nom pour désigner une République bananière), c’est plutôt la prime au carnage financier, s’indignent nos interlocuteurs. Au moment où le désormais ancien DG de Postefinances, Saliou Fédior, paie pour avoir dénoncé des ‘’pratiques illégales’’ au sein de l’entreprise nationale, le directeur général de La Poste, Bibi Baldé, lui, continue de se la couler douce. Les plus hautes autorités continuent de faire le mort. ‘’Le plus écœurant, ne cessent de fustiger certains travailleurs de l’entreprise, c’est que pour bien moins que les montants incriminés, des agents croupissent en prison depuis des mois’’.

Au niveau de La Poste, les détournements et autres malversations financières semblent être érigés en ‘’règle de bonne gouvernance’’. Depuis 2012, les cas de détournement se succèdent, même si leur traitement diffère selon la tête du client. L’on se rappelle l’affaire qui avait éclaté en 2013 et qui avait failli éclabousser un certain nombre d’agents. Lesquels avaient purgé plusieurs mois, avant de bénéficier d’un non-lieu. Pendant ce temps, les principaux présumés auteurs n’ont jamais été inquiétés dans cette affaire.

Depuis, on n’en parle plus. La vérité ne jaillira peut-être jamais dans cette affaire qui avait, en son temps, défrayé la chronique.

Plus récemment, en 2020, la presse avait fait ses choux sur une malversation supposée portant sur le même montant : 100 millions de francs CFA. Là également, les agents s’interrogent toujours sur la manière dont le dossier a été géré. ‘’L’agent n’est plus en poste, mais le dossier a été étouffé pour on ne sait quelle raison. On n’en parle presque plus. C’était dans le plus grand bureau de Dakar. Et il y en a d’autres qui ont été gérés dans une nébuleuse totale’’.

Moins chanceuse, la directrice générale de La Poste de Louga a été poursuivie, suite à la découverte d’un gap de 275 millions de francs CFA, en 2018. Le tribunal de grande instance de la région avait, dans cette affaire, prononcé une peine de cinq ans contre les présumés coupables. Il résultait de l’enquête que les faits incriminés se sont déroulés entre 2013 et 2017.

Le décompte des agents qui ont eu maille à partir avec la justice, pour des faits de malversation à La Poste, fait tout simplement froid dans le dos. Et ce n’est qu’un petit échantillon. Même si notre interlocuteur tient à préciser que parfois, c’est pour de simples fautes de gestion. ‘’Quelqu’un qui manipule des milliards par an, il peut arriver qu’on lui découvre des déficits de caisse de quelques millions. Le problème, c’est que quand il s’agit de certains, on les fait rembourser jusqu’au dernier centime. Parfois sans délai. Mais pour d’autres, rien ne leur arrive. C’est ce qui est scandaleux’’, s’indigne-t-il.

A titre illustratif, il donne le cas d’un receveur à Ziguinchor. Pour un déficit de moins de 2 millions, la boite a porté plainte. Il est en ce moment en fuite pour ne pas aller en prison. On peut également citer le cas du receveur de Rufisque qui, pour un déficit de caisse de 2 millions sur des milliards qu’il qu’il manipule par an, a failli être envoyé en prison, s’il n’avait pas remboursé l’intégralité des sommes et immédiatement.

Nos interlocuteurs signalent, par ailleurs, le cas du receveur de Dakar Etoile, en prison depuis des mois, parce qu’il était poursuivi pour 22 millions F CFA.

Pour avoir une idée de l’ampleur du mal, ‘’EnQuête’’ s’est essayé à un simple exercice. Il s’est agi de taper sur le moteur de recherche Google les mots-clés : détournement, Poste plus une région du Sénégal pour tomber au moins sur un cas. Il en a été ainsi aussi bien pour les régions de Ziguinchor, Thiès, Louga ainsi que pour Diourbel, en sus de Dakar où les cas de malversation sont florès.

Comment l’entreprise parvient-elle à survivre dans ces conditions ? ‘’Très difficilement’’, renseignent nos sources. Qui expliquent : ‘’On paie par intermittence. Par exemple, un bureau qui peut consommer 30 millions en un jour, on lui donne 15 millions pour deux à trois jours. C’est pourquoi l’argent entre, mais c’est très en deçà des besoins. Souvent, ce sont les bénéficiaires des bourses qui en paient les pots cassés. Par exemple, l’Etat peut mettre les 10 milliards, mais l’argent est utilisé à d’autres fins par la direction générale. Les retraités également souffrent’’.

Masse salariale en constante hausse

Aussi, font remarquer les contestataires, malgré une situation financière catastrophique, un déficit qui ne cesse de se creuser, La Poste n’a jamais cessé d’augmenter sa masse salariale, depuis l’année 2012. Le personnel, de cette date à nos jours, a plus que doublé. Et pire, si jusqu’en 2011, le concours a été la règle pour recruter, désormais, les recrutements sont plus clientélistes. ‘’En 2009-2010, on était à moins de 2 000 agents. Aujourd’hui, on est à environ 4 500 agents. Et le concours, depuis 2011, n’a été organisé qu’une fois (en 2020) pour recruter un tout petit nombre. Tous les recrutements se font sur la base de considérations politiciennes’’.

Par ailleurs, dénoncent nos interlocuteurs, le copinage demeure le principal critère pour pourvoir certains postes de responsabilité. C’est le cas du Centre financier, au cœur du scandale à milliards qui défraie en ce moment la chronique. ‘’La réglementation exige une note circulaire pour permettre aux intéressés de postuler, en cas de vacance. Depuis que je suis à La Poste, je n’ai jamais vu une note concernant le centre financier. C’est le DG qui met qui il veut, selon des critères discriminatoires’’.

Sur l’importance de ce centre, il explique : ‘’C’est ce centre qui gère tous les comptes des clients de Postefinances. C’est aussi le centre qui gère le dispatching des fonds vers les centres sur l’étendue du territoire. C’est hyper important dans le dispositif.’

Selon nos sources, le pire est à craindre, en cette veille d’élections. Le modus operandi, c’est d’arroser de billets des fournisseurs, amis du régime qui, en retour, vont financer les activités politiques.