CONTRIBUTION - Ainsi donc Macron a organisé son « Sommet », non pas avec ses homologues africains, mais avec des prétendus intellectuels et autres membres de la société civile qui ont joué, sans se gêner, les faire-valoir devant un homme que rien ne prédisposait à la magistrature suprême de son pays.

En appelant cette rencontre  incongrue « Sommet », Macron a fait montre d’une arrogance dont seuls les Français sont capables en face de pays asservis et peu désireux de se sortir d’une situation de domination dont le monde entier s’étonne et s’indigne.

C’est bien parce qu’il n’a aucune considération pour ceux qui dirigent les Etats du pré carré français, que le locataire de l’Elysée a, comme l’a précisé Le Monde - Afrique du 07 octobre 2021, « choisi de n’inviter aucun président africain à l’évènement… ». Et le journal françafricain d’ajouter : « La société civile est mise à l’honneur ». Comment mettre à l’honneur la société civile quand on considère les dirigeants des pays concernés comme quantité négligeable ?

La réponse est dans la question : en réalité, c’est une tradition française d’agir avec désinvolture en face de dirigeants serviles qui ne se soucient que d’accéder au pouvoir et d’y rester le plus longtemps possible. Qui peut imaginer un chef d’Etat africain invitant des membres de la société civile française à une conférence (je ne dis pas un Sommet) sur l’avenir des relations entre l’ancien colon et l’Afrique ?

L’idée même d’une telle rencontre n’effleure  l’esprit d’aucun de nos dirigeants. Cette culture de la servitude volontaire que l’ancien colon exploite au-delà de toute limite, fait qu’aujourd’hui ce qui apparaît comme des sursauts de dignité, est dénué de toute crédibilité aux yeux des populations africaines, singulièrement sa frange la plus jeune.  Ainsi, ce qu’on appelle « la crise entre le Mali et la France », après la décision malienne de recourir aux services d’une société russe de sécurité, Wagner, apparaît comme une mise en scène écrite par les experts de la barbouzerie et de l’Etat major français.

Alors, les déclarations fracassantes du Premier ministre malien et de certains dirigeants français ne devraient impressionner que ceux qui se réjouissaient de l’annonce par Macron et Ouattara de la disparition du CFA au profit d’un éco anti CEDEAO. On a vu la suite : aucune réforme significative n’a été menée pour sortir nos pays d’une servitude monétaire à nulle autre pareille.

Pour revenir aux relations franco-maliennes, on a vu très vite le Premier ministre malien parler de « scène de ménage » pour faire baisser une tension factice.

Le « Sommet » qui s’était ouvert le 8 octobre à Montpellier, a été une nouvelle manifestation de la comédie burlesque dont le scenario avait été écrit voilà plusieurs décennies et dont l’exécution se réduit aujourd’hui à un jeu tragique dans lequel des dirigeants et des intellectuels africains, choisis en fonction de leur docilité et de leur soif de pouvoir et de privilèges, sont manipulés au gré des intérêts de l’ancien colon. Depuis De Gaulle jusqu’à Macron, les dirigeants français ont très bien compris que leur pays ne serait plus rien, s’il perdait ses privilèges en Afrique. Pour eux donc, c’est une question de vie ou de mort.

Boubacar Boris Diop, Babacar Justin Ndiaye, Nathalie Yamb et tant d’autres ne cessent de nous en administrer des preuves irréfutables. Il est temps que nous les écoutions pour que la France se réveille aux réalités d’un monde où on ne peut plus s’asseoir sur la dignité de peuples assoiffés de liberté et de souveraineté. C’est bien à cela que des hommes comme Alla Kane et Mandiaye Gaye hier, Ousmane Sonko et Guy Marius Sagna aujourd’hui, ont consacré et consacrent leur action dans un combat sans merci pour la libération de l’Afrique.

Les Français se rendent-ils compte que leur pays est le seul au monde à imposer à d’autres pays dits indépendants ce qu’il faut considérer comme une « dette coloniale » dans laquelle les rôles de créancier et de débiteur sont tout bonnement inversés ? Qui devrait rembourser cette dette sinon celui qui a bâti toute sa puissance sur l’exploitation cruelle et honteuse de nos pays à travers l’esclavage, la colonisation et la domination néocoloniale ?

Le « Sommet » de Montpellier a pris le chemin inverse de la marche de l’Histoire. Si les dirigeants français comptent sur cette tragi-comédie pour atténuer tant soi peut ce que Macron appelle « un sentiment antifrançais », ils se trompent lourdement. On n’arrête pas la mer avec ses bras surtout quand un tsunami pointe à l’horizon. Ceux qui sont allés jouer les faire-valoir à Montpellier suivront les pas de leurs pères comme Senghor, Houphouët, Hamani Diori… ; ou de leurs frères comme Macky Sall, Ouattara, Compaoré…

C’est sur ce chemin qu’hier Sékou Touré, Kwame Nkrumah, Kadhafi  et, aujourd’hui, Paul Kagame et Akufo-Addo, ont refusé de conduire leurs peuples.

Ce que j’appelle plus haut « culture de la servitude volontaire » est une tare du monde politique et non pas seulement des dirigeants en exercice. C’est bien pourquoi quand il s’agit de taper fort sur ceux qui sont au pouvoir, l’ensemble de leurs opposants s’en donnent à cœur joie, alors que dès qu’il s’agit de dénoncer les actes malveillants de la Françafrique, tout le monde fait profil bas. Au Sénégal, à part trois hommes politiques bien engagés, Ousmane Sonko, Thierno Alassane Sall et Guy Marius Sagna, rares sont ceux qui osent dire le moindre mal de nos relations avec la France.

Les Etats Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, l’Italie, l’Allemagne, le Royaume Uni, le Canada, le Japon, la Turquie et d’autres pays encore voient leurs intérêts bafoués tous les jours par les privilèges iniques dont la France abuse en Afrique ; ils ont beau râler et mener des actions visibles ou souterraines pour secouer le baobab néocolonial, rien n’y fera tant que nous ne prendrons pas nous-mêmes notre destin en main.

L’avenir est donc à un sursaut patriotique seul à même de nous sortir d’une torpeur qui a été, est et sera d’un coût exorbitant pour la survie de nos pays auxquels nous devrions manifester un plus grand attachement et un plus grand respect.

Malheureusement, ceux qui courent à toute vitesse à la convocation de Hollande pour participer aux manifestations organisées à Paris, à la mémoire des journalistes de Charlie Hebdo, ou par Macron pour jouer le rôle à eux attribué dans la perpétuation d’un système de domination et d’exploitation aussi cruel que la Françafrique, semblent encore appelés pour longtemps à occuper des places de choix dans la distribution des pouvoirs en Afrique.

J’ose croire que ce n’est qu’une illusion pour eux et un cauchemar pour nous dont nous nous réveillerons à court terme.

Mamadou DIOP